Par François Jarraud
« Et si la peur d’enseigner était normale ? », interroge Serge Boimare dans un nouvel ouvrage publié chez Dunod. Quel professeur n’a pas éprouvé un sentiment d’impuissance devant un élève que rien ne touchait ? Ou de colère devant des provocations ? Ou de peur devant les excès d’un groupe d’élèves ? Tous ces sentiments traversent une carrière normale d’enseignant. Heureusement ils ne sont pas les seuls !
Auteur de « L’enfant et la peur d’apprendre », Serge Boimare revient sur les difficultés du métier d’enseignant mais cette fois ci coté professeur. La peur d’enseigner renvoie à notre incapacité à faire face à certains élèves. Et donc à la nécessité de comprendre ce qui se passe chez eux. Et déjà de casser le carcan où nous enferment les instructions officielles, particulièrement les « aides » imposées du primaire au lycée, le conformisme ambiant ou simplement l’absence de formation.
Psychopédagogue, longtemps instituteur, Serge Boimare a aussi des solutions à proposer. Elles se construisent autour d’idées fortes. Ces élèves qui font peur sont ceux qui « ont peur d’apprendre ». Il faut travailler avec eux l’expression et le sens du groupe. Pour cela le patrimoine culturel est le bon chemin qui permettra de dépasser les émotions et de faire grandir ces jeunes.
Un travail long, d’équipe chez les enseignants, à contre courant des postures rigides et des idées simples qui sont revenues à la mode. L’ouvrage s’appuie sur une certitude : tous les enfants doivent accéder à la culture pour se construire. La vraie culture, celle qui libère et affranchit.
Serge Boimare, La peur d’enseigner, Dunod, 162 p., 2012.
Boimare : « Il faut rompre avec l’idée que les difficultés d’apprentissage sont à interpréter en terme de manque »
Dans cet entretien, S. Boimare explique sa démarche et les solutions qu’il propose à « la peur d’enseigner ».
La peur d’enseigner que vous évoquez dans votre ouvrage a-t-elle à voir avec la peur d’apprendre, sujet de votre livre de 2004 ?
Il y a un rapport en ce que la peur d’apprendre provoque chez les enseignants cette peur d’enseigner. C’est particulièrement vrai quand le professeur s’installe dans un protocole où pour aider l’élève il essaye de combler des manques.
D’où vient la peur d’enseigner ?
Il y a une cause profonde : une formation insuffisante des enseignants surtout dans la capacité à gérer un conflit ou à gérer un groupe. La peur d’enseigner est un sentiment normal pour l’enseignant quand il est confronté à l’opposition d’élèves qui s’ennuient ou qui provoquent. Ca déstabilise le professeur. Face à eux il faut une autre approche pédagogique qui puisse répondre à l’hétérogénéité des élèves. Plus la classe est hétérogène, plus il faut lui donner un patrimoine commun, quelque chose qui crée le groupe. Il faut rompre avec l’idée que les difficultés d’apprentissage sont à interpréter en terme de manque alors que deux fois sur trois elles relèvent d’un fonctionnement intellectuel singulier qui relève de l’évitement de penser.
Comment l’élève en arrive-t-il à cet évitement ?
Il y a des enfants qui arrivent à l’école sans compétence psychique pour apprendre. L’apprentissage implique une confrontation avec le manque et l’attente, la solitude. Dans cette situation, ces enfants sont pris par un sentiment parasite, une émotion trop forte. Pour eux le moment de doute est désorganisateur et ils construisent des stratégies pour l’éviter. Ce n’est pas par des exercices d’entrainement qu’on va les sortir de ces difficultés.
Alors comment faire ?
Certainement pas en mettant l’accent, comme le font les instructions officielles actuelles, les programmes Darcos de 2008, ou les médias, sur les apprentissages rigoureux ! Ces instructions brident la créativité des enseignants. Or ils en ont besoin pour construire une relation positive avec leurs élèves. La bonne réponse serait certainement d’encourager le travail d’équipe des enseignants. Quand ils confrontent leurs pratiques, le désir d’innover, d’expérimenter arrive vite, et c’est très stimulant.
Dans votre ouvrage vous évoquez longuement « l’heure de culture humaniste » comme une réponse à cette peur d’enseigner.
Cette heure permet le contact direct avec les grandes œuvres culturelles de l’humanité. Ce nourrissage culturel aide les enfants empêchés d’apprendre à structurer leur pensée. On peut citer les récits sur les origines ou encore les situations qui présentent les opérations mathématiques dans ces récits. Je cite l’exemple du conte de « la gardienne d’oie » où entrent en jeu la distance, le temps. C’est très efficace pour présenter le sens des opérations.
N’y a-t-il pas un risque à parler des origines avec les élèves ?
Il y a plus de risque à ne rien faire. C’est grave de laisser un enfant face à une pensée chaotique. A partir du moment où on s’appuie sur une œuvre culturelle, on peut plus facilement répondre aux préoccupations des élèves en le resituant par rapport au récit.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur Les enfants empêchés d’apprendre
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