Par François Jarraud
Ce livre est d’abord l’histoire d’une petite fille immigrée espagnole dans un petit village de l’est, qui se sent une dette envers l’école française qui lui a permis de devenir pédopsychiatre et directrice de la célèbre Maison de Solenn à Paris. Parce que, pour Marie Rose Moro, « le savoir engage ceux qui y accèdent » et que, depuis sa toute petite enfance, elle a un sacré sens de ce qui est juste.
C’est aussi celui d’une pédopsychiatre qui suit au quotidien les difficultés de certains enfants issus de l’immigration à l’école. Et qui sait qu’on peut les aider à condition d’accepter la diversité dans l’école. Spécialiste de l’ethnopsychanalyse et de la psychiatrie transculturelle, Marie-Rose Moro montre dans ce livre que la reconnaissance de la diversité à l’école bénéficie à tous. Loin d’être un « problème », les enfants issus de l’immigration ont des choses à transmettre. Ils peuvent être une chance pour tous les enfants de mieux se préparer à un monde globalisé et divers et aussi de mieux maîtriser sa propre culture par le détour de la diversité culturelle.
Ce n’est évidemment pas par hasard que ce livre sort en ce moment. Alors que la campagne du candidat de droite penche vers l’extrême droite, que le ministre de l’éducation veut réduire le nombre de langues vivantes au bac, le livre de Marie Rose Moro est celui d’un autre possible. Oui l’école française peut s’appuyer sur les enfants issus de l’immigration. Oui on peut lutter contre les préjugés et les stéréotypes. Oui le vivre ensemble peut l’emporter. Ce livre, qui se lit très facilement, est un formidable plaidoyer pour une autre école, une autre France et un autre avenir.
Marie-Rose Moro, Enfants de l’immigration, une chance pour l’école, Entretiens avec Joanna et Denis Peiron, Bayard, 2012, 180 pages.
Marie-Rose Moro : Diffusons les bonnes pratiques pour la diversité culturelle
M-R Moro revient sur son parcours et les difficultés qui accompagnent son livre. Et elle s’indigne des propositions de Luc Chatel sur les langues au bac. L’expérience de la rose des langues montre que le bilinguisme permet d’apprendre mieux.
Aujourd’hui le discours ambiant est plutôt hostile à l’immigration. Et vous dites que les enfants de l’immigration sont une chance pour l’école. Pourquoi ?
Je démontre que c’est un chance en m’appuyant sur mon expérience professionnelle et aussi sur ma conviction personnelle. L’immigration est une chance pour nos sociétés. A l’école c’est une chance pour les autres enfants, non-issus de l’immigration, de rencontrer la diversité, plusieurs langues, plusieurs histoires.
Pourtant dans le vécu des enseignants une école où il y a beaucoup d’enfants immigrés c’est une école où le niveau est faible et où il ya des problèmes.
Il y a des endroits où c’est vrai. Dans des zones d’enclavement urbain, où la grande pauvreté accroit la vulnérabilité des enfants. Il y a des endroits où se concentrent ces enfants vulnérables et où l’école a renoncé à appliquer les programmes et où on rentre dans un cercle vicieux. Mais ce sont des cas extrêmes. Dans la plupart des écoles il y a de la mixité. C’est de celles-là dont je parle. Et je sais, depuis le temps que je travaille à ces questions avec des enseignants, qu’il y a des pratiques pédagogiques qui encouragent l’interculturel. Le livre veut contribuer à les faire connaître.
Je pense par exemple à la « rose des langues » qu’a inventé à Grenoble Jacqueline Billiez. Elle permet de prendre conscience que personne n’est monolingue et que tous les enfants sont sensibilisés à plusieurs langues. Ailleurs, pour faire face à l’échec scolaire, on va sensibiliser les enfants en leur demandant de venir à l’école avec un conte. La simple introduction d’un objet bilingue modifie le rapport à l’école et autorise les enfants à s’exprimer. Voilà des pratiques qu’on pourrait répandre dans l’école. Mais on n’en est pas là.
Pourquoi cette résistance à la diffusion dans l’école ?
Il y a une sorte de préjugé sur le bilinguisme et les enfants de l’immigration qui fait qu’on n’arrive pas à investir sur les professeurs qui prennent en compte la réalité de la situation plurilingue. On sait que le bilinguisme est un avantage, qu’il permet d’acquérir de nouvelles compétences métacognitives en langue mais aussi bien au-delà de la langue. Une expérience a montré par exemple que les enfants bilingues savent mieux expliquer à une autre personne. Mais le bilinguisme doit affronter la hiérarchie des langues.
N’est ce pas un problème politique ?
Sous la IIIème République il y a eu l’idée que l’école arrachait l’enfant à sa langue maternelle pour lui offrir le savoir universel. On est toujours dans cette idée même si on sait que les enfants bilingues réussissent mieux..
Vous êtes pour une discrimination positive ?
Aujourd’hui les parents des familles favorisées savent bien dans quelles filières mettre leurs enfants, en classe européenne par exemple. L’idée c’est de réserver des places dans ces classes pour des enfants qui ont des compétences mais qui n’y vont pas spontanément. De favoriser leur accès à ces stratégies de choix. En fait c’est ce que recommande une résolution du parlement européen que la France a choisi de ne pas appliquer. Elle reconnait la vulnérabilité des enfants de migrants malgré leur désir de réussir. Et elle recommande de valoriser la langue maternelle de ces enfants, de la reconnaître, d’embaucher des enseignants ou des éducateurs qui représentent la diversité et de faire une place à l’école aux parents.
Vous seriez favorable au rétablissement de la carte scolaire ?
Je ne suis pas pour la contrainte d’autant que des parents savaient comment contourner la carte. Il faut plutôt valoriser l’échange.
Favoriser la langue maternelle n’est ce pas aller contre l’intégration ?
Quand je demande qu’on permette à tous les enfants d’accéder à toutes les filières scolaires je ne défend pas un modèle communautaire. L’objectif c’est bien d’être à l’aise dans la langue française. Mais pour cela il ne faut pas renoncer à sa langue maternelle. Bien au contraire le bilinguisme aide à maitriser les langues. Et il faut arrêter de laisser des enfants sur le coté de l’école.
Vous même vous êtes un exemple d’intégration. Que vous a apporté l’école française ?
J’ai été une élève heureuse. L’école m’a ouvert une perspective qui correspondait au rêve de mes parents. L’école m’a beaucoup donné grâce à un couple d’instituteurs qui valorisait la diversité et qui nous donnait confiance dans notre réussite.
Quels conseils donner aux enseignants aujourd’hui ?
Si je dois donner un seul conseil c’est l’importance de la reconnaissance de la langue et du savoir de chaque enfant. Il faut valoriser ces éléments.
Luc Chatel vient de faire savoir qu’il réfléchit à réduire le nombre de langues au bac. Est-ce une bonne mesure ?
Ca me rend furieuse ! Ca ne correspond pas aux nécessités des écoles. L’Ecole doit au contraire préparer les enfants à la diversité. J’espère que mon livre fera bouger ces préjugés.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur le site du Café
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