Par Lyonel Kaufmann
18 mars 1962, au bord du lac Léman, les accords d’Evian sont signés et mettent fin à ce qu’on appelle encore à l’époque les événements d’Algérie. Mars 2012, le cinquantième anniversaire de ces accords interroge sur la place de ces événements en classe d’histoire.
Pour notre part, nous avons déjà indiqué qu’entre le devoir de mémoire et le devoir d’histoire et autour d’une question socialement vive, le devoir d’histoire devait s’imposer ainsi que l’intérêt à problématiser son enseignement de l’histoire. [1]
Le contexte
Au-delà du temps consacré par les programmes à l’étude d’un tel sujet, le vécu familial des élèves ne manquera pas d’interférer avec le cours d’histoire :
«Quand je vais aborder par exemple les divisions entre Algériens, qu’on aborde la notion des harkis, j’ai très souvent des élèves qui vont être véhéments et dire que les harkis sont des traitres» [2]
Par ailleurs, note Benoît Falaize suite à son rapport INRP de 2003 consacré à l’enseignement de la Shoah et de la décolonisation, les professeurs semblent assez démunis en termes de savoir et de formation professionnelle. De plus
«Pour les professeurs, les héros c’étaient les résistants, ceux qui se sont battus lors de la Seconde Guerre mondiale. Pour les jeunes, les héros c’est le FLN, ceux qui se sont battus pour l’Algérie.» [3]
La violence générée par ce conflit et la colonisation interpelle comme la perspective différente adoptée par la France et l’Algérie concernant cette période historique :
«du côté français, on s’intéresse essentiellement au départ de la France d’Algérie, qui est considéré comme une cassure. Les Algériens, pour eux, la cassure remonte au début du système colonial.» [4]
Des ressources sur la toîle
Pour faire le point sur les questions historiographiques, les enseignants disposent en ligne d’un article de Guy Pervillé publié en 2004 dans la revue Historiens et géographes et intitulé «L’historiographie de la guerre d’Algérie, en France, entre mémoire et histoire.» [5] Il existe aussi un dossier Eduscol de 2002 intitulé «Apprendre et enseigner la guerre d’Algérie et le Maghreb contemporain» qui comprend notamment un texte de Benjamin Stora. Ce texte fournit d’utiles «Repères sur l’historiographie algérienne de la guerre». [6]
Concernant son enseignement, le CRDP de Reims dispose d’un chapitre intitulé «Enseigner la guerre d’Algérie» dans son dossier «De la mémoire des deux guerres mondiales à la mémoire de la guerre d’Algérie». [7]
En lien avec le cinquantième anniversaire et la fin de la Guerre d’Algérie, il faut noter le dossier «Guerre d’Algérie : de la colonisation à l’indépendance» réalisé par Curiosphère. Outre une frise chronologique, deux dossiers sont en ligne. Le premier nous propose de décrypter des films de propagande et le second traite de la question de la torture en Algérie («Torture en Algérie : vivre avec sa conscience»). [8] On pourra compléter avec les archives de l’Ina consacrées à l’Algérie indépendante. [9]
Problématiser
Pour traiter l’ensemble de la période coloniale et jusqu’à l’actualité récente, l’immigration française en Algérie et l’immigration algérienne en France ainsi que le départ des populations européennes à l’Indépendance présentent un intérêt certain :
– pourquoi partent-ils/elles?
– qui sont-ils/elles?
– que trouvent-ils/elles sur leur lieu d’arrivée?
– que deviennent-ils/elles?
Dans la perspective de relier, comme certains historiens le préconisent, la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre d’Algérie tout en traitant la question de la torture des deux côtés, le questionnement suivant pourrait être proposé aux élèves:
– peut-on être à la fois héros et tortionnaires?
Dans la perspective de l’histoire des débuts de la Ve République entre 1958 et 1962, les violences en métropole m’amènent à questionner
– Guerre d’Algérie : dernière guerre civile française en Métropole?
Faire travailler les élèves à l’aide des médias sociaux
Dans le cadre de son cours sur la décolonisation et la construction de l’Etat algérien, Laurence Juin a récemment utilisé le documentaire «La déchirure», diffusé sur France 2 et les tweets produits, selon la jolie terminologie de Laurence Juin, par les tweeteurs-spectateurs et par France 2 (@france2tv) lors de la diffusion. Certains de ses élèves ont même regardé le documentaire et interagi en direct.
En classe, chaque groupe d’élèves a dû remonter toute la production de tweets émis sous la balise #guerredalgérie, puis a dû les lire, comprendre, analyser, sélectionner pour les organiser à l’aide de Storify. [10]
Dans cette activité, les élèves ont travaillé l’histoire sous les angles suivants :
-de s’impliquer plus sur la connaissance d’un fait historique;
-d’appréhender le fait historique à travers des témoignages personnels. [11]
L’implication des élèves dans le débat peut ainsi passer en les invitants à répondre et interagir à des articles ou débats publiés sur l’Internet en lien avec les différentes commémorations des Accords d’Evian et de la fin de la Guerre d’Algérie tant en France qu’en Algérie.
Les élèves développeront ainsi non seulement des compétences historiques, mais également des compétences dans l’utilisation des médias sociaux et la construction de leur e-réputation.
Lyonel Kaufmann,
Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
[1] Kaufmann, L. (2010). Enseignement de la Shoah : il est urgent de passer au devoir d’histoire. Le Café pédagogique, No 116, octobre. (http://bit.ly/y9Yv6L ) Kaufmann, L. (2009). Jean Calvin et la Réforme: enseigner une question sociale vive? Le Café pédagogique, No 102, avril. (http://bit.ly/zWLSmj )
Sur les questions sociales vives, nous vous renvoyons à l’ouvrage de Legardez, A & Simmonneaux, L. (2006) L’école à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les questions vives. Paris : ESF
[2] Propos de Défendin Dénard, professeur dans un collège-lycée de Seine-et-Marne, interrogés par Europe 1 dans Comment enseigner la guerre d’Algérie (http://bit.ly/FPvCPQ )
[3] Interview de Benoît Falaize dans le Nouvel Observateur : Guerre d’Algérie : doit-on expliquer aux élèves la violence coloniale ? (http://bit.ly/zjkJ6D )
[4] Hassan Remaoun, professeur à l’université d’Oran, interrogés par Europe 1 dans Comment enseigner la guerre d’Algérie (http://bit.ly/FPvCPQ )
[5] Pervillé, G. (2004). L’historiographie de la guerre d’Algérie, en France, entre mémoire et histoire. In Historiens et géographes, revue de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie de l’enseignement public, n° 388, octobre 2004, pp. 225-236. (http://bit.ly/yo0PiC )
[6] http://eduscol.education.fr/cid46437/sommaire.html. L’entier des interventions est sous format .pdf.
[7] http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/enseigner/memoire_histoire/07algerie.htm#enseigner
[8] http://www.curiosphere.tv/guerre-algerie/
[10] http://storify.com/
Storify est un outil qui permet de piocher sur le web (dans Google, Twitter, FB, youtube..) des contenus sur un thème donné, de les réunir et de créer un espace dédié en y ajoutant du texte et un titre propres.
On pourra lire la présentation de Storify par Laurence Juin : http://maonziemeannee.wordpress.com/2011/12/09/un-nouvel-outil-au-service-de-ma-pedagogie-storify/
[11] Le billet de Laurence Juin : http://maonziemeannee.wordpress.com/2012/03/12/612/