C’est un contentieux qui est actuellement en plein développement mais qui, souvent, fait l’objet d’une appréciation erronée de la part de ceux qui s’en croient victime, la difficulté étant de trouver la limite entre ce qui est l’exercice normal du pouvoir de direction ou de sanction par l’autorité hiérarchique et le harcèlement moral.
I) Les textes applicables et l‘esprit de la loi
Jusqu’en 2002, une protection contre le harcèlement moral pouvait être mise en œuvre essentiellement dans le cadre de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires.
À la suite, notamment, des dispositions de la Charte sociale européenne (révisée) du 3 mai 1996 et de l’adoption de deux directives communautaires prohibant le harcèlement et organisant la protection des victimes, la notion de harcèlement moral est apparue en tant que telle dans le statut général des fonctionnaires à la faveur de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale modifiée, qui en fait également un délit pénal.
Pour les fonctionnaires, c’est l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 précitée qui précise la nature et l’origine des agissements de harcèlement moral, ainsi que les sanctions applicables à leurs auteurs. Vous noterez que l’injonction de commettre des actes relevant du harcèlement moral est également sanctionnée.
Cet article 6 quinquies précité dispose que :
« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération :
1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;
2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;
3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés.
Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus.
Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. »
Mais, cerner la notion de harcèlement moral n’est pas toujours facile, surtout à partir des seuls textes applicables aux fonctionnaires.
C’est pourquoi, la jurisprudence a, au fils du temps, précisé la notion juridique de harcèlement et encadré les situations dans lesquelles le harcèlement moral est constitué.
II) Les conditions à remplir
Trois conditions cumulatives sont à remplir pour qualifier un comportement de harcèlement moral :
· Il doit s’agir d’agissements répétés de harcèlement moral. Le terme d’agissement recouvre tous les actes qui produisent des effets mais aussi l’abstention d’actes qui devraient exister dans une relation normale de travail, comme par exemple l’absence de convocation à des réunions de travail, le refus de saluer, la non communication systématique de documents, la mise à l’écart, etc. Il faut aussi que ces agissements soient répétés, à intervalles rapprochés mais sur une période assez longue. Ce critère exclut donc les actes isolés.
· Il faut que ces agissements répétés aient pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail. Le terme objet est ici essentiel car il signifie que ces agissements n’ont pas à avoir des effets concrets mais que la seule volonté de dégradation des conditions de travail suffit à qualifier le harcèlement moral. La notion de dégradation des conditions de travail est plus vaste et beaucoup plus suggestive, il est donc difficile d’entrer dans les cas particuliers. Précisons toutefois, que la dégradation des conditions de travail devra être indifférente à l’exercice normal de l’autorité du Chef de service. Ce sera le cas par exemple de convocations fréquentes dans le bureau du Chef d’établissement pour de longs entretiens sans but précis, pour des convocations répétées à des taches autres que celles de professeur, pour des exigences exagérées au regard de celles imposées aux autres collègues, pour des remarques désobligeantes en public visant à remettre en cause vos compétences professionnelles, etc.…
· Ces agissements devront être « susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Une fois encore le terme susceptible sous-entend qu’il ne sera pas nécessaire de démontrer que les agissements visés ont concrètement porté atteinte à vos droits et à votre dignité, altéré votre santé physique ou mentale ou compromis votre avenir professionnel. La seule démonstration de cette probabilité suffira à constituer le préjudice.
Vous l’aurez sans doute compris, ces trois conditions étant cumulatives, toutes les situations de travail humiliantes ou dégradantes ne sont pas pour autant des situations de harcèlement moral. Quelques exemples concrets s’imposent donc.
Sont constitutifs de harcèlement moral les comportements suivants :
- Une surveillance tatillonne du travail, sollicitant la remise de rapports très fréquents pour des tâches mineures,
- Des ordres contradictoires, une réorganisation du travail permanent dont l’agent n’est jamais tenu informé,
- L’octroi de missions impossibles à réaliser, de délais impossibles à tenir afin de prouver une insuffisance professionnelle,
- Une mise au placard,
- Le transfert des responsabilités de l’agent à un stagiaire moins expérimenté, la mise à l’écart de ses missions habituelles,
- Des propos humiliants en présence de subordonnés en vue de discréditer l’autorité de l’agent dans son équipe,
- La manifestation d’une irritabilité en présence de l’agent, le fait de lui couper la parole ou de l’invectiver brutalement et quotidiennement devant ses collègues,
- Le fait de lui ôter tout pouvoir de signature, de mettre en doute son honnêteté après des années d’ancienneté et une notation irréprochable,
- Le fait de diminuer sa notation et d’entraîner l’échec de toute avancée promotionnelle,
- Le fait de se moquer de l’agent ou d’en faire l’objet de dérision, colportant de fausses rumeurs ou des insinuations malveillantes,
- Le fait de ne donner aucun poids ni aucun intérêt à ses propos, ses notes ou son travail,
Ce que résume, en grande partie, cet arrêt du Conseil d’Etat du 24 novembre 2006 (Madame B. n°256313) :
« les relations de celle-ci avec sa hiérarchie et notamment avec la responsable de ce service se sont rapidement dégradées (…) multipliant à cette occasion les consignes inutilement tatillonnes y compris pour les tâches les plus simples dans lesquelles la requérante a été progressivement confinée ; que celle-ci a vu son comportement et ses capacités professionnelles systématiquement dénigrés, dans des termes souvent humiliants pour un agent de son ancienneté et son honnêteté mise en doute à plusieurs reprises, sans que jamais une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ou de sanction disciplinaire ait été engagée à son encontre selon les formes et avec les garanties prévues par son statut ; (…) que d’autre part, alors même que Mme B., à de nombreuses reprises, attiré l’attention du directeur de l’Office(…) sur ces difficultés, il ne résulte pas de l’instruction qu’aucune mesure ait été prise pour mettre un terme à cette situation, qui a conduit au placement de la requérante en congé de maladie pour un état dépressif (…) ont excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. »
III) La procédure
Elle peut être résumée par les dispositions de l’Article L1154-1 du code du travail :
Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
(Les dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-4 concernent les agissements de harcèlement sexuel)
La procédure devant le Juge est donc simple :
1) Le harcelé dénonce les faits de harcèlement dont il se prétend victime ;
2) Le présumé harceleur prouve que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
3) Le Juge tranche en enquêtant au besoin.
Si cette procédure semble, a priori, simple et facile, notez qu’il vous faudra apporter la preuve de ce que vous soutiendrez et que vous devrez, au préalable, bien faire la différence entre ce qui relève de l’exercice normal de l’autorité hiérarchique et ce qui relève du harcèlement moral.
C’est pourquoi, je ne saurai que trop vous inviter à demander conseil à un ou plusieurs spécialistes des relations de travail (avocat, juriste, syndicaliste, etc.) avant de vous lancer dans une procédure.
D’autant plus que, si votre action aboutit favorablement, la gestion des conséquences pourra être plus difficile que vous l’imaginez, quelques années s’étant généralement écoulées entre le début et la fin de votre contentieux.
Et que, pire encore, si vous échouez dans votre action en justice, cela pourra fort bien vous valoir, en retour, une procédure en dommages-intérêts, en abus de constitution de partie civile, en dénonciation calomnieuse, etc. de la part de votre adversaire.
C’est pourquoi, il semble sage de n’engager de poursuites pénales que dans les cas les plus graves et les plus démontrés de harcèlement.
Ce, d’autant plus, que vous pouvez fort bien demander l’intervention du médiateur académique ou du médiateur de l’éducation nationale et exercer un recours administratif, gracieux ou hiérarchique.
Laurent Piau
Laurent Piau, juriste, est l’auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF
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