Pas
de colloque sans table-ronde finale chargée des paroles des
« personnalités responsables » : responsables syndicaux du SNUipp et de
l’UNSA, fédération de parents FCPE, ANDEV (Association Nationale des
Directeurs à l’Education des Villes) et ATD ont une heure trente pour
convaicre les auditeurs d’avoir bien fait de rester si tard…
Patrick Picard, du centre Alain
Savary, de l’Institut Français de l’Education (ex-INRP), anime le
débat… : »
Marcel Gauchet explique que la famille s’est « privatisée
», dans une perspective centrée davantage sur l’épanouissement
personnel que sur la vie en société, rendant de plus en plus difficile
l’acceptation des contraintes sociales. Est-ce qu’il exagère ? ».
Pour Jean-Jacques Hazan (FCPE) «
pendant longtemps on a confisqué les enfants aux familles dont on
pensait qu’elles ne savaient les élever. Certes, il y a différentes
familles, différentes façons d’appréhender les choses. Certaines
mettent la pression sur leurs enfants parce qu’elles estiment qu’elles
ont un rôle important à jouer. Mais ont-elles tort ? ». Régis Félix (ATD) veut faire
entendre la voix des plus démunis : «
Les familles vivant la grande pauvreté s’estiment coupées de l’école,
revivent l’expérience douloureuse de leur propre scolarité. Les
enseignants eux-mêmes ont peur de ces familles, ne sachant pas comment
leur parler. Implicitement, on dit à l’enfant d’abandonner sa propre
culture pour entrer dans celle de l’école. Et si en plus l’enfant sent
le mépris pour sa culture d’origine, il ne peut pas apprendre. ».
De la citation de Gauchet, Claire
Krepper (SE-UNSA) veut retenir l’idée que les destins
individuels priment sur les projets collectifs. « C’est un mouvement de fond, qui
s’est développé depuis le Siècle des Lumières jusqu’à aujourd’hui »,
même si elle entend distinguer individualisme et épanouissement
individuel ». Alain Bocquet (ANDEV)
veut « revenir au bon sens » : « il
n’y a pas de destin individuel sans combinaison avec le destin de
société et inversement. L’école peut être un problème, mais aussi la
solution au problème, par les ressources dont elle dispose. »
« Du point de vue des parents, il y
aurait de meilleurs enseignants que d’autres, quand pour les profs, il
y aurait différentes familles. Que font les syndicats de ce genre de
propos ? » relance P. Picard. Marianne
Baby (SNUipp) témoigne du travail mené avec ATD ou du film
produit par son syndicat sur l’école maternelle, «
moment fort où se construit la relation aux familles, qui permet de
donner les clés d’accès à l’école aux parents. Mais cete relation est
aussi un « impensé » du métier, quand les collègues n’ont pas
de formation, ou de temps pour aborder collectivement ces questions« .
Sa collègue de l’UNSA va dans le même sens : «
Les syndicats se substituent à l’Institution pour les questions mal
prises en charge par la formation, dans le second degré la relation aux
parents est difficile. Les collègues ne connaissent pas les
partenaires qu’ils auront à rencontrer dans leur activité : les
familles, les partenaires territoriaux, les associations amies de
l’école, les mouvements pédagogiques ». Régis Félix
(ATD) revient les récentes journées de Lyon : « la rencontre réelle peut engendrer de
véritables prises de conscience ». A.
Bocquet évoque les formations communes entre directeurs d’éducation des
villes et les inspecteurs et chefs d’établissement, et lance un appel
aux universitaires pour concevoir des modules associant des partenaires
de différentes structures .
Il peut paraitre difficilement imaginable, pour des parents, que les
enseignants eux-mêmes craignent ces moments de rencontre avec les
interlocuteurs. C. Krepper juge nécessaire de « déstresser
l’école », de réduire le poids des trajectoires scolaires, de
changer le rapport aux évaluations, d’aller vers des contenus de savoir
moins encyclopédiques, visant davantage les buts de maîtrise que de
performance, « en dégageant du temps
pour le travail réel des élèves sans être dans la course aux
contenus. ». M.
Baby insiste sur les limites de l’exercice solitaire du métier : la
piste du travail collectif et des « controverses de métier » lui semble
plus porteuse que l’imposition de normes extérieures.
Revenant
sur les « conflits de normes » entre l’Ecole et la maison, explicitées
par P. Rayou plus tôt dans le journée, l’animateur demande si des
marges de manoeuvre sont possible pour les réduire. A. Bocquet est
catégorique : « Un préalable
est qu’il ne faut pas mépriser les parents. Pour travailler ensemble,
il faut se connaître et se reconnaître. Ça suppose qu’on en reparle.
Chacun est sensé faire quoi ? Se connaître, mais aussi se
respecter. C’est une question politique forte, à partir du moment où on
se respecte, on peut exiger de l’autre la totalité de ce qu’il
doit. » Il regrette le manque d’un projet politique global,
tel que revendiqué par l’Appel de Bobigny, signé par toutes les
associations présentes à la tribune. J. J. Hazan abonde : « tout
le monde attend un vrai projet global de société, mais on a finalement
tellement peur du résultat qu’on s’accorde à travailler sur des
broutilles ».
Quelle
répartition des rôles entre l’Etat et les collectivités ? C’est encore
A. Bocquet qui reste concret : « Au delà du partage des
compétences, la question porte sur « qui paye ? ». L’ANDEV, le SNUIpp et
la FCPE demandent que dans toutes les classes, on puisse disposer d’un
équipement pédagogique clairement identifié. « Si on considère que le
service public national est à sauver et transformer, le territoire est
un bon complément pour sortir de ce guépier ». Il rappelle le
rôle
essentiel du « projet éducatif local » qui rassemble tous les acteurs
pour se mettre d’accord sur des objectifs et des moyens partagés, « avec
obligation pour les acteurs de s’y conformer. »
Resté
silencieux pendant la table-ronde, Jacques
Bernardin conclut pour le GFEN : « l’école
est indispensable, comme instance seconde de socialisation, pour
s’émanciper de sa première instance de socialisation familiale et
locale. C’est le lieu où l’élève découvre que les autres ne font pas
forcément comme lui, une invitation à ouvrir des fenêtres pour
comprendre que le monde est plus large que ce qu’il ne l’avait imaginé,
construire une ouverture culturelle, conceptuelle et identitaire. C’est
une chance pour l’enfant de grandir : Wallon nous expliquait
combien c’est par la confrontation à des outils universels qu’on peut
s’émanciper.
Mais
cependant personne ne peut grandir sans racine, sans inscription dans
sa famille, dans son histoire, sans la reconnaissance d’un statut à
égalité, pour pouvoir prendre sa place dans le concert. Si le passage
de l’univers familial à l’univers scolaire est vécu comme une
normalisation violente, l’expérience symbolique de la norme scolaire
sera contrariée.«
Il
juge essentiel de « ressouder la nation autour de
l’éducation-promesse d’avenir, à la fois sur le plan individuel et sur
le plan collectif. Établir un partenariat sans confusion des places
entre les acteurs : état, enseignants, parents, collectivités doivent
construire « une vision partagée avec des inscriptions singulières ».
Pour celà, il invite à développer un « rapport au savoir » ambitieux :
« ce qui péche aujourd’hui, c’est la perte de cette vision
optimiste en l’humain. Pour réhabiliter les élèves et les parents, en
haute estime il faut que les enseignants aient reçu une formation
exigeante, et que tous les parents aient dans la société un droit à une
vraie place avec reconnaissance symbolique, valorisation de leur apport
éducatif spécifique ». Avant d’appeler Sénèque à sa rescousse : « Pendant que nous sommes parmi les
hommes, pratiquons l’humanité ».
Tout un programme pour les années à venir !