Par François Jarraud
Les lycéens sont-ils trop jeunes pour débattre des enjeux économiques et sociaux contemporains, interrogent Marjorie Galy, présidente de l’Apses, Massira Baradji, président de la Fidl et Marie Hertzog, présidente du SGL. En effet, selon eux, les nouvelles épreuves de sciences économiques et sociales du bac ES évacuent toute réflexion critique et invitent au bachotage le plus classique. Or la crise économique montre la nécessité du débat sur les questions économiques et sociales.
A la session 2013, les lycéens de la série ES devraient essuyer les plâtres de nouvelles épreuves de baccalauréat en sciences économiques et sociales : conséquence de l’empilement de savoirs de plus en plus désincarnés dans les nouveaux programmes publiés malgré leur rejet par le Conseil Supérieur de l’Education, les nouvelles épreuves accroissent l’importance de la pure récitation de connaissances. A rebours des évolutions de l’Ecole et de la société, les concepteurs des nouvelles épreuves vont jusqu’à préciser que les intitulés des questions ne doivent pas inciter les élèves à répondre sous forme de débat ! Ainsi, les exemples officiels de nouveaux sujets demandent-ils aux élèves « Quelle est la contribution de l’école à la cohésion sociale ?» sans même imaginer que l’Ecole puisse participer à la reproduction des inégalités, ou de réciter leurs cours avec le sujet « Comment peut-on expliquer les échanges internationaux de marchandises ? » au lieu de discuter des bienfaits respectifs du libre échange et du protectionnisme. Le ministère a-t-il peur que les élèves et leurs professeurs abordent en classe les questions qui font l’actualité quotidienne ? Les lycéens sont-ils trop jeunes pour comprendre les enjeux économiques et sociaux de leur temps ? A quoi cela sert-il d’apprendre si ce n’est pour utiliser ses connaissances pour construire une réflexion personnelle rigoureuse et nuancée ?
Pourtant, les SES, on devrait commencer à le savoir, sont une réussite : hausse constante des effectifs depuis leur création il y a près de 50 ans, satisfaction des lycéens qui ont le sentiment d’apprendre des connaissances utiles pour comprendre le monde, réussir dans les études supérieures et s’insérer professionnellement. Pourquoi, depuis 2007, avoir tout fait pour réorienter radicalement les programmes et les finalités d’un enseignement qui marche ? Le comble : c’est au moment où cette opération est menée à son terme malgré ses incohérences et son illégitimité, que la crise économique et sociale rend criante l’obsolescence des cloisonnements entre sciences sociales, les limites de la formalisation et du technicisme déconnectés de l’histoire économique et sociale, les errements de l’absence de pluralisme en science économique. Voudrait-on rendre l’enseignement des SES moins attractif ?
Enfin, on ne peut que s’interroger sur le caractère improvisé et précipité de ces changements. Pourquoi ces nouvelles épreuves n’ont-elles pas donné lieu à une large concertation et à des expérimentations préalables sur des classes de lycéens comme cela a toujours été le cas par le passé ? Ces nouvelles épreuves ne veulent-elles pas améliorer l’évaluation et donc la formation des lycéens en SES ? Pourquoi ne pas s’en assurer avant de les appliquer à l’échelle nationale ? Les futurs bacheliers de la session 2013 n’ont pas à être les cobayes involontaires des lubies de quelques personnes au Ministère de l’Education nationale.
Dans toutes les disciplines, il existe une tension féconde entre, d’une part, la réussite des élèves au baccalauréat, et, d’autre part, la formation, à plus long terme, de citoyens éclairés. Les nouvelles épreuves du baccalauréat en SES, couplées aux nouveaux programmes, renversent radicalement cette tension en incitant les élèves et leur professeur au bachotage au détriment de la formation à l’esprit critique nécessaire à toute démarche intellectuelle et à la construction de la citoyenneté de jeunes qui ont –ou auront rapidement- l’âge de voter.
Il y a là un mépris inacceptable des élèves et de leurs enseignants. C’est pourquoi nous demandons un moratoire sur l’application des nouvelles épreuves de baccalauréat et la mise en place, enfin, d’une véritable concertation. On ne réforme pas l’école contre les élèves et leurs professeurs.
Massira Baradji, président de la Fidl (Fédération indépendante et démocratique lycéenne), Marie Hertzog, présidente du SGL (Syndicat général des lycéens), Marjorie Galy, présidente de l’APSES (Association des professeurs de sciences économiques et sociales)
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