Par François Jarraud
Le président de la République commence son mandat par un véritable hommage à l’Ecole et aux enseignants. Mardi 15 mai, aux Tuileries, il a confirmé ses engagements matériels et moraux en faveur de l’éducation.
« C’est vers eux que j’adresse mes premiers mots de président de la République : aux professeurs des écoles, aux enseignants du secondaire, aux universitaires, aux chercheurs, à tous les agents. A tous ceux qui ont fait le choix de servir la connaissance et d’éveiller les consciences, je veux dire : vous êtes au service de la France ». Quelques heures après son investiture, François Hollande est venu parler de l’Ecole devant les quelques centaines d’invités et la statue de Jules Ferry.
Devant le président de la République il y a des collégiens de l’académie de Paris, par exemple de Villon (14ème) et Monet (13ème). Après une assez longue attente, ils suivent avec passion l’arrivée du président et jouent des coudes pour lui serrer la main. « Les enfants sont heureux » nous confie Marie-Pierre Duquesnoy, CPE du collège F. Villon. L’établissement a été prévenu la veille de sa participation à la cérémonie présidentielle. « Les élèves savaient qui était François Hollande. Par contre il a fallu leur rappeler qui était Ferry ». A coté des collégiens, 2 à 300 invités. Il y a des politiques, anciens ministres ou élus proches du PS. Mais l’essentiel du public vient de l’éducation nationale. Les leaders syndicaux sont là. Mais aussi les experts éducation proches du président, des historiens, des sociologues, les dirigeants des mouvements de jeunesse ou pédagogiques.
Fallait-il honorer Jules Ferry ? François Hollande n’est pas le premier. Et pratiquement tous les ministres de l’éducation nationale ont utilisé cette figure devenue consensuelle. Car Claude Lelièvre le rappelle : Jules Ferry, « le tonkinois », était en son temps détesté par la droite et haï par la gauche radicale. F. Hollande précise qu’il est venu honorer l’homme de la loi sur la gratuité de l’enseignement primaire et de la loi sur le caractère laïque et obligatoire de l’école. Il rappelle aussi les écarts colonialistes de Jules Ferry.
Aux acteurs de l’Ecole, F. Hollande parle valeurs. « C’est ce message de confiance à l’égard de l’éducation nationale que je suis venu exprimer ». Le président salue l’école « lieu d’émancipation » et d’égalité. Il promet même de mettre les valeurs de l’école au sommet de la société. Il vante « une nouvelle hiérarchie de valeurs au sommet de laquelle se situera la science, l’intelligence, la recherche, la volonté d’apprendre et de transmettre ». Mais il parle aussi de l’école « comme lieu de l’égalité des chances, celle qui ne connaît comme critère de distinction que le mérite, le travail et l’effort », un vocabulaire plutôt porté par la droite jusque là.
Mais c’est aussi un programme que le nouveau président présente. « L’égalité impose la justice entre les territoires », affirme-t-il « J’ai décidé que priorité sera accordée aux écoles de quartiers populaires et de certaines zones rurales abandonnées ». Il réitère son engagement de créer 60 000 postes de personnels d’éducation durant le quinquennat. Il promet de « rétablir la formation des enseignants ». Une annonce particulièrement bien accueillie par les invités.
Les engagements du président
Il a mis l’éducation en tête de son programme électoral. Le candidat socialiste s’est largement exprimé sur ses intentions et ses projets durant la campagne, à Pierrefitte en janvier, puis à Orléans en mars. Ils dessinent un nouveau destin pour l’Ecole.
« Refondation », « redressement moral et intellectuel », A Orléans, François Hollande a placé l’enjeu de la reforme scolaire très haut. « C’est un nouveau contrat entre l’école et la Nation, un pacte éducatif » qu’il propose, « une réforme globale ». » La France, parce qu’elle est une République, entretient un rapport particulier, privilégié, à son Ecole », déclare-t-il. « C’est le résultat d’une longue histoire, une longue et belle histoire… La liberté humaine, l’émancipation de la personne, l’établissement de la démocratie, supposent une éducation, un apprentissage, une culture, un savoir, des connaissances, mais aussi des combats « . Or » jamais l’Ecole de la République n’a été à ce point attaquée, brutalisée, qu’au cours de ces cinq dernières années, dans ses moyens bien entendu, et tout autant dans ses missions, mais surtout dans ses valeurs. Il va nous falloir rectifier cette erreur qui est une faute, la corriger, la réparer ».
60 000 postes pour quoi faire ?
La mesure la plus significative est le recrutement de 60 000 personnels d’éducation tout au long du quinquennat. Ce n’est pas le retour des 80 000 postes supprimés par N. Sarkozy. Mais cela fait de l’éducation une vraie priorité puisque ces postes seront prélevés sur les autres ministères. A cela s’ajoutera sans doute un transfert de moyens du lycée vers le primaire, qui est, on le verra, la priorité éducative. Les 60 000 postes ne sont pas que des postes d’enseignants et ne concernent pas que l’enseignement scolaire. Le candidat a précisé que 5000 seront destinés au premier cycle universitaire pour l’accueil des anciens lycéens. Une proportion inconnue concernera des personnels d’éducation non-enseignants. Reste que trouver plusieurs dizaines de milliers d’enseignants alors que les concours de recrutement n’arrivaient même pas à alimenter le petit ruisseau des postes mis aux concours demeure problématique.
Lutter contre l’échec scolaire
« L’échec scolaire n’est pas une fatalité ! Non, la réussite des uns ne se nourrit pas forcément de l’échec des autres ! On veut trop souvent nous faire croire que pour que les uns réussissent les autres devraient échouer ! Les raisons de l’ampleur de l’échec scolaire en France sont ailleurs, dans cette “machine à trier” qu’est devenue notre Ecole », affirmait F Hollande en mars. Mais comment faire ? « On reviendra sur l’assouplissement de la carte scolaire, sans pour autant revenir à la carte antérieure », a précisé V. Peillon, alors « Monsieur éducation », durant la campagne de F Hollande. « Il faudra revoir le mode d’affectation des personnels » et « augmenter le nombre d’adultes dans les établissements les plus difficiles », avait annoncé F. Hollande en janvier, avec l’objectif d’affecter des personnels expérimentés dans les établissements prioritaires mais sans préciser comment faire. Luc Chatel avait mis en place une procédure d’affectation extraordinaire pour les établissements Eclair sans réussir à alimenter les établissements.
François Hollande veut aussi créer un nouveau métier. « Il y a un nouveau métier qu’il conviendra d’introduire dans nos établissements. C’est le métier chargé de la prévention et de la sécurité dans les établissements qui sera affecté de façon permanente dans les lieux où il y a le plus de difficultés. Nous aurons dans les établissements un personnel formé, en lien avec les équipes pédagogiques qui pourra prévenir les phénomènes de violence ». Ces nouveaux agents seront des personnels éducatifs fonctionnaires.
Priorité au primaire
François Hollande veut porter son effort en priorité sur le primaire. » J’ai décidé de faire de l’école maternelle et de l’enseignement primaire une priorité de mon action », a-t-il promis à Orléans. Il a annoncé le renforcement de l’encadrement au primaire, inférieur effectivement à la moyenne des pays de l’OCDE. » Je m’engage à ce que le principe dit “de plus d’enseignants que de classes” soit adopté et mis en oeuvre ». Il créera aussi une obligation d’accueil en maternelle à 3 ans et promet une remontée du taux de scolarisation pour les enfants de moins de 3 ans en zone prioritaire. Parallèlement, F Hollande va supprimer les évaluations nationales qui seront remplacées par des évaluations indépendantes probablement par sondage. Ces évaluations avaient été très critiquées par le Haut Conseil de l’Education sur leur qualité. Les programmes très critiqués de 2008 seront revus. Il veut aussi revenir sur les programmes de 2008. F Hollande veut aussi une réforme des rythmes scolaires sur l’année et sur la semaine. C’est à dire le passage de 4 jours de classe par semaine à 4 jours et demi.
Dans le secondaire
Sur le collège, F. Hollande s’oppose aux orientations précoces que Luc Chatel a multipliées. « Ce qui fait la force des systèmes éducatifs qui marchent le mieux, c’est l’importance et la durée du tronc commun. C’est pourquoi je refuse totalement les orientations précoces proposées par l’actuel gouvernement. Vouloir orienter les élèves dès la fin de la cinquième, c’est accentuer les défauts de notre système, c’est trier encore et plus tôt, c’est aggraver encore les inégalités ».
Pour le lycée, François Hollande veut aller vers des lycées polyvalents associant général, technologique et professionnel, sans fixer d’objectifs précis. Il souhaite une réforme de l’orientation au bénéfice de l’enseignement professionnel. Les filières supérieures courtes devront faire place aux bacheliers technologiques et professionnels.
Et le métier…
« La revalorisation, on ne s’interdit pas d’y penser » avait déclaré Vincent Peillon le 12 avril. Le responsable éducation de François Hollande sait que « les enseignants français sont mal payés, nettement en dessous des salaires des autres pays développés ». Il sait aussi que tout effort de recrutement de nouveaux enseignants sera vain s’il n’y a pas de revalorisation. Enfin il fait le lien entre revalorisation, évolution du métier d’enseignant et réforme des rythmes scolaires. « Si on veut modifier les rythmes scolaires, avec deux semaines de vacances en moins, il faudra bien négocier une compensation salariale ». Mais la revalorisation « sera compensée par une réattribution de moyens ». Les horaires du lycée seraient revus à la baisse pour dégager ces moyens. Quant à savoir quels enseignements seront visés…
Le plus urgent pour le nouveau président semble être le rétablissement de la formation des enseignants. Outre le rétablissement de l’année de stage, il rétablira « une formation initiale et continue digne de ce nom » c’est dire que l’année de stage sera rétablie. Les enseignants seront formés dans des Ecoles supérieures du Professorat et de l’Education, au sein des universités, qui remplaceront les IUFM.
Un plan numérique
Auparavant, le 30 mars, Vincent Peillon a annoncé « un grand plan numérique » pour l’Ecole. Il envisage un plan d’équipement des écoles primaires dans le cadre d’un accord négocié avec les collectivités locales. La production de produits pédagogiques serait encouragée au sein de l’éducation nationale et avec des aides pour le privé. V Peillon a notamment mentionné la production de serious games. Pour lui c’est un enjeu national. Si rien n’est fait, ce sont des produits anglo-saxons qui vont s’imposer, or « ils ne partagent pas toujours nos valeurs ». Enfin il tient à ce que ces ressources soient « validées par des pédagogues. » Une plate forme unique, gratuite, publique, centraliserait les produits pédagogiques réalisés par l’éducation nationale et les grands établissements publics. Elle indexerait toutes les ressources et les proposerait en téléchargement gratuit aux enseignants et aux familles. Interrogé par le Café, V Peillon précise que l’Etat ne « doit pas se substituer aux associations ou aux enseignants qui produisent aujourd’hui des contenus. Il doit les aider et permettre le changement d’échelle, « faire en sorte que toutes les ressources qui existent soient fédérées ». Cette plateforme « permettra une cohérence pédagogique ». Du côté des élèves, V Peillon s’est prononcé pour l’apprentissage systématique du clavier par les élèves dès l’école primaire. Il propose que toutes les terminales générales et technologiques bénéficient d’une option numérique, une opportunité qui n’existe aujourd’hui qu’en terminales S et STI2D. Interrogé par le Café, il précise que seront enseignés l’apprentissage de l’informatique, la validation des informations sur Internet, l’utilisation de didacticiels et l’économie numérique. L’option pourrait donc être davantage tournée vers les usages que le nouvel enseignement de spécialité ISN du bac S.
Quel calendrier ?
La plupart de ces mesures demanderont du temps. D’après V. Peillon, juste après les législatives, à la mi-juillet le nouveau ministre amorcera la négociation avec les syndicats sur la nouvelle école supérieure du professorat, la réforme des rythmes scolaires et le métier d’enseignant. Le débat pourrait durer jusqu’en septembre mais une loi de finances et une loi de programmation devraient être adoptées en septembre. Mais avec une rentrée préparée par le gouvernement précédent les problèmes n’attendront pas. « Il faudra revenir sur certaines suppressions de poste et fermetures de classe décidées sous Chatel », avait déclaré V. Peillon. Il avait cité notamment les Rased (1 500 suppressions de postes à la rentrée), les temps de formation des stagiaires, certaines classes fermées dans les quartiers prioritaires. « On ne pourra dans un premier temps apporter qu’une réponse partielle », souligne V Peillon.
Sur le site du Café
|