Par Françoise Solliec
Depuis quelques années, la problématique du décrochage scolaire mobilise la scène de l’éducation nationale. Comment identifier les décrocheurs ? L’école est-elle responsable de ces échecs ? Comment prévenir le décrochage ? Dans le foisonnement des analyses, des initiatives et des acteurs, nous tentons ici de tracer quelques pistes.
Quelques documents pour s’y retrouver
Depuis plusieurs décennies, le nombre de jeunes de plus de 16 ans quittant le système scolaire sans qualification (ni CAP, ni BEP, ni baccalauréat), interpelle chercheurs et pouvoirs publics. « Maintenant que l’insertion professionnelle et sociale se trouve largement indexée sur le diplôme que l’on possède, sur le fait d’avoir en quelque sorte ce brevet de normalité sociale que constitue le long passage par l’école, celui que ne passe pas par l’école, qui n’y réussit pas qui n’a pas de diplôme, a toute chance de se retrouver dans une grande difficulté. De surcroît, comme il ne peut pas être pris en charge par les cadres de sociabilité professionnelle, il ne trouve pas à s’insérer, il sait qu’il est vu potentiellement comme un danger social » écrivait en 2004 le sociologue Dominique Glasman, en présentant dans le Café pédagogique l’ouvrage La déscolarisation, en co-direction avec Françoise Œuvrard, incontestablement un ouvrage de référence.
l(entretien
Parce qu’elle est complexe et met en jeu de nombreux facteurs, la notion de décrochage scolaire intéresse des acteurs très divers. Du côté des institutions, on notera les préoccupations de l’éducation nationale, du ministère du travail, du comité interministériel à la ville, des collectivités … Du côté des chercheurs, on est frappé par la diversité des approches (échec, absentéisme, violence, déficiences du système éducatif) et la multiplicité des causes citées, sans parler des différences mêmes de vocabulaire sur la notion de décrochage ou de décrocheurs. Enfin, les acteurs de terrain, tant enseignants que membres d’associations complémentaires à l’école, ont mis en œuvre des dispositifs très variés tant dans leurs formes que par les publics auxquels ils s’adressent.
Deux dossiers récents peuvent aider le lecteur à se construire une image des recherches et des types d’actions menées. Il s’agit, d’une part, du dossier constitué en janvier 2011 par Thibault Tellier et d’autres, « La question du décrochage scolaire dans la Politique de la Ville » et, d’autre part, du dossier constitué par Marie-Anne Hugon et Danièle Toubert-Duffort pour la Nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, « Adolescence et décrochage : prévenir et répondre ».
Le premier dossier présente l’état des recherches et les programmes mis en œuvre. Citons à ce sujet la base I-ville décrochage « outil partagé de capitalisation et de valorisation des expériences menées sur le territoire national en matière d’action de prévention du décrochage scolaire et d’accompagnement des décrocheurs ». Il pose la question du rôle de l’école dans la déscolarisation des élèves et conclut à « une nécessaire prise en compte des approches européennes ». La bibliographie comporte non seulement des ouvrages et des articles, mais aussi des textes de références et des fiches d’expérience.
Le second dossier fait suite à un dossier similaire paru en 2003 dans la Nouvelle revue de l’AIS et propose « d’envisager la question du décrochage, sous le prisme des stratégies pédagogiques et institutionnelles de prévention ou de remédiation déployées par les acteurs de l’éducation ». Il souligne «
– l’importance grandissante de l’intervention d’autres acteurs, et en particulier des collectivités territoriales.
– la création de structures de « raccrochage » telles que les « micro-lycées » et d’autres structures scolaires ».
Il donne la parole à divers acteurs, (dont certains connus de nos lecteurs Philippe Goémé, Gilbert Longhi, par exemple) et note « En conclusion, soulignons que les professionnels de l’éducation dont le travail de prévention ou de remédiation du décrochage est rapporté dans ce dossier, ne manquent ni de créativité, ni de courage, et obtiennent – pour certains d’entre eux – des résultats remarquables. Soulignons également qu’aucun d’entre eux ne travaille de manière isolée : tous oeuvrent au sein de collectifs, participent à des formations entre pairs, écrivent seul ou à plusieurs et participent à des recherches collaboratives.
La question du décrochage scolaire dans la Politique de la Ville
La présentation du dossier Adolescence et décrochage : prévenir et répondre sur le site de la FESPI
http://www.fespi.fr/IMG/pdf/Adolescence_et_decrochage.pdf
Enfin signalons deux publications consacrées à cette question.
La fédération des Aroéven consacre sa revue de décembre 2011 au décrochage scolaire, sous le titre « Décrochés ou décrocheurs ». Y sont abordés une diversité de points de vue, historiques, sociologiques et psychologiques (Claude Lelièvre, Mehdi Lazar, Daniel Marcelli et bien d’autres) et décrits de nombreux dispositifs (ateliers relais, école ouverte, travail avec les parents notamment). Cette diversité se retrouve dans la pluralité des intervenants : enseignants, associations, collectivités, et met bien en valeur la complexité du problème et la multiplicité des réponses et des innovations.
La revue propose enfin un panorama de ressources bibliographiques, filmiques ou plus spécialement destinées à des écoliers ou des collégiens.
La revue Foéven n°162, décembre 2011
Avec un titre pratiquement identique, Décrocheurs, décrochés, le N° 496 des Cahiers pédagogiques propose un dossier organisé en 5 parties : Trajectoires – Dans la relation pédagogique – Entrée par les savoirs – Agir hors de l’école – Politique du décrochage. On y retrouvera quelques-uns des auteurs mentionnés dans cette édition francilienne, comme Marie-Anne Hugon, Pierre-Yves Bernard, Catherine Blaya et d’autres.
http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?page=numero&id_article=7847
Les plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs
Pour le ministère, « la lutte contre le décrochage scolaire est une priorité nationale absolue et un enjeu dans le cadre de la « Stratégie Europe 2020 » ».
Pour repérer et aider « les jeunes de seize à dix-huit ans, sans diplôme et sans emploi, la loi institue en particulier une obligation nouvelle à la charge des pouvoirs publics prenant la forme d’une exigence de suivi et d’organisation ». Une application informatisée (SDO, suivi de l’orientation) permet aux rectorats de repérer ces jeunes, ainsi que les actions engagées pour les suivre par les CIO et la MGI. Des échanges d’informations sont organisés avec les CFA et es missions locales.
« Sans constituer une structure juridique supplémentaire, la plate-forme de suivi et d’appui aux décrocheurs a vocation à rassembler à un niveau à définir (département, bassin d’emploi, district de formation, etc.) les responsables relevant notamment :
– de l’Éducation nationale (établissements, CIO, MGI) ;
– de l’enseignement agricole (établissements, correspondants insertion pour l’enseignement agricole) ;
– des centres de formation d’apprentis ;
– des missions locales et permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO) ;
– du service public de l’emploi (SPE) ;
– du réseau d’information jeunesse ;
– ainsi que des collectivités territoriales compétentes ».
59 de ces plates-formes sont implantées en Ile de France.
Circulaire d’organisation au BO n°6 du 10 février 2011
http://www.education.gouv.fr/cid54962/mene1101811c.html
En Ile de France, des exemples de dispositifs
Les ateliers-relais
Définis nationalement sur Eduscol, ils traitent d’élèves encore sous obligation scolaire, mais qui rejettent l’institution et sont en voie de déscolarisation. Les ateliers sont inscrits dans le projet de l’établissement de rattachement (majoritairement des collèges), mais sont organisés en partenariat avec des associations complémentaires de l’école (AFPAD, Ligue de l’enseignement, CEMEA, etc). Ils fonctionnent avec un objectif de réintégration de l’élève dans un établissement, après un séjour de 8 à 16 semaines.
« La démarche éducative des ateliers relais s’appuie sur l’ambition de convaincre les élèves de l’intérêt des apprentissages et de réinscrire l’École comme moteur d’épanouissement personnel et vecteur d’opportunité dans les trajectoires des jeunes, grâce à un accompagnement sur leur temps scolaire durant 8 semaines » est-il précisé dans la fiche décrivant le fonctionnement des ateliers relais du Pôle ville et développement social du Val d’Oise, coordonnés par la Ligue de l’enseignement.
A noter qu’il existe également des classes relais, reposant sur un partenariat avec la PJJ.
Des ateliers relais pour prévenir le décrochage scolaire
L’accompagnement des collégiens temporairement exclus : ACTE en Seine-Saint-Denis
Depuis 3 ans, le département de Seine-Saint-Denis s’est engagé de manière très volontaire dans la prévention du décrochage scolaire, notamment avec l’objectif Zéro collégien dans la rue. Pour cela, un dispositif partenarial a été mis en œuvre avec l’inspection académique et le soutien du Fonds européen. Il fait appel à un principe de co-éducation avec des membres d’associations et les parents concernés.
A Stains, par exemple, c’et une association francilienne, l’Apcis, qui prend en charge les élèves exclus du collège Maurice Thorez et aussi parfois ceux des collèges Joliot-Curie et Pablo- Neruda. Le matin est consacré au travail scolaire, avec des activités individualisées selon les élèves. L’après-midi, ils reviennent avec les éducateurs sur les motifs de leur exclusion, leurs comportements et aussi leur vie personnelle (leurs difficultés familiales, leurs projets, leur orientation). Ils participent enfin à des activités de l’association. Ce dispositif a fait l’objet d’une évaluation.
Les micro-lycées
Fortement soutenus par la région dans le cadre du dispositif Réussite pour tous, les micro lycées franciliens (Sénart, Vitry, La Courneuve et bientôt Cergy) sont des structures expérimentales rattachées au dispositif deuxième chance de l’éducation nationale. Elles accueillent des élèves volontaires, désireux de reprendre des études et d’acquérir un bac général ou technologique. Elles fonctionnent en partie en auto gestion (définition des programmes et des contenus d’enseignement, recrutement sur des postes à profil, gestion collective des lieux) et pratiquent une approche globale de l’élève, centrée sur son vécu et son projet.
Voir par exemple le site du micro lycée de Sénart
http://www.micro-lycee.ac-creteil.fr/articles.php?lng=fr&pg=4
Les écoles de la deuxième chance
L’école de la deuxième chance, E2C, s’adresse aux jeunes de 18 à 25 ans, sortis du système scolaire sans diplôme et leur proposent une formation de 9 mois à 1 an sans notes ni diplômes à la clé, mais avec l’objectif d’une insertion professionnelle favorisée
L’accent est mis sur la maîtrise des savoirs fondamentaux : lecture, écriture, calcul, notions d’informatique, pratique d’une langue étrangère, avec des techniques pédagogiques individualisées… Mais le gros atout des E2C, ce sot les partenariats avec les entreprises qui permettent aux jeunes de découvrir leur voie et d’accomplir leur formation en alternance, tout en étant rémunéré au titre de la formation professionnelle. L’E2C compte 18 écoles en Ile-de-France, avec des résultats plutôt bons (plus de 2/3 de sorties positives, en CFA ou en CDI). Le Conseil régional les finance à 25%.
Inauguration de l’école de la 2ème chance de Clichy
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/12/07122011_2eChanceClichy.aspx
Réussite pour tous
Initié en 2000 par le conseil régional, ce dispositif finançait en 2009 plus de 140 actions, vouées à prévenir le décrochage scolaire ou à y remédier, avec une attention toute particulière à l’élévation des ambitions de formation d’élèves issus de milieux défavorisés. En 2012, 26 actions nouvelles en ont bénéficié. Les modalités mises en œuvre sont là encore très variées : soutien scolaire, groupe de parole, réalisation d’un projet artistique etc. Mais elles visent toutes à renforcer l’estime de soi. Le dispositif a fait l’objet d’une évaluation par un groupe de chercheurs, dont quelques éléments ont été communiqués à un colloque à Nanterre en 2011. On y notera en particulier que « les projets ont un impact jugé positif par tous les participants sur la qualité des relations au sein de l’équipe pédagogique, au sein du groupe d’élèves puis sur les résultats scolaires (obtention de diplômes, passage en classe supérieure). Pour neuf enseignants sur dix, l’impact est positif sur l’amélioration de l’estime de soi, la confiance dans l’équipe enseignante, la participation orale en classe et l’amélioration des relations avec l’enseignant dans le cadre des activités du projet. Pour plus des trois quart d’entre eux, l’impact est positif sur l’autonomie et la capacité d’agir, la capacité à se projeter dans l’avenir, l’amélioration des relations entre pairs, l’amélioration du respect des autres, le respect des règles, l’intérêt pour les enseignements, la concentration, l’assiduité et l’amélioration des notes ».
Réussite pour tous contre le décrochage scolaire
Communication au colloque Crise et /en éducation, Nanterre 2011
http://www.colloque-crise-aecse-2011.eu/communications/liste?comidx=4