Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ce mois-ci, nous attirons votre attention :
– Sur le projet professionnel de reconversion de Marie-Claude Blin, professeur de musique, qui envisage de créer une auto-entreprise ;
– Dans le Primaire, les mutations sont en panne, conduisant des enseignants à quitter définitivement le métier ;
– Sur les secondes carrières réalisées par les enseignants du Primaire dans les RASED : l’Education nationale n’en veut plus !
– Sur les débats auxquels contribue Aide aux Profs sur le site Neswring, où vous pouvez aussi venir exposer votre opinion ;
– L’ouvrage publié début mars par Sylvain Grandserre et Emmanuelle Daviet : Qui va sauver l’école ? Sur les 10 questions posées aux 14 candidats à la présidentielle, une concerne les secondes carrières des enseignants ;
– La perspective d’un salaire unique, car peu progressif ensuite, pour l’enseignant «volontaire », d’après les propos du candidat Nicolas Sarkozy lors de son discours de Montpellier ;
– Le bilan des années 2003-2012 sur le front pionnier de la seconde carrière des enseignants : mitigé…
Marie-Claude Blin, professeur de musique depuis 17 ans, se passionne pour la création de chapeaux
Quel a été votre parcours de carrière, et pourquoi aviez vous choisi d’enseigner ?
« J’ai poursuivi un double cursus d’études musicales: en conservatoire et à la Sorbonne. La pratique musicale avait ma préférence, mais j’assurais mes revenus par l’enseignement : animations musicales en milieu scolaire (en primaire) et instrument en école de musique.
Dès 1995, L’Education Nationale m’a permis de toucher un public plus large, la majorité de mes élèves collégiens ne fréquentant généralement pas les classes d’orchestre, loin s’en faut ! De même, je n’ai été titulaire de mon poste qu’après plusieurs années très mobiles, en tant que maître-auxillaire : des postes différents tous les ans, sur 2 établissements, avec des niveaux extrêmement hétéroclites, dans des salles parfois sans équipement aucun.
Toutefois, j’ai été vite surprise de m’entendre dire lors d’une inspection que je m’étais » fourvoyée » lors de mes expériences précédentes- » hors Education Nationale, point de salut » semblait-il, alors que de mon point de vue, les différents publics rencontrés m’avaient formée à différentes pédagogies, très enrichissantes et bien utiles devant les classes dites difficiles ».
Quelles compétences pensez-vous avoir développé dans ce métier ?
« Ces difficultés propres aux premières années m’ont incitée à cultiver la persévérance et l’inventivité. Par la suite, la gestion d’un grand nombre d’élèves, environ 500 par an en Education Musicale !) conduit à une organisation de plus en plus rigoureuse et le lien qui se tisse au fur et à mesure des années développe une relation de confiance et une capacité d’écoute profitable à chacun.
L’envie de mener des projets sortant de l’ordinaire permet aussi de consolider un réseau professionnel intéressant, également en dehors du système éducatif ».
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire autre chose, et quelles ont été alors vos démarches ? Vous êtes vous sentie aidée par l’administration ?
« Je me suis sentie de moins en moins « utile » en classe, comme si mes objectifs personnels n’étaient pas en phase avec ce que j’étais tenue d’évaluer, selon les programmes officiels successifs. Le temps consacré à ce qui me semblait des contraintes administratives me faisait perdre en disponibilité, surtout avec un tel effectif et m’éloignait du facteur humain, qui restait la raison de ma présence dans une salle de classe.
J’ai souhaité faire le point grâce à un bilan de compétences ou quoi que ce soit qui aurait pu aller dans ce sens, mais ne trouvais pas d’interlocuteur qui puisse entendre ma demande. Après plusieurs années et en particulier des épreuves d’ordre personnel, j’ai eu la chance de pouvoir m’exprimer en toute confiance auprès d’un chef d’établissement réactif, qui m’a conduite vers la conseillère mobilité carrière nouvellement nommée.
Toutefois, j’ai de nouveau connu la même difficulté d’exposer le fait que je puisse envisager une seconde carrière hors Education Nationale: entre ce qui peut passer pour un jugement moral et les incompatibilités administratives, il faut garder la tête froide et une volonté de fer !
Actuellement, vous vous êtes lancée dans l’activité de conception et production de chapeaux: est-ce une auto-entreprise ? Comment avez-vous, pas à pas, développé cette activité ? Pensez-vous en faire une seconde carrière à plein temps ?
« Aujourd’hui, mon activité se fait par autorisation du Rectorat, comme une activité supplémentaire (vente de biens fabriqués personnellement par l’agent), mais il est bien trop tôt pour établir une auto-entreprise, sachant que je ne pourrais y prétendre que pendant un temps trop court à mes yeux avant de prendre une décision radicale (poursuivre et donc démissionner ?) je garde cette option en dernier recours ».
(Aide aux Profs signale à ce stade que, depuis le décret n°2011-82 du 20 janvier 2011 – qui a modifié le décret n°2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d’activité des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l’Etat – bon nombre d’auto-entreprises peuvent être créées et demeurer de manière illimitée dans le temps, au titre du cumul d’activités accessoires, permettant ainsi de se constituer un complément de revenu).
« Pour l’heure, je confectionne sur mon temps libre et expose mes réalisations en ligne ou à l’occasion de quelques manifestations locales, autour du thème du recyclage en particulier :
Mon projet a encore besoin d’être affiné, puisque je ne souhaite pas uniquement confectionner des accessoires mais accompagner un public bien spécifique, tel que celui des personnes qui vont vers les couvre-chefs par nécessité avant que ce ne puisse être un plaisir.
C’est là que les qualités d’écoute et d’accompagnement développées pendant mes années d’enseignement seront mises à profit puisque je suis aujourd’hui affectée sur un poste adapté au sein de la Ligue Contre le Cancer afin de recevoir les malades et mener ensemble un travail autour de l’image corporelle, à reconstruire dans ce contexte très spécifique.
Mon souhait est bien entendu d’avoir toute la disponibilité nécessaire pour mener ce projet sur du long terme ».
Que conseilleriez-vous à un(e) enseignant(e) désireux d’entreprendre une activité de vente de ses productions ? Y a-t-il des erreurs à éviter, des formations à réaliser ?
« Toutes mes propres questions n’ont pas encore obtenu leur réponse, mais le premier conseil qui me vient à l’esprit serait qu’il faut savoir trouver les sources d’informations pertinentes, sans précipitation et avec beaucoup de prudence- pour ne pas risquer de voir ses projets s’essouffler et de se mettre en tort par ignorance.
Les informations sont assez difficiles à trouver, selon moi, du fait de notre statut de fonctionnaire, mal connu en dehors de nos rangs et à l’inverse, il est difficile de faire entrer un peu d’air frais dans toutes nos circulaires !
Pour ma part, j’ai recueilli les premiers éléments indispensables auprès de l’association Aide aux Profs, du conseiller juridique du Rectorat et des associations d’aide à la création d’entreprise.
Je poursuis également mes recherches auprès de la chambre des métiers de l’artisanat et de la maison des artistes et prévois également de me former tant du point de vue de la technique pure que dans la démarche d’accompagnement de publics spécifiques ».
Dans le Primaire, les mutations sont en panne, un facteur supplémentaire de démotivation !
« Bon nombre d’enseignants, essentiellement des femmes, ne pourront concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle« , annonce le Snuipp. Snuipp et Se-Unsa déplorent l’effondrement du taux de mutation dans le premier degré. Pour le Snuipp, « les situations budgétaires des départements conduisent les inspecteurs d’académie à restreindre les possibilités de mutations ». Seulement 25% des 17 000 candidats ont obtenue satisfaction.
http://www.snuipp.fr/Permutations-ca-bloque
http://www.se-unsa.org/spip.php?article4254
La difficulté d’obtenir leur mutation est pour 30% de ceux qui nous contactent (plus de 50% enseignant dans le Primaire) une motivation au départ définitif, en passant un autre concours de la fonction publique, ou en démissionnant. Depuis le 1er septembre 2011, plus de 50 enseignants, sur le millier qui nous a contactés, a émis la volonté de démissionner en demandant une Indemnité Volontaire de Départ (IDV), dont le capital permet réellement d’envisager autre chose, soit en réalisant une nouvelle formation pour travailler dans le privé, dans le département de son choix, soit de créer son entreprise là où l’on a envie de vivre.
Les enseignants de collège et de lycée commencent eux aussi à connaître cette difficulté de muter, en raison du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, et de la suppression de disciplines d’enseignement, qui a pour effet négatif de contraindre des enseignants à la reconversion, ou d’enseigner plusieurs disciplines, souvent sur plusieurs établissements. Ainsi avons-nous été contacté par une enseignante de russe qui, dans l’académie de Toulouse, réalise son plein temps en enseignant dans 8 établissements différents !
Rased : L’Appel de la dernière chance pour des secondes carrières en mobilité interne, dont l’Education nationale ne veut plus !
A la rentrée 2012, 250 000 écoliers perdront leur aide spécialisée. Les postes de Rased (réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) sont les premiers sacrifiés par Luc Chatel. Il ne cache même plus qu’ils sont à ses yeux inutiles, l’aide personnalisée étant censée répondre aux besoins de tous les enfants. En fait, les Rased prennent en charge des enfants en sérieuse difficultés cognitives ou relationnelles. La suppression des Rased reporte la charge de l’aide sur la famille.
Un collectif national appelle à signer une pétition qui est un peu la dernière chance d’infléchir la volonté gouvernementale. Le collectif regroupe les principaux syndicats (Cgt, Se-Unsa, Sien-Unsa, Sgen, Snuipp et Snpi-Fsu, Sud), les associations professionnelles des Rased (Afpen, Fname, Fnaren) et des conseillers pédagogiques (Ancp) et les parents d’élèves de la Fcpe. Il bénéficie du soutien de personnalités comme Jacques Bernardin, Rémi Brissiaud, Albert Ciccone, Boris Cyrulnik, Eric Debarbieux, Jean-Claude Emin, Roger Establet, Jacques Fijalkow, Sylviane Giampino, Roland Goigoux, Richard Horowitz Philippe Joutard, Françoise Lantheaume, Claire Leconte, Claude Lelièvre,Maryse Metza, Hubert Montagner, Nicole Mosconi, André Ouzoulias, Eric Plaisance, Eirick Prairat, Jean-Yves Rochex, Alain Serres, Serge Tisseron…
http://www.appeldesrased.fr/index.php?petition=9
Mieux connaître l’utilité des Rased :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2[…]
A la demande de Frédéric Taddeï et d’Olivier Laffargue de France 3, Aide aux Profs contribue aux débats éducatifs sur Newsring.fr
La campagne présidentielle est pour notre association l’occasion de réagir à différentes sollicitations de différents médias : presse, radio, tv, web. En ce moment, vous pouvez contribuer aux débats du site Newsting. Frédéric Taddéï et Olivier Laffargue, tous deux journalistes pour FR3, nous ont en effet sollicités, parmi une centaine d’autres influenceurs connus, pour initier quelques débats, et ce peut-être pour vous l’occasion de donner votre avis sur certaines problématiques qui vous préoccupent, beaucoup de membres du réseau d’Aide aux Profs y contribuant déjà quotidiennement :
Nous vous proposons aussi de soutenir notre proposition dans le cadre des débats en ligne proposés par le portail Yahoo ! :
Diversifier les possibilités de reconversion des profs et faciliter leur mobilité en cours d’année: est-ce possible ?
http://cherpresident.yahoo.fr/idee/10645/
14 candidats à la présidentielle ont répondu à une question sur les secondes carrières des enseignants
Grâce à l’ouvrage que Sylvain Grandserre et Emmanuelle Daviet viennent de publier aux éditions ESF, Qui va sauver l’école ?, il est enfin possible de connaître l’opinion des différents candidats à la présidentielle sur cette problématique, bien que les auteurs de l’ouvrage l’aient liée aux fins de carrière. Globalement, ce thème ne passionne pas les présidentiables, puisque nous sommes en pénurie d’enseignants. Cependant, alors que l’OCDE s’interroge sur les moyens de redonner de l’attractivité au métier d’enseignant dans les années qui viennent, puisque depuis 10 ans, ne serait-ce qu’en France, le nombre de candidats aux concours a été divisé par deux, Aide aux Profs reste profondément convaincue qu’un métier ne peut rester attractif qu’à partir du moment, où, dès le départ, il est possible d’en identifier les perspectives réelles de promotion professionnelle et les portes de sortie :
http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affiche=News_disp[…]
Nicolas Sarkozy invente progressivement le salaire unique de l’enseignant
Le 28 février 2012, lors de son discours de Montpellier, Nicolas Sarkozy, candidat à un nouveau quinquennat pour achever le travail qu’il a commencé entre 2007 et 2012, en particulier dans le bouleversement du métier d’enseignant, a proposé aux enseignants qui seraient volontaires une augmentation de salaire de « 25%, soit près de 500 euros par mois », en contrepartie de l’allongement de leur temps de présence (ou d’activités obligatoires ?) dans les collèges et les lycées, en portant ce quota obligatoire à 26 heures par semaine.
D’une part, c’est mal connaître le temps réel que consacrent les enseignants dans leurs établissements, puisque les enseignants du primaire effectuent au moins 24 heures dans leur établissement, et plus de 30 heures dans la réalité, et que les enseignants de collège et de lycée, en fonction de la répartition de leur quota horaire lié à leur grade, passent entre 24 et 30 heures eux aussi sur leur lieu de travail.
Aussi, ces données de terrain n’étant pas prises en compte, il y a lieu de croire que la mesure proposée par Nicolas Sarkozy alourdira sérieusement le temps de travail global de l’enseignant, qui ne bénéficie pas pour l’instant de locaux individuels, leur aménagement dépendant des possibilités de financement des collectivités locales. Au final, qui paiera la facture, sinon les citoyens (et donc les enseignants, qui verront eux aussi leurs taxes d’habitation et foncière s’accroître) ? Les 500 euros promis par mois seront rapidement reversés par ces mêmes enseignants dans leurs augmentations d’impôts pour financer une telle mesure, alors même que l’endettement de l’Etat a atteint un niveau record en France ces 5 dernières années.
Depuis 2009, dans le cadre du Pacte de Carrière de Luc Chatel, les enseignants en début de carrière et jusqu’au 6e échelon avaient été revalorisés de 18%, sans compter la politique de valorisation financière de la première heure supplémentaire réalisée. Avec les 500 euros de plus par mois pour les volontaires, cela placerait tous les nouveaux enseignants, d’emblée, au 6e échelon, alors que les autres échelons n’ont pas vu leur niveau de rémunération augmenter.
Le candidat est donc tout simplement en train de créer « le salaire unique » du professeur, avec une progression de carrière ultérieure qui sera marquée par la lenteur, et un plafonnement rapide, puisque désormais, l’écart entre le salaire initial et le salaire terminal sera d’à peine 50% au lieu de plus de 100% avant 2009. Il ne deviendrait donc plus très intéressant de devenir enseignant pour un étudiant de Bac+5, sauf de manière transitoire, le temps de trouver un emploi plus rémunérateur.
http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20120228[…]
Aide aux Profs dresse un bilan mitigé des années 2003-2012 en matière de développement du dispositif de secondes carrières pour les enseignants
Lorsque le législateur a introduit dans la loi de 2003 la possibilité d’une seconde carrière pour les enseignants en cours de carrière (article 77), pour compenser le fait qu’on leur demandait de travailler plus longtemps, il laissait le soin à l’administration de mettre les choses en œuvre, sans s’inquiéter des délais ni des moyens. L’essentiel à ses yeux pouvait être mis en œuvre rapidement, à savoir l’allongement de la durée de carrière, principal objectif de la manœuvre :
http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affiche=News_dis[…]
Entre 2006 et 2012, près de 4000 enseignants (soit 1 sur 200 environ) de tous les départements en France ont pris contact avec notre dispositif associatif, pour envisager sérieusement une seconde carrière en mobilité interne ou une reconversion. Début avril, Aide aux Profs publiera l’analyse de nos contacts sur toute l’année civile 2011, soit 1269 enseignants, avec de nombreux témoignages sur les difficultés vécues par les enseignants, et qui n’ont cessé d’augmenter entre 2007 et 2012 :
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