La
Discussion à Visée Philosophique, Stéphanie Fontdecaba, en
classe multiniveaux CE-CM, y a goûté par hasard. Dans sa petite école
de Duilhac sous Peyrepertuse (Aude), elle a eu la surprise de voir les
« petits parleurs » éclore progressivement, malgré l’exigence des
situations. Et si elle ajuste régulièrement son dispositif, il est
devenu un moment-clé de sa pratique de classe.
Quel a été l’origine (la personne,
l’évènement, la rencontre…) de votre projet ?
Je pratiquais la Discussion à Visée Philosophique depuis 4 ans dans
cette classe de CE-CM lorsque j’ai participé à un atelier « rando-philo »
animé par Michel Tozzi et Sylvie Floch’lay aux rencontres du
CRAP-Cahiers Pédagogiques en aout 2010. J’ai particulièrement apprécié
le fait de ne pas être tout le temps en grand groupe pour mener la
réflexion. L’alternance seul, trinôme, groupe « classe », et surtout le
fait qu’un rapporteur par trinôme doive mémoriser et dire le point de
vue des autres, me semblait une bonne solution pour qu’enfin tous les
élèves prennent part à la discussion, même indirectement. Dès la
rentrée, j’ai imaginé un dispositif calqué sur celui que j’avais vécu
lors de l’atelier. Mais il s’est avéré irréaliste. Il a donc fallu que
je le transforme pour l’adapté à l’âge et aux capacités des élèves, à
l’environnement et au temps scolaire.
Pouvez-vous décrire, du point de
vue
des activités menées avec les élèves, une situation dans laquelle vous
avez vu un impact positif sur les apprentissages scolaires ou de la
mobilisation des élèves ?
La Discussion à Visée Philosophique apporte énormément aux élèves et au
groupe sur le long terme.
Ce qui frappe les observateurs extérieurs, c’est la capacité d’écoute
des élèves, la tolérance face aux avis divergents et le calme de la
discussion.
Au point de vue des apprentissages, tous ceux qui prennent
régulièrement la parole font des progrès en langue oral et atteignent
facilement le palier 2 du socle commun ( Participer aux échanges de
manière constructive : rester dans le sujet, situer son propos par
rapport aux autres, apporter des arguments, mobiliser des
connaissances, respecter les règles habituelles de la
communication, s’exprimer dans un vocabulaire approprié et précis.)
Selon vous, quel est/a été la plus
belle réussite de ce que vous avez pu mettre en œuvre ?
Au tout début de la mise en place de la Rando-philo, ce qui m’a le plus
agréablement surpris, c’est de pouvoir enfin entendre les idées et
points de vue des « petits parleurs ». L’effectif de la classe étant
nombreux et très hétérogène (plus de 25 élèves de quatre âges
différents), les années précédentes, certains élèves ne prenaient
jamais la parole. Le fait de discuter en trinôme, et de nommer un
rapporteur par trinôme, nous a fait entendre, par la voix d’un autre,
les idées des « petits parleurs ». Et ces idées ont souvent fait avancer
la réflexion d’une manière nouvelle.
Et a contrario, une difficulté
persistante, un écueil que vous n’aviez pas mesuré complètement ?
Les différents observateurs ont beaucoup de mal à comprendre la notion
d’argument et à les prendre en note. Je n’ai pas encore trouvé de
séance adaptée à l’hétérogénéité de la classe pour leur apprendre à
faire la distinction fine entre argument et exemple. Mais je cherche…
Pourriez vous préciser ce que ça vous
demande, à vous… ?
Je m’informe au plus près sur ce qui se pratique dans le domaine
de la DVP à l’école. Je lis régulièrement essais et articles afin de
piocher des idées pour améliorer mon dispositif et permettre aux élèves
de mieux s’approprier certaines compétences.
Je participe le plus souvent possible à des ateliers animés par des
spécialistes du domaine (Michel Tozzi, Sylvain Connac) pour vivre des
discussions en tant que discutant ou observateur et pour me rendre
compte de ce que cela demande comme compétences.
Ces ateliers m’ont par exemple fait déplacer la séance dans mon emploi
du temps, lorsque je me suis rendue compte de la concentration et de
l’attention que cela me demandait de suivre une telle réflexion.
Depuis, la récré suit la séance de rando-philo afin que les élèves
puissent se ressourcer.
Quelques exemples de questions
proposées par des élèves qui ait donné
lieu à des échanges intéressants, selon vous, dans les dernières
semaines/mois ?
– Pourquoi ne peut-on pas voler les objets des autres ?
– A quoi sert le Quoi de Neuf ?
– Être amoureux, c’est quoi ?
– Est-ce difficile d’être malade ?
– Pourquoi fait-on des bêtises ?
– Pourquoi sommes nous obligés de mourir ?
– A quoi sert l’école ?
Pouvez-vous
nous faire partager une anecdote significative d’un comportement, d’une
réaction d’élève(s) au cours d’une des phases de votre travail ?
Les élèves veulent avoir un rôle pendant la discussion mais sont tous
très frustrés de ne plus alors pouvoir donner leur avis. Avoir un rôle
est gratifiant, cela leur donne une responsabilité et une distinction
particulière dans le groupe, mais cela demande tellement de
concentration qu’il est impossible de prendre part à la discussion. Les
élèves aimeraient pourvoir cumuler les deux.
Si c’était à refaire, pouvez vous
citer une phase du projet que vous pourriez modifier pour le rendre
plus « efficace » pour les élèves ?
Ce dispositif est un travail de long terme. Il y a une séance tous les
quinze jours depuis deux ans. Il a déjà beaucoup évolué et continue
encore de s’améliorer à chaque nouvelle séance. Ce qui manque
d’efficacité à ce jour, c’est la recherche du « philosopher ». Les
élèves, par leur jeune âge, multiplient les exemples au lieu
d’argumenter leur pensée. J’aimerais pousser plus avant leur réflexion.
Un point de vue, une remarque que vous
souhaiteriez partager avec les lecteurs du Café Pédagogique ?
Tentez l’aventure de la Discussion à Visée Philosophique : cela apporte
tellement au groupe et aux élèves qu’il serait dommage de passer à côté.