Par Françoise Solliec
Que ce soit au travers d’ouvrages de référence, d’analyses de chercheurs ou de témoignages d’acteurs, le phénomène du décrochage scolaire est un thème largement abordé par les médias et sur lequel se sont exprimés de (très) nombreuses personnalités. Nous rappelons ici les points de vue de trois experts qui ont bien voulu s’exprimer dans nos colonnes.
Un entretien avec Catherine Blaya, à propos de l’ouvrage Décrochages scolaires (2010),
Tout a-t-il été essayé en terme de décrochage ? « La responsabilité du décrochage scolaire est souvent attribuée à des problèmes de déficience parentale. Parfois également elle se naturalise dans une vision du jeune paresseux… Ces deux visions sont pour nous autant de simplismes qui dédouanent le milieu scolaire de toute influence dans la construction de ce décrochage », écrit Catherine Blaya, professeur à l’Université de Bourgogne et co-fondatrice de l’Observatoire européen de la violence scolaire. Alors encore un livre qui accuse l’école ? L’ouvrage de Catherine Blaya, « Décrochages scolaires » au pluriel, est bien plus fin et précis que cela. « Il ne s’agit pas de dire que « c’est la faute à l’école ».. mais de montrer que dans ce phénomène hyper complexe il faut tenir compte aussi bien des facteurs exogènes que endogènes. » Un éclairage à découvrir dans l’entretien qu’elle nous a accordé.
« Le décrochage est le résultat de processus et du cumul de plusieurs facteurs, de ruptures d’ordre personnel, familiaux et scolaires, c’est pourquoi j’ai désiré m’intéresser au phénomène en interrogeant l’ensemble de ces variables selon une méthodologie développée au Québec par Laurier Fortin et adaptée au système français privilégiant une approche multidimensionnelle du phénomène. Il n’existe pas un seul type de décrocheur mais des décrocheurs avec des caractéristiques psychologiques, sociales, économiques et scolaires différentes qui ont besoin d’une approche individualisée et non d’une prise en charge toute faite. Il convient de connaître les différents types de décrocheurs pour une meilleure prévention. Le décrochage peut être le résultat d’un écart trop grand entre les logiques scolaires et les logiques sociales dans lesquelles les élèves de milieux populaires évoluent. Ce peut être aussi la conséquence d’une expérience scolaire douloureuse dès le début de la scolarité (un manque d’accrochage), expérience marquée par des échecs répétés, des transitions d’un cycle d’études à l’autre difficiles, une marginalisation de la part des pairs, un étiquetage par l’institution inscrivant le jeune dans un continuum aboutissant à un décrochage, seul moyen d’échapper à des tensions trop fortes subies en milieu scolaire. Il peut aussi être le résultat de violences, de victimisations répétées, le seul moyen d’échapper à l’agresseur ou aux agresseurs étant parfois l’absentéisme ».
L’entretien dans son intégralité
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/12/DecrochageCBlaya.aspx
Un entretien avec Pierre-Yves Bernard, à propos de l’ouvrage Décrochage scolaire (2011).
La déscolarisation, Pierre-Yves Bernard la suit de près. Maître de conférences à l’Université de Nantes, auteur du « Décrochage scolaire » (PUF) il met en perspective les données de l’OCDE et ouvre des pistes pour lutter contre le décrochage. Car c’est le modèle scolaire français qui arrive à son terme.
Le décrochage scolaire est un phénomène complexe qui renvoie aux attentes des individus, à l’image que l’Ecole se donne à travers pratiques et valeurs qu’elle véhicule, aux situations sociales des familles et aux décisions politiques, entre autres facteurs. Au niveau politique, on n’a pas connu ces dernières années de réforme susceptible de changer la donne, à l’exception notable de celle du bac professionnel. Mais on peut douter qu’elle remette en cause la séparation des publics scolaires reproduisant elle-même une séparation sociale… Quant aux attentes, on assiste à une désaffection pour le modèle scolaire classique de la part de certains jeunes. Le système scolaire français ne prend pas en compte la multiplicité des trajectoires et des talents des élèves jusqu’à la fin de leur scolarité.
Mais on peut agir à plusieurs niveaux. D’abord sur les apprentissages, le plus en amont de la scolarisation, par exemple en favorisant la préscolarisation, ou en travaillant de façon plus inclusive avec davantage d’attention aux difficultés des élèves. A cet égard la politique récente consistant à se passer de ressources utiles comme la scolarisation avant 3 ans ou les Rased ne va pas dans le bon sens.
Au collège en faisant attention aux besoins des élèves, notamment dans la transition entre élémentaire et secondaire. Des moyens sont mis en œuvre en ce sens en ZEP, mais mériteraient d’être développés au-delà.
Au lycée en œuvrant pour le rapprochement des formations, en décloisonnant les voies de formation. Tant qu’on aura à une extrémité une filière sélective et à l’autre certaines filières professionnelles avec des débouchés hasardeux, des lycéens professionnels se déscolariseront. Certains élèves voient bien que leur formation ne leur garantit pas un emploi qualifié. Dans mes enquêtes de terrain j’ai croisé ainsi des jeunes peu motivés par la certification de leur année en L.P.
L’entretien dans son intégralité
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2011/13_Pierre-YvesBernard.aspx
Lutter contre le décrochage au quotidien, un entretien avec Philippe Goémé
Qui peut mieux parler de la lutte contre l’échec scolaire que ceux qui l’affrontent dans ses pires formes au quotidien ? Philippe Goémé dirige le Pôle Innovant Lycéen de Paris (PIL), une structure pour décrocheurs. Il préside aussi la Fespi, une fédération de structures scolaires innovantes. Pour lui la solution passe par plus de bienveillance.
« Nos élèves sont des jeunes qui ont décroché en seconde ou en fin de troisième. Ils sont d’ailleurs de plus en plus jeunes. Il y a moitié de filles, non parce qu’elles décrochent autant que les garçons mais parce qu’elles sont plus aptes à raccrocher. D’une façon générale ce sont les jeunes les moins éloignés de l’école qui franchissent la porte. Certains sont des élèves brillants mais qui ne supportent plus les cours et l’autoritarisme des établissements. Ou alors ils ont été victimisés dans un établissement. Certains ne sont plus habitués aux contraintes sociales. D’autres traversent des problèmes graves, sont victimes d’addictions. Derrière un décrocheur il y a toujours la rupture d’un projet de vie, une fracture sociale parfois une fracture avec les parents ».
L’entretien dans son intégralité
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/02/10022012_PhilippeGoeme.aspx