A quoi peut servir un Observatoire des politiques éducatives locales ? L’institut Français de l’Education et le laboratoire Triangle, de l’Ecole Normale Supérieure organisaient à Lyon le 30 mai 2012 le lancement de l’Observatoire des Politiques Educatives Locales, sous la houlette de Daniel Frandji, sociologue. Chercheurs, analystes, politiques tentent dans ce nouvel outil de redonner à l’échelon local des responsabilités dans l’éducation des jeunes. La période étant charnière, nombre de partenaires ont sauté sur l’occasion pour travailler ensemble, à l’heure où beaucoup attendent du nouveau gouvernement une loi qui redéfinisse les contours de l’action publique en matière d’éducation, avec un partage des tâches plus conforme avec les attentes des acteurs locaux… Après les mots préliminaires du directeur de Sciences Po, puis de l’ENS, rappelant que l’IFE a vocation à porter cet observatoire puisqu’il « a compétence à travailler sur toutes les questions d’éducation », Bénedicte Robert, pour la DGESCO, insiste sur ses priorités : il faut mieux articuler la recherche avec le système éducatif, collectivité et partenaires compris, parce que le temps et les finalités des uns ne sont pas ceux des autres. « Il faut rapprocher les acteurs pour que la recherche ne développe pas de problématiques qui ne fassent pas sens pour les acteurs ». Elle rappelle les projets portés par la DGESCO : « Parler Bambin », plateforme contre le décrochage, mallette des parents.. Elle indique la volonté de la DGESCO de renouveler le partenariat avec l’IFE, « pour mieux diffuser ce qui marche, comme le font les pays anglo-saxons ». Yves Fournel, pour la mairie de Lyon, veut inscrire l’Observatoire dans un plan de financements publics, en intégrant l’histoire des partenariats locaux qui ont construit les partenariats éducatifs locaux. « Les Rencontres de Rennes, de Brest, l’ANDEV ou l’INJEP ont donné lieu à des synthèses, mais pas encore de politique nationale ». La césure historique entre le scolaire et le hors scolaire n’est pas encore réduite, comme en atteste les difficultés à faire vivre la « réussite éducative » lorsqu’elle ne parvient pas à respecter la place des acteurs. Arnaud Tiercelin, de la Ligue de l’Enseignement, pose en introduction de la première table-ronde quelques bonnes questions : peut-on définir l’éducation non-formelle autrement que comme contribuant à la réussite scolaire ? Quelle est la place de l’éducation tout au long de la vie ? Quel lien avec la démocratie locale, participative, à la décentralisation ? Nathalie Mons : Le débat entre Girondins et Jacobins Assumant un « rôle de poil à gratter pour introduire du débat », Nathalie Mons revient sur les recherches portant sur l’observation des politiques de décentralisations, de transfert de compétences vers les acteurs locaux. Elles montrent que les systèmes décentralisés sont plus coûteux, et parfois soumis aux népotismes locaux. Plus généralement, les programmes scolaires sont soumis aux ressources disponibles, qui peuvent être variables selon les territoires. Donc, les risques d’inégalités socio-spatiales doivent être pris en compte, comme l’indiquent bien les études de la Banque mondiale (si, si..). La France suit donc la vague de décentralisation des années 80, rompant avec son modèle historique, au point de brouiller les anciens modèles. Le modèle de la collaboration entre les différents pouvoirs (ministère, collectivités, établissements) est en vigueur dans les pays nordiques : recrutement local, normes nationales de programmes garanties avec une très large marge de manœuvre donnée aux établissements. La Suède, comme l’Espagne, réduisent désormais leurs programmes nationaux à un noyau dur. Certains pays reviennent cependant parfois en arrière (Royaume-Uni) en reprécisant le cadre national. Certains états fédéraux (Belgique, Pays-Bas) développent des standards de contenus ou d’évaluation, justifiés par un souci de plus grande efficacité et d’égalité. En matière de décentralisation, le débat est donc complexe… « On ne peut pas rester dans des réthoriques simplistes… » précise-t-elle à ceux qui n’auraient pas bien entendu… Les plus libéraux seront sans doute affecté des résultats de la recherche sur les résultats des élèves, qui ne voient pas de corrélation entre le niveau d’initiative des acteurs et les résultats des élèves. « Plus que la décentralisation politique, c’est l’autonomie scolaire et pédagogiques qui semble soutenir positivement les apprentissages scolaires, plus que l’autonomie administrative du chef d’établissement noyé sous un ensemble de tâches sans rapport avec les apprentissages. »Et le consensus se fait sur l’importance de la régulation par l’état central, en matière de contrôle des curriculum. Dominique Glasman : « Cinq questions à poser pour l’Observatoire » Dominique Glasman est optimiste et vigilant. « On est passé d’une situation très centralisée à la prise de conscience du rôle de l’initiative locale, au fur et à mesure que les acteurs locaux devenaient plus compétents ». Le paysage mental a changé : « l’Ecole n’est plus exclusivement l’affaire de l’Etat, comme certains le croyaient, même si les territoires ont joué un grand rôle au cours du XIXe siècle ». Et finalement, trente ans, ce n’est pas long pour changer de paysage, « même si certains pensent que ce n’est pas assez rapide ». Donc, le local permet bien de traiter quelques questions, et on ne reviendra pas en arrière. Mais D. Glasman se demande à voix haute quelles questions prioritaires sont à travailler dans un Observatoire des Politiques locales, par les chercheurs, les élus, les techniciens, les enseignants, les travailleurs sociaux… Glasman en cite cinq : – l’articulation entre les différents niveaux, avec une répartition claire et inscrite dans la loi de ce qui revient à l’Etat et au local, avec la répartition des moyens qui va avec, pour garantir que les objectifs fixés sont menés à bien… – l’égalité devant l’Education (et devant l’Ecole), en cherchant mieux à comprendre si, réellement, l’initiative locale réduit les inégalités, davantage que les politiques nationales. Si l’argument est légitime (proximité qui permet de connaitre les difficultés, les situations de pauvreté, de mobiliser des acteurs selon des configurations locales), il y a aussi des risques : rapports de force locaux qui peuvent empêcher certaines applications de normes nationales (voir la loi LRU et la construction du logement social), technicité et histoire différentes selon les territoires… – certes, la réussite éducative ne se résume pas à la réussite scolaire. Encore faudrait-il comprendre dans le détail ce qu’on y fait. Un observatoire ne peut pas faire l’impasse sur ce qu’on met derrière le terme « éducatif », et notamment l’apport qui est réellement fait par les associations d’éducation populaire, pour jouer le rôle d’aiguillon des politiques publiques. En effet, elles disent elles-mêmes que la nécessité de professionnalisation de leurs acteurs a nécessité qu’elles soient progressivement intégrées aux politiques publiques. – quelle évaluation de la qualité, de la diffusion des innovations ? – quelle relation entre le public et le privé sur un territoire ? les entreprises de soutien scolaire privé font des appels d’offre aux collectivités. Comment peuvent-elles y répondre ? La salle réagit : une coordinatrice de réussite éducative ne se retrouve pas sur la centration sur l’enseignement obligatoire et demande à ce que le professionnel fasse irruption dans les débats, et réclame une place pour les familles dans la réflexion sur l’éducation partagée. Une responsable municipale fait état de ses difficultés à travailler avec l’Education Nationale. Le Centre Alain-Savary fait état de son expérience pour analyser le travail réel dans les partenariats locaux comme le PRE. Un directeur d’Ecole de GDID réclame un statut pour les directeurs d’école. Une élue de St Etienne pose la question des élèves de deux et trois ans, et réclame la mise en place de structures passerelles pour garantir une meilleure égalité sociale. « Il ne faut pas regretter nos désaccords » réclame un coordonateur de dispositif éducatif local. « Que les animateurs et les enseignants ne fassent pas la même chose, en quoi c’est un problème ? » provoque-t-il ? Nathalie Mons rappelle les tentations pour les familles de céder aux sirènes de la consommation, les frottements entre acteurs quand les référentiels et les normes sont différentes, ou quand la loi n’est pas très claire sur ce que chacun peut faire sur le territoire de l’autre… Dominique Glasman se demande si le politique local ne doit pas définir les objectifs communs, des objects communs, avant de réunir les compétences, les engagements. Quand c’est fait, cahin-caha, par la « réussite éducative » qui a créé des dynamiques nouvelles appuyées sur les histoires locales. « Dans ce travail commun, les uns et les autres poursuivent des finalités éducatives différentes, avec des contraintes professionnelles spécifiques. Ce n’est pas une catastrophe. Ca ne rend pas le travail facile, et c’est bien ça qu’il faut observer de près : forme scolaire, forme éducative, des définitions à repréciser ?… » Politiques éducative : une question de temps ? L’Etat a multiplié les dispositifs expérimentaux sans les évaluer ni les généraliser. « Parfois, on réinvente la poudre sans savoir ce qui a été fait ailleurs » introduit M. Berthet, sociologue. Quelles sont les expériences qui peuvent guider la réflexion et enrichir les savoirs de ces nouveaux métiers ? Anne Dillenseger, adjointe à la réussite éducative à Dijon, se souvient de la longue marche, depuis 2001, de la mise en cohérence des dispositifs dans sa ville. CEL (Contrat Educatif Local), puis Projet éducatif local sur toute la ville, visant à la fois la professionnalisation des acteurs, une réorganisation des temps éducatifs et la mise en place de tarifs adaptés, sur la population de 0 à 25 ans. 30 actions à mettre en place « à budget constant », par redéploiement. « En tant qu’élu, il faut déjà travailler ensemble au sein de la municipalité avant d’aller vers les autres ». La salle acquiesce bruyamment. Elle ramène l’attention : « Ce qui m’interesse, c’est la mise en cohérence entre les dispositifs qui s’adressent aux zones défavorisées et le droit commun. « Accompagner les familles qui sont relogés dans les quartiers hors-politique de la ville, cela nécessite une prise en charge individualisée ». Mais elle assume une posture modeste : « même élu d’une grande ville, on n’a pas la science infuse. On a besoin de prendre le temps de construire des groupes de travail, d’entendre les autres acteurs et leurs propres perceptions. Aujourd’hui, les associations ont moins peur de s’exprimer, même quand elles s’opposent aussi à la municipalité. C’est normal de se frotter un peu pour pouvoir avancer… ». Jean-Luc Villain, chargé de mission Projet Educatif Local à Nanterre, insiste sur l’histoire de sa ville, et distingue quatre périodes : – une politique sanitaire et sociale au sortir de la guerre, avec l’acquisition d’équipements- les années 70 et l’arrivée de « politiques de l’enfance et de la jeunesse » avec des contenus éducatifs plus exigeants, transformant le centré aéré en maison de la culture, en concurrence directe avec les études dirigées organisées par l’Ecole- les lois de décentralisations des années 80 amène la création d’un service global de l’enfance, avec des rapports plus soutenus avec les écoles- dans les années 2000, une politique éducative globale se met en place, progressivement plus cohérente avec les initiatives locales dans les quartiers (accompagnement à la scolarité). « Nous travaillons comme une coopérative d’acteurs, sur les sujts émergents, dont la question nouvelle des parents, en prenant appui sur les expériences de terrain. » Mais il confirme que parfois, ces initiatives locales se heurtent aux nouveaux dispositifs initiés, comme les PRE, demandant des réorganisations complexes. Alain Thiriel fait état des prémisses d’un projet éducatif local sur l’ensemble du département du Nord, à partir de ses missions historiques sur les collèges. C’est un changement de culture pour les élus, davantage centrés sur la politique sociale, qui se mettent à considérer que l’investissement éducatif est le plus efficace pour réduire les inégalités. « Les élus se mettent à penser à long terme, en sachant que l’horizon éducatif est à vingt ans, alors que le temps politique est beaucoup plus court ». La salle sourit à nouveau : manifestement, on connait le problème… « Il faut accepter qu’une fois les orientations prises, on les propose à expérimenter sur les territoires, en prenant garde à ne pas aller trop vite… » Marcel Brun
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