Par Dino Herde et Justine Margherin
Le site de l’INA a sorti au mois de janvier dernier un « e-dossier de l’audiovisuel » consacré à l’éducation aux cultures de l’information. Il agrège des articles de onze chercheurs sous la direction conjointe de Divina Frau-Meigs, (Sorbonne Nouvelle), Eric Bruillard (ENS Cachan) et Eric Delamotte (Université de Rouen).
Ce dossier a pour objectif de « repérer les notions-frontières et les concepts-relais, et d’établir des passerelles permettant de négocier les complémentarités entre les divers champs » afin de redéfinir la notion d’information dans le contexte actuel de brouillage des frontières entre les différentes disciplines composant l’éducation aux médias. Ce dossier milite pour la transformation de l’EAM (éducation aux médias) vers une approche plus multiple et complexe, qui permettrait la mise en place d’une vision plus complète du nouveau monde de l’information : l’éducation aux cultures de l’information.
La réflexion qui compose ce dossier s’appuie en grande partie sur le concept de « translittératie ». Cette notion est une composante fondamentale du nouveau monde de l’information et de la communication ; elle doit impacter le monde de l’éducation. Alexandre Serres (Université de Rennes) la définit comme « l’ensemble des compétences d’interaction avec tous les moyens d’information et de communication ». Elle est l’évolution de la notion de « littératie » (utilisation et compréhension de l’information écrite) appliquée au web. La multiplication des plateformes, des supports, entraine une variabilité de la mise en forme de l’information et donc complique considérablement son décryptage, sa compréhension et son évaluation. L’éducation aux cultures de l’information se complexifie d’autant, et apprendre à naviguer dans cette nébuleuse informationnelle devient un enjeu majeur de l’éducation du XXIe siècle.
C’est en traversant toutes les disciplines abordées dans ce dossier (économie, information, informatique, éducation aux médias…) que se construit cette éducation. Pour Eric Delamotte (Université de Rouen), « la translittératie doit mettre à jour les diagonalités, c’est-à-dire la médiation entre les différentes informations au sein d’une communication composite. » Ce sont précisément ces diagonalités qui permettent et imposent une approche pluridisciplinaire nouvelle.
De la maîtrise technique, mais pas seulement
La technique prend une place importante dans cette réflexion pluridisciplinaire, et notamment la question de l’enseignement à celle-ci. Eric Bruillard (ENS Cachan) pose le constat suivant : si l’ordinateur peut être perçu comme un outil, il semblerait qu’aujourd’hui « l’ordinateur-outil » soit la vision dominante. Cette évolution oblige à poser l’éducation à une « culture informatique » au centre du processus d’apprentissage, au même titre que lire ou écrire, à un tel point qu’il propose de remplacer le traditionnel « lire-écrire-compter » par « lire-écrire-computer ». En effet, la complexification de la « gestion des processus automatisés d’apprentissage » impose, pour que l’Homme puisse encore maitriser la machine, une éducation à l’informatique bien plus profonde que celle dispensée aujourd’hui. Mais la définition d’une base commune nécessaire de compétences en informatique reste compliquée à mettre en place, ainsi que la délimitation de la discipline « informatique ».
De l’esprit critique pour exercer sa citoyenneté
L’évaluation de l’information sur internet est bien entendu une problématique au cœur de ce débat. Alexandre Serres évoque une multiplication de brouillages : difficulté à repérer la source d’un document, « infopollution », … La construction d’une citoyenneté critique, responsable et active passe d’abord et avant tout par l’éducation à cette évaluation de l’information dans son approche « translitterationnelle ».
Autres approches importantes et nécessaires pour entrer dans la complexité de l’information numérique et développer une capacité critique : l’économie, la lecture numérique. Si Thierry de Smedt (professeur à l’Ecole de communication et au centre de recherche en communication – Belgique) nous rappelle au début de son article la construction –militante- de l’éducation aux médias (EAM), il expose en quoi elle doit évoluer et pourquoi elle ne peut plus être satisfaisante dans le paysage médiatique du XXIème siècle. Outre le lire – écrire, l’éducation aux médias doit développer « navigation » et « organisation ». Ces deux nouvelles compétences à ajouter aux compétences informationnelles comprennent bien évidemment maîtrise technique et dimension sociale. Elles se trouvent profondément transformées par l’environnement informationnel actuel.
Si personne ne peut nier que le paysage médiatique est profondément modifié et puisque l’accès aux informations n’est plus aussi nécessairement médiée par le professeur documentaliste ; puisque l’éducation, l’École s’en trouve profondément modifiée à la fois dans ses rapports avec le savoir mais aussi dans ses rapports avec l’autorité, alors c’est l’angle éducatif qu’il peut s’avérer nécessaire de modifier dans ce que ce dossier appelle l’«éducation aux cultures de l’information». Jacques Perriault dans son article intitulé « Technologie de l’éducation sur le long terme : quelques traits commun », en retrace une histoire.
Des éducations à l’information, aux médias vers UNE éducation aux cultures de l’information
Le pluriel deS cultureS de l’information est une entrée pour une lecture à la lueur de la pédagogie. Pourtant les disciplines cohabitent à l’Ecole plus qu’elles ne s’entrelacent pour la construction d’un regard pluriel. Ce titre n’est pas anodin pour l’école. Ce n’est pas les éducations à la culture de l’information, mais bien une éducation aux cultures de l’information ici exposée.
Le travail pluridisciplinaire ne suffira pourtant pas. Il faudra aussi compter avec l’identification des compétences, connaissances et maîtrises techniques nécessaires pour aider à construire cette éducation. Éducation, on l’a dit plus haut, ô combien nécessaire au jeune d’aujourd’hui pour qu’il puisse être non seulement un acteur averti et responsable dans notre société dite de l’information, mais aussi un acteur critique qui participe à sa construction, à son développement. Quelle place donner à l’École et plus particulièrement aux professeurs documentalistes pour la construction de cette éducation aux cultures de l’information ?
Aucune piste n’est donnée quant à une mise en œuvre. Tel n’est pas l’objet du dossier évidemment. A travers sa lecture on peut tout de même identifier quelques points d’entrée. On peut aussi entrer par les 7 C que propose Divina Frau-Meigs dans son texte.
Les divers modèles de compétences qui circulent en Europe et dans d’autres régions du monde semblent se recouper autour de trois d’entre elles, principalement : compréhension, critique, créativité. Ce sont les « 3 C » des compétences de base de l’éducation aux médias au cœur du système scolaire. Quand les activités scolaires non-formelles sont prises en considération, quatre capacités supplémentaires s’ajoutent pour aller vers la maîtrise de la participation : consommation, communication inter-culturelle, citoyenneté et conflit. Leur somme peut être rassemblée dans les « 7 C », dont la force principale tient à ce qu’elles ne peuvent se réduire à des savoir-faire pour la seule employabilité.
Si l’on est convaincu de ces arguments, de la nécessité d’une translittératie, le passage de la lecture à la mise en œuvre d’un fonctionnement de l’École le permettant laisse hélas perplexe. Point de discipline ou d’enseignement. Mais une analyse des compétences à mettre en œuvre pour aller vers une autonomie raisonnée, participative et constructive de l’élève au sein de la société de l’information. Le travail, pour avancer, si l’on accepte ces fondements, reste dans l’analyse du Socle et des disciplines afin de veiller à ce que l’on ne laisse pas à l’écart quelque compétence que ce soit. Plus difficile : accepter de les identifier, identifier leur mise en œuvre adaptée au développement psycho cognitif de l’élève ; puis évaluer la progression de ces apprentissages. Cela impose aussi une autre posture pédagogique de l’enseignant disciplinaire. Déjà engagée dans la mise en œuvre du Socle et de l’évaluation des compétences, il reste à parier qu’une évolution des compétences notées dans le Socle est possible d’une part, et d’autre part qu’une réflexion peut s’engager dans cette voix pour les lycées.
Aller au-delà de la pluridisciplinarité
On peut lire là un enjeu pour le professeur documentaliste qui maîtrise ces compétences. Il y a eu la publication du « Repères pour la mise en œuvre du Parcours de formation à la culture de l’information » (Pacifi) en octobre 20101 (voir lien en fin de texte) mais il reste encore beaucoup à faire. De l’identification des compétences, connaissances et capacités de cette alphabétisation, à leur organisation dans l’enseignement au sein d’équipes, en concordance avec le développement social et cognitif de l’enfant, ou à la construction d’un parcours pour le développement d’une éducation aux cultures de l’information au collège et au lycée, la marche semble haute. La place du professeur documentaliste dans les activités scolaires non formelles est fondamentale, tout autant que l’est la maîtrise des concepts infodocumentaires. C’est un atout à mettre en avant pour la construction d’une citoyenneté critique dans la société numérique du XXIème siècle, et ce d’autant qu’on aura montré son importance tant dans l’acquisition de l’autonomie que dans la capacité à s’adapter au Supérieur. Ce serait bien dommage que l’École ne soit pas partie prenante dans cette construction.
L’éducation aux cultures de l’information. E-Dossier de l’audiovisuel. INA.Expert, janvier 2012
http://www.ina-sup.com/ressources/dossiers-de-laudiovisuel[…]education-aux-cultures
Repères pour la mise en œuvre du Parcours de formation à la culture de l’information (Pacifi) en octobre 20101
http://eduscol.education.fr[…]2010/parcours-formation-culture-information