Remis en février 2011, le rapport de l’inspection générale (Jean-François Cuisinier et Brigitte Doriath) fait le point sur l’An II de la rénovation de l’enseignement professionnel lancée par Luc Chatel. L’analyse ne se limite pas à la mise en place pédagogique de la réforme mais s’investit dans l’analyse compliquée des flux d’élèves pour signaler les risques d’exclusion portés par la réforme.
Sur le terrain pédagogique, » il n’y a pas une dimension de leur activité qui n’ait été affectée : programmes, progressions, publics entrants, modalités de certification, processus décisionnels plus collectifs, processus pédagogiques plus transversaux, horizon temporel plus raccourci, le tout dans le contexte du schéma d’emploi », notent les auteurs. « L’autonomie des établissements transforme la liberté pédagogique de l’enseignant, non qu’elle soit devenue moindre mais elle lui confère tout à la fois une dimension plus collective au niveau décisionnel et plus individualisée au regard des élèves. « Les enseignants saturent et classent les priorités », ils ressentent « un trop plein de changement qui engendre la confusion ». »
La mise en place de la réforme se heurte à des difficultés. L’accompagnement personnalisé « se limite le plus souvent au traitement de la difficulté, déconnecté du projet de l’élève ». » Les enseignements généraux liés à la spécialité, s’ils sont un peu mieux repérés que l’année précédente, ne sont pas mis en place dans nombre d’établissements et les professeurs qui ne savent pas en quoi ces enseignements consistent sont encore nombreux. » Pour les auteurs il souffrent d’une triple carence des établissements, de l’académie et de l’Etat. A beaucoup d’endroits, accompagnement et enseignements généraux liés à la spécialité sont simplement utilisés pour amortir au mieux l choc des restrictions budgétaires.
Mais les inquiétudes les plus fortes concernent les mutations dans les flux d’élèves. La rénovation de la voie professionnelle augmente-elle les sorties sans qualification ou au contraire les réduit-elle ? La voie professionnelle offre dorénavant deux niveaux : le bac professionnel en 3 ans et le CAP. Si l’orientation en fin de troisième vers la voie professionnelle stagne légèrement à la baisse, les entrées en CAP augmentent fortement puisqu’elles passent de 2 à 4% des sorties de 3ème. Les CAP semblent trouver leur public. Mais pour les autres jeunes, le risque d’exclusion s’est renforcé. Les inspecteurs ne le disent pas mais le rythme accéléré du bac pro. (3 ans au lieu de 4) le rend plus difficile pour certains élèves. A la fin de la seconde une proportion plus forte (un jeune sur 5) n’est pas admise en première. Que deviennent ces élèves ? » Un peu plus d’un jeune sur cinq ne passe pas en première et peu, parmi eux, reprennent un cursus en LP », note le rapport. « Pour les autres, toutes les hypothèses sont ouvertes : un autre cursus de formation pour les uns, l’abandon de toute formation pour les autres. Se joue là, en partie, la réussite du deuxième objectif de la rénovation : la réduction des sorties sans diplôme ». Les auteurs notent également que les passerelles sensées faciliter la mobilité fonctionnent à sens unique ou sont carrément folles. Certains établissements utilisent les passerelles pour prescrire des orientations impossibles (mais qui ont peut-être un intérêt local ?). En tous cas la réforme a tari le flux d’élèves qui à l’issue du BEP allaient en série STG.
Au final, la réforme de la voie professionnelle a séparé plus tôt les élèves sans qu’on n’ait de réelle clarté sur la façon dont se décide l’orientation de fin de troisième. Elle a séparé de façon plus déterminante les jeunes allant en seconde de ceux destinés à la seconde professionnelle. Celle-ci qui avait pu être un sas de remobilisation pour certain élèves est chargée de tant d’enjeux qu’une partie des jeunes sautent du train en marche. La voie professionnelle participe maintenant des la machine à exclure.
François Jarraud