Par François Jarraud
Le jeu peut-il faire se rencontrer chercheurs et enseignants ? Les 2 et 3 mai, les JIES (Journées internationales sur la communication, l’éducation et la culture scientifiques) en font le pari.
Depuis 1979, les JIES (Journées internationales sur la communication, l’éducation et la culture scientifiques) c’est à Chamonix en hiver avec Jean-Louis Martinand et André Giordan à la barre. Cette année, changement de formule. Les JIES se déroulent sur les pentes du Mont Sainte Geneviève (à Paris) en mai et c’est Traces, un groupe de réflexion sur la science et son rapport à la société issu du département d’études cognitives de l’ENS Paris, qui les organise. Avec cette le thème des « jeux dans la médiation et l’éducation scientifiques ».
« Le jeu et l’apprentissage c’est même combat » pour André Giordan. « Dans toutes les civilisations on apprend en jouant ». Il en donne la preuve en citant Rabelais, Rousseau, Dewey, Pestalozzi, Decroly. Mais aussi Mme de Genlis, la préceptrice du futur Louis-Philippe, Jeanine Girard, créatrice de jeux éducatif au début du XXème siècle. Et en présentant de nombreux jeux : jeux détournés pour les apprentissages, jeux de rôles pour faire passer des concepts (le jeu des méioses et des mitoses par exemple !). Pour A. Giordan, le jeu est un outil par exemple pour motiver. Il ne suffit pas pour apprendre. Pour apprendre , d’autres paramètres entrent en compte. Le jeu peut même détourner du contenu.
Auteur d’une thèse sur le jeu et les apprentissages en maths, Nicolas Pelay pose aussi la question de l’apprentissage dans le ludique. Peut-on apprendre sans travail ? Pour lui, le jeu modifie le contrat didactique mais inclue toujours un contrat ludique avec des règles. En ce sens, le jeu est adapté à l’univers scolaire qui est un univers régulé.
François Taddéi, un autre biologiste, a plus d’ambition pour le jeu. Il donne en exemple des jeux sérieux comme Fold It ou Eterna. Fold It est un jeu de recherche sur des sujets scientifiques comme les protéines suivi par plus de 300 000 joueurs dans le monde. Eterna fait jouer sur l’ARN. Ces jeux permettent de mettre au service de la recherche l’intelligence de milliers de joueurs. Pour F Taddei, ils font avancer la recherche et règlent des problèmes que la recherche classique ne résout pas. Le jeu permet de s’affranchir du coût du laboratoire et d’ouvrir la recherche au monde entier. Les limites sont éthiques, sur les objectifs du jeu.
Le débat continue avec une dernière question. Via Twitter un professeur interroge les participants sur la communication autour du jeu dans l’Ecole. Pour André Giordan, pour faire connaitre les jeux aux enseignants il faut de la formation . Pour François Taddéi, il faut qu’il soit légitimé par l’institution. Voilà une bonne question pour les participants du 3 mai. Julien LLanas, Julien Alvarez sont deux acteurs connus des jeux sérieux dans le monde enseignant…
JIES : Faut-il jouer pour devenir enseignant ?
A quoi sert le jeu ? Mais à former des enseignants. C’est la leçon, venue de Suisse, que la Haute Ecole Pédagogique de Fribourg a délivré le 3 mai lors de la seconde journée des JIES 2012. Auparavant, une table ronde avait tenté de répondre à une autre question : pourquoi les jeux marchent si bien?
« Pourquoi ça marche si bien les jeux ? Parce que c’est un vrai gâteau pour le cerveau ! » L’intervention d’Elena Pasquinelli, une cogniticienne du Groupe Compas, marque la seconde journée des Journées internationales sur la communication, l’éducation et la culture scientifiques. Dans une matinée consacrée à des photographies de la situation des jeux éducatifs , E Pasquinelli s’attache plutôt à démonter les légendes autour du jeu vidéo et à en faire comprendre les mécanismes. Le jeu vidéo utilise les ressources profondes du cerveau issues de notre héritage de chasseur. Le jeu utilise nos capacités à nous repérer, à détecter le mouvement, à réagir à la surprise, à suivre une proie jusqu’à sa capture. Il repose aussi sur le dosage effort – récompense qui est la vraie drogue du cerveau.
Julien Llanas, chargé de mission innovation prospective à l’académie de Créteil, présente un panorama des jeux éducatifs utilisés dans l’enseignement français en s’attachant particulièrement aux jeux détournés par les enseignants. Le détournement c’est aussi bien utiliser un jeu de karaoké pour faire de l’anglais que Scratch pour apprendre à programmer. Il montre l’apparition de jeux sur tablettes comme Dragon Box, un jeu d’apprentissage des symboles mathématiques où ils sont remplacés par de petits démons. Pour être accepté par les enseignants, les jeux doivent être dotés d’un système d’évaluation et d’un outil de suivi des élèves. Or c’est rarement le cas…
Julien Alvarez, de Ludosciences, explore un domaine original : celui des jeux réalisés dans le secteur médical, les Health Games. Certains s’adressent aux patients pour prévenir des maladies ou gérer des maladies, d’autres au personnel médical. On a par exemple un jeu pour apprendre à trier les malades aux urgences ou pour s’entraîner à des opérations. L’intéret de cet aparté médical c’est que dans ce secteur les jeux correspondent à un marché. Certains ont été inventés par des firmes pour accompagner leurs produits, des médicaments par exemple. D’autres renvoient à des qualifications professionnelles ou du management. En ce sens on assiste au développement encore embryonnaire, selon J Alvarez, d’une économie du jeu qui est tout à fait intéressante.
L’expérience de Guillaume Reuiller, Universciences, ramène à des jeux plus traditionnels, ceux des jeux mathématiques utilisés au Palais de la Découverte. L’intérêt de ces jeux à ses yeux c’est qu’ils mettent les joueurs en situation de chercheur. Et l’obstacle avec les enseignants qui viennent au Palais c’est qu’ils redoutent justement cette situation où ils pourraient ne pas savoir répondre aux questions des élèves.
C’est justement cette question qui est au centre de l’expérience de la Haute Ecole Pédagogique de Fribourg (Suisse), l’équivalent de nos IUFM. A Fribourg, la formation des enseignants dure trois années durant lesquelles ils bénéficient d’une journée d’ateliers sur le jeu. Pour Francine Pellaud et Lionel Rolle, le jeu a l’intérêt de servir le développement global de l’enfant. Il y trouve toujours quelque chose, ne serait ce que développer son attention, se plier à des règles, observer. Depuis 2005 les élèves professeurs sont invités à créer des jeux pédagogiques. L’un d’entre est présenté par deux futures professeures des écoles, Juliane Chevrier et Marianne Annoni. Il s’agit d’un jeu de plateau où les écoliers de CP CE1 doivent collaborer pour remettre en route la boulangerie du village. Le jeu se jour entre 20 et 45 minutes selon les interventions du hasard.
Ce qui a séduit leurs professeurs, Francine Pellaud et Lionel Rolle, c’est que sa dimension collaborative. Le jeu ne porte pas sur la fabrication du main mais sur la collaboration entre les élèves. « Le plus grand problème pour les enseignants c’est d’abandonner l’idée qu’ils sont les seuls transmetteurs de connaissances. C’est une véritable déformation professionnelle », explique F. Pellaud. Le jeu est aussi une façon de montrer aux enseignants qu’ils peuvent être des créateurs de ressources pédagogiques et découvrir leur métier.
Liens :
Jeux sérieux : De l’immersion au savoir-être
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