Une dizaine de villes françaises ( Quimper, Toulouse, Bayonne, Ajaccio…) ont été le théâtre samedi 31 mars de manifestations généralement assez importantes organisées par des associations de défense des langues régionales et minoritaires qui réclament l’engagement des candidats aux présidentielles de ratifier la « Charte européenne ». Claude Lelièvre vous rappel l’historique de cette charte et la position des décideurs depuis 1992. Aujourd’hui, cet engagement a déjà été pris formellement par trois des candidats : Eva Joly, François Bayrou et François Hollande ( c’est même l’une de ses « 60 propositions » ).
Il y a une vingtaine d’années – le 5 novembre 1992 – le Conseil de l’Europe a adopté une « Charte européenne des langues régionales et minoritaires » au nom d’ « une Europe fondée sur le principe de la démocratie et de la diversité culturelle ». Le préambule déclare « imprescriptible » le droit à la pratique des langues régionales « dans la vie publique et privée ».
Contrairement à la plupart des pays de la Communauté européenne, la France a refusé de signer la Charte. Le gouvernement, les ministères des Affaires étrangères et des Affaires européennes disent se donner « un temps de réflexion ». Les raisons invoquées sont que la Charte va à l’encontre de l’ « identité républicaine » et de l’ « égalité des citoyens » de la Constitution française, et que le traité de Villers-Cotterêts de 1539 impose l’usage du français ( au lieu du latin ) dans les affaires judiciaires.
Toutefois, Jack Lang ( qui vient de succéder à Lionel Jospin à la tête du ministère de l’Education nationale dans le nouveau gouvernement socialiste dirigé par le premier ministre Pierre Bérégovoy ) s’enflamme publiquement pour la signature de la Charte , dès janvier 1993, en relevant la « contradiction » entre l’action qu’il mène en faveur des langues régionales au sein même de l’Education nationale, et le refus de la France de signer. Mais il n’obtient pas gain de cause, même auprès de François Mitterrand.
François Bayrou, qui succède à Jack Lang à la tête du ministère de l’Education nationale au printemps 1993 ( dans le gouvernement RPR-UDF dirigé par le premier ministre Edouard Balladur ) est lui aussi un « européen » très convaincu et un partisan résolu de l’enseignement des langues régionales. Il annonce une « ère nouvelle, celle de la reconnaissance des langues et cultures régionales ». Et il commence même à mettre en place des initiatives concrètes allant dans le sens d’une forte « régionalisation ». Mais le combat pour l’abrogation de la loi Falloux, perdu en janvier 1994, infléchit le rapport de force, notamment avec certains syndicats enseignants qui ne veulent pas aller très loin en ce sens ; ce qui amène François Bayrou à renoncer à ces projets.
Claude Allègre, le ministre de l’Education nationale qui lui succède dans le nouveau gouvernement socialiste dirigé par le premier ministre Lionel Jospin, déclare très clairement quel est l’ordre de ses priorités en matière de langues le 29 avril 2001 sur France Inter : « La première priorité, c’est le français ; la deuxième priorité, c’est de parler anglais ; les langues régionales, cela vient après » . Et, pour faire bonne mesure, il s’en prend publiquement à l’ancien ministre socialiste de l’Education nationale Jack Lang « qui veut former des bergers parlant breton, alors que nous avons besoin d’informaticiens parlant anglais ».
Une dizaine d’années après, allons nous assister à la ‘’revanche’’ de François Bayrou et de Jack Lang, et à la signature de la « Charte européenne des langues régionales et minoritaires » ? A « l’Histoire » ( ou plutôt aux électeurs ) de trancher…
Claude Lelièvre