Propos recueillis par Frédérique Yvetot
Odile Fournier a une carrière de professeur documentaliste riche et variée. Elle a suivi l’évolution du métier avec beaucoup d’intérêt, toujours sensible à ce que ces évolutions pouvaient favoriser. La documentation comme une médiation est sans doute ce qui caractérise son parcours. Toujours prête à faire reconnaître l’intérêt du métier, mettre en avant les compétences, la maîtrise technique nécessaire pour permettre à la communauté d’avoir un fonds adapté, accessible, enrichissant… Une constante dans les exercices de cette profession : accompagner, transmettre.
Pourquoi être devenue professeur documentaliste ? Qu’est-ce qui vous a incité à choisir cette voie professionnelle ?
Comme beaucoup de doc de mon âge, au milieu des années 70 le métier se créait, on finissait nos études, personnellement je terminais celles d’Espagnol et je me destinais à l’enseignement. Les postes en espagnol étant rares, j’ai accepté de me réorienter vers les postes de documentalistes qui se créaient dans les lycées. Était-ce une rupture avec la carrière que j’avais envisagée ? Pas vraiment. J’avais des prédispositions… Fan de bibliothèques et de recherche, j’avais fait ma maîtrise sur les origines d’un journal républicain dans le Pays Basque, les vieux registres, la collecte d’informations et le désir de les porter à la connaissance du public me passionnaient. Je tombais en même temps dans les vertiges borgésiens, dévorant –dans le texte- les écrits de cet auteur. Le Quichotte m’avait toujours fascinée. Borges s’ajoutait à mon patrimoine de référence. Et je ne savais pas encore qu’il avait été la clé de ce nouveau départ.
J’ai démarré dans un lycée, ne comprenant pas pourquoi il y avait une cloison entre la bibliothèque des élèves et celle des professeurs . J’ai reçu une formation de 3 jours, où on nous expliquait le fonctionnement de la CDU [ndlr : classification décimale universelle] et du fichier collégial, celle des appareils audiovisuels, ainsi que l’intérêt de constituer des dossiers documentaires. Heureusement 15 jours de stage étaient prévus. J’ai eu la chance de le faire au lycée La Fontaine avec Raymonde Dalimier. J’ai découvert la passion du métier chez cette femme et c’est elle qui m’a ouvert les yeux sur ce nouveau métier : être à l’écoute des attentes aussi bien des professeurs que des élèves, pister l’information, la diffuser, élaborer des productions documentaires originales, devancer les besoins et les demandes, épater les profs !
C’est ainsi que je suis arrivée dans le métier, persuadée qu’il fallait construire quelque chose, qu’il fallait être au devant des besoins, impulser des mutations… car le travail serait long avant que les mentalités et les habitudes changent. Parallèlement des circulaires étaient publiées chaque année donnant quelques directives sur les fonctions des documentalistes, mais une vision globale du métier n’était jamais donnée.
Un DESS en Info-Doc a été créé à Villetaneuse, je l’ai passé. Je crois que c’est là que pour moi le métier a commencé à se préciser: être documentaliste c’était savoir gérer de l’information, savoir la diffuser, mais aussi et avant tout connaître les sources d’information, développer des capacités de recherche, s’intéresser aussi bien aux enseignants qu’aux élèves. C’est là aussi que j’ai découvert la littérature et la presse pour la jeunesse.
Quels sont les étapes essentielles dans votre parcours ? Pourquoi sont-elles notables ?
Après un passage éclair dans un lycée, j’ai été affectée en tant qu’adjointe d’enseignement à l’École normale de Livry-Gargan, où j’ai été responsable du CDI pendant quinze ans. J’ai eu la chance dès mon arrivée d’intégrer un groupe de recherche qui travaillait sur l’individualisation de la formation et l’apport de la documentation dans une structure de formation des maîtres. Je démarrais dans le métier, avec ce que j’avais appris. J’ai restructuré le CDI de l’école normale et en même temps j’étais amenée, avec le groupe de recherche, à conduire ma réflexion sur l’espace documentaire, la formation à la méthodologie documentaire. Puis j’ai fait partie de la Commission De Peretti, qui au début des années 80, sous la direction de Brigitte Chevalier, a développé la réflexion sur la formation à la recherche et la méthodologie documentaire. Il s’agissait de former des équipes sur tout le territoire national afin de sensibiliser les formateurs des nouvelles MAFPEN aux ressources documentaires, à la pédagogie du document, aux techniques documentaires. Un moment fort de partage, un travail militant en quelque sorte. Au même moment une réflexion intéressante se menait dans le premier degré sur la création de BCD, j’y ai apporté ma contribution dans des stages de formation continue et dans les revues professionnelles. J’ai pendant longtemps animé des stages pour les documentalistes sur les techniques documentaires, l’informatique documentaire, et plus récemment sur la politique documentaire et le droit. J’ai ensuite préparé mon DEA en Sciences de l’information et de la communication, à Lille III avec Gérard Losfled, où je suis revenue sur les étapes de la construction de notre métier («30 ans de publications sur les CDI et les documentalistes : naissance et évolution d’un métier»). Écrire c’est important.
Je pense que si je me suis engagée dans mes projets c’est parce que j’avais le sentiment de pouvoir convaincre, faire partager. J’ai eu la confiance de mes supérieurs et c’est çà qui m’a donné envie et courage. J’ai, avec le recul, le sentiment d’avoir fait un travail de débroussaillage : trouver un logiciel pour gérer le CDI, dès 1984, le faire évoluer, trouver des outils d’indexation (Motbis et ses prédécesseurs n’existaient pas !), se former, et former nos publics à ces nouvelles pratiques, identifier les besoins documentaires et informationnels, cerner l’identité du CDI,… Aujourd’hui tout cela parait naturel, ça ne l’était pas à l’époque.
Dès que le CAPES de documentation a été créé, je l’ai passé. J’avais besoin d’asseoir ma légitimité professionnelle et j’ai été membre du jury du CAPES externe pendant plusieurs années. La construction du métier se poursuivait. Je menais de front gestion du CDI et actions de formation (préparation au CAPES, formation continue des documentalistes, formations initiale et continue des enseignants du premier degré). Cela me convenait tout à fait.
D’ailleurs l’idée souvent répandue, de séparer gestion et formation ne me paraît pas adaptée à l’exercice du métier de documentaliste dans un établissement d’enseignement. Celui-ci a besoin de professionnels de l’information, maîtrisant la gestion documentaire et également capable de conseiller, former autrui à des techniques ou des compétences documentaires. Ce qui m’a intéressé dans ma carrière lorsque j’animais des stages de formation continue pour les documentalistes de mon académie c’était de les accompagner dans cette réactualisation constante de compétences en matière de traitement de l’information, débouchant sur des choix importants en matière de logistique ou de pédagogie. Construire un système documentaire qui aide l’élève dans sa démarche d’apprentissage et dans la construction de ses connaissances, cela m’a toujours paru être ma première mission.
Vous étiez à la tête du service documentation de l’IUFM de Créteil…
Lors de la création de l’IUFM, on m’a proposé de me déplacer du site de Livry-Gargan à celui de Bonneuil pour entamer la restructuration du CDI existant, et, en même temps, mener une réflexion d’ensemble sur la place de la documentation dans cette structure de formation des maîtres, éclatée sur 7 sites, dans les trois départements de l’académie. J’ai été nommée Chargée de mission «Ressources documentaires». Mon rôle était de définir la politique documentaire académique de l’IUFM et de suivre les projets. Je suis restée à ce poste jusqu’à mon départ à la retraite en janvier dernier. 17 années encore passionnantes…
Quelle place souhaitiez-vous donner à ce service de documentation ? Quel projet construire ?
Pour moi il y avait deux axes : organiser le réseau documentaire et homogénéiser les pratiques professionnelles, et faire que la documentation intègre les plans de formations initiale et continue. Sur le premier point on a réussi, quant au second le bilan est beaucoup plus mitigé !
Dès la création de l’IUFM, nous avons beaucoup participé aux actions de formation continue sur nos sites du 77, 93 et 94 (orientés principalement Premier degré) jusqu’à la mise en place de la nouvelle réforme en 2009. Mais trouver une place dans les plans de formation initiale des futurs professeurs pour la méthodologie documentaire, l’identification des sources d’information, quelle galère ! A chaque réforme nous proposions de nouvelles maquettes de formation, mais les heures de formation initiale dans l’ensemble des disciplines se sont réduites avec les années comme une peau de chagrin et les formations «transversales» en ont fait les frais. L’an passé 50% des étudiants du Master ont suivi une formation à la méthodologie documentaire (entre 2 et 6 heures de formation pour les M1 et M2 [ndlr : Master première année et Master deuxième année]) dans le cadre des options-recherche. Les contenus se sont centrés sur les bases de données en ligne, la rédaction de bibliographies, la recherche et la validation des informations sur Internet, et l’évaluation du niveau scientifique d’un document. On pourrait être satisfait, les formations ont rencontré un vif succès mais leur place est encore trop réduite et surtout très vulnérable !
Pour ce qui est du premier volet de notre action, la mise en place d’un réseau documentaire, le travail a été mené à bien et a fait ses preuves. J’ai eu la confiance de mes directeurs et de mes collègues pour restructurer les anciens CDI d’école normale, et organiser le travail en réseau. Notre idée était de rompre l’isolement, d’harmoniser nos pratiques professionnelles, de construire ensemble des projets. Pour mener à bien cette tâche, l’équipe a suivi des formations très spécifiques sur la gestion de bibliothèque dans le supérieur (UNIMARC, SUDOC, notamment). Nous avons commencé ce travail en 1998, le catalogue collectif fonctionnant en réseau a été constitué sur 2 ans. C’était une façon pour nous de montrer qu’on pouvait répondre à une commande et en même temps nous posions les jalons d’une structure nouvelle qu’il fallait inventer. Les centres de documentation ne fonctionneraient plus de façon isolée, et pour des raisons d’efficacité mettraient en commun leurs ressources matérielles et humaines et localement agiraient en pôles d’information spécialisés au service de la formation des maîtres.
La création d’un Service Commun de la Documentation (SCD) en septembre 2000 a représenté la fin de cette première étape.
Quels sont les freins que vous avez pu identifier à la mise en place d’un service commun de documentation? Comment les avez-vous surmontés ?
L’idée n’a pas été facile à faire passer. C’était une commande du ministère, et il fallait y répondre, si nous voulions avoir des budgets pour faire fonctionner nos CRD. La crainte était la centralisation. Pour lever les doutes et les craintes, il fallait prendre ce qu’il y avait de positif dans ce nouveau type d’organisation en place dans les universités depuis 1984. Les articles définissant les missions du SCD ont fait l’objet de mûres réflexions. Il s’agissait de faciliter le travail des équipes par le partage et l’harmonisation des pratiques, et de respecter les particularités des sites. L’idée qui nous a permis de réussir le passage vers la structure SCD a été la création de Commissions auxquelles participaient les différents membres de nos équipes sur des projets annuels spécifiques : Catalogue, Périodiques, Web etc. L’ensemble de l’équipe, qui pouvait réunir environ une vingtaine de personnes, était partie prenante des projets de politique documentaire. Pour asseoir la légitimité du SCD en tant que maître d’œuvre et maître d’ouvrage de la politique documentaire de l’IUFM, le Conseil de la Documentation a été créé, rapportant chaque année les travaux accomplis, les tâches à venir, assurant le suivi du budget, le recrutement et la formation des personnels. Le travail mené avec le directeur du SCD de l’université Paris 12, membre de notre Conseil de la Documentation, ainsi que les rencontres avec mes homologues des autres IUFM lors de nos réunions annuelles ont été mes piliers pendant toutes ces années : mes points d’appui, mes sources de réflexion. On ne fait rien tout seul et si je suis parfois fière du travail accompli je le dois à toutes ces personnes qui ont entretenu chez moi la curiosité pour ce métier et au travail de chacun au sein de notre équipe. J’ai l’impression que j’ai passé ma vie à définir les contours de mon métier et à devoir faire mes preuves. C’est peut-être le propre de chaque documentaliste… chacune, chacun dans son CDI.
Sur quels atouts ou sur quelles missions s’appuyer pour mettre en place le service que vous aviez défini ?
Depuis que j’exerce ce métier, je sais que rien n’est gagné d’avance, qu’il faut sans cesse affirmer nos compétences. Le DEA que j’ai fait sur le métier de documentaliste m’a amené à prendre conscience que c’est nous, par nos activités professionnelles, notre curiosité, notre sens du travail en équipe, qui avons donné de la consistance à ce métier. L’institution, elle, n’a fait que reconnaître le travail accompli. Une post-légitimation en quelque sorte.
Et donc à l’échelle de l’IUFM je me suis engagée. En tant que chargée de mission, j’ai défendu un projet ambitieux auprès de nos directeurs et du ministère et j’ai essayé de faire ce travail en respectant mes collègues, en leur apportant par les nouvelles structures des moyens pour poursuivre leurs formations, des occasions de travailler ensemble, d’échanger, de partager, avec comme objectif : faire reconnaître la bibliothèque ou le centre documentaire – peu importe son nom- comme étant non seulement un outil au service de l’enseignement mais aussi un lieu de formation à part entière.
L’IUFM est devenu une composante de l’Université. Vous avez donc rencontré puis travaillé avec des professionnels des bibliothèques…
Dès la mise en route du travail en réseau, un poste de bibliothécaire a été créé et j’ai travaillé avec cette personne pour mettre sur pied le SCD et organiser le travail en réseau. Il était nécessaire d’avoir des regards croisés sur ce projet, d‘autant plus que nous prenions appui sur ce qui se faisait dans les universités et qu’il fallait en même temps asseoir la spécificité d’une structure de formation de type IUFM éclatée sur trois départements ! Dans les années qui ont suivi l’équipe s’est étoffée, au poste de bibliothécaire se sont adjoints d’autres postes de la filière des bibliothèques : des BAS [ndlr : Bibliothécaire assistant spécialisé]. Je pense qu’il était important d’avoir sur nos sites des équipes pluricatégorielles composées de PRCE [ndlr : professeur certifié affecté dans l’enseignement supérieur] en documentation, mais aussi des bibliothécaires et des professeurs des écoles du terrain car l’IUFM est un pôle de formation qui a un enracinement géographique fort. La bibliothèque doit être bien intégrée à la vie pédagogique de l’établissement, doit prendre en compte dans son organisation des allers et retours avec le terrain, d’être un des vecteurs de la liaison théorie-pratique, si importante dans la formation des enseignants. Mais il faut en même temps viser la qualité du système qui est créé pour intégrer le réseau universitaire, et notamment le SUDOC, fusionner notre catalogue avec celui de l’université, travailler sur les plans de développement des collections, comme les autres sections du SCD, et là l’apport de nos collègues de la filière des bibliothèques a été essentiel.
Depuis 2007, l’IUFM est une des composantes de l’UPEC [ndlr : Université Paris-Est Créteil], au même titre que la faculté de droit ou de médecine et le réseau de documentaire de l’IUFM a intégré celui du SCD de l’université. Les projets propres à la BUFM [ndlr : Bibliothèque universitaire de formation des maîtres] sont intégrés au volet politique documentaire du projet d’établissement.
Ces deux mondes (bibliothèque et documentation) ont- ils une vision différente des missions ?
Ces deux mondes c’est vrai ont au départ des cultures différentes. Celui des bibliothèques plus orienté vers la conservation, la gestion de la collection, et celui de la documentation plus centré sur l’usager, ses besoins, sa formation à la recherche documentaire et à la maîtrise de l’information. Mais les choses ont beaucoup évolué avec l’arrivée des nouveaux outils de communication et les nouveaux besoins des publics.
Les formations sont différentes, mais si on compare ce qui est comparable, à savoir un CDI et une bibliothèque de petite taille, les tâches des personnels qui y travaillent me paraissent similaires. Certes dans les universités, les locaux sont vastes, les personnels nombreux, on n’est plus là dans le multi-tâches, on va plus vers des spécialisations, mais je remarque quand même que les catalogueurs ont des temps de travail en service public, qu’ils font du renseignement bibliographique, que certains s’engagent dans des actions de communication (enquêtes auprès du public, par exemple), ou de formation des usagers.
Tous les deux sont des professionnels de l’information et de la documentation ! Les colloques qui regroupent les associations de bibliothécaires et de documentalistes attestent ce rapprochement des tâches et des missions. La particularité de la filière des bibliothèques, c’est que c’est un monde très structuré, très hiérarchisé et reconnu institutionnellement. Au sein de ce groupe, les agents ont des possibilités de formation intéressantes pour actualiser leurs compétences professionnelles ou préparer les concours de la fonction publique et progresser ainsi au sein de la filière. C’est un atout indéniable pour se construire une identité professionnelle !
Ces différences ont-elles été un frein ? En quoi ont-elles été un enrichissement ?
Ces différences ont été un atout et un enrichissement pour chacun de nous. Cela nous a permis d’avancer plus vite et de tirer les exigences de qualité vers le haut aussi bien pour ce qui concernait la collection et le catalogue que pour l’accès à l’information. Nous avons toujours travaillé en équipe sur des projets communs : le bibliothécaire étant le référent en matière de gestion des collections, de qualité du catalogue, les BAS des appuis indispensables dans la gestion quotidienne de nos bibliothèques et les autres personnels, les PRCE notamment, assurant le lien avec les équipes de formateurs et veillant à la constitution et l’actualisation des ressources imprimées ou en ligne, étant le garant, eux, de la liaison avec le terrain.
Je crois que travailler dans une équipe pluri-catégorielle est stimulant, car chacun a ses spécialités, sa vision personnelle lors de la réflexion sur les projets, liées à sa formation et ses expériences antérieures, et cette rencontre de points de vue est très enrichissant. On devient plus exigeant, envers les autres mais aussi envers soi. En se trouvant confronté à d’autres savoirs touchant notre domaine de spécialité on se forme mutuellement et on est encouragé à parfaire sa formation pour approfondir nos compétences. Fuir le corporatisme…et grandir !
Sur quelle base commune prendre appui ? Qui a transformé qui et en quoi dans ce projet ?
Notre orientation commune était de construire un système d’information performant pour la recherche et la formation. Avec l’appui de l’université des pans nouveaux de sources d’information se sont ouverts à nous : ceux des bases de données spécialisées, des périodiques et des thèses en ligne, par exemple. Nous avons quant à nous affirmé nos compétences en matière de veille documentaire, de connaissances de sources d’information spécialisées, l’actualisation des fonds documentaires étant une priorité à l’IUFM (nouveaux plans de formation, nouveaux programmes).
Nous nous sommes rejoints sur la formation à la méthodologie. Pour les documentalistes de l’IUFM, les contacts sont aisés avec les enseignants des autres disciplines, ils participent aux conseils de formation, et connaissent leurs collègues (la taille de l’établissement y est pour beaucoup). La situation est différente pour les personnels de bibliothèque pour qui l’occasion de rencontrer un représentant des formations est plus difficile, voire inexistante : deux mondes se côtoient à l’université ayant tous les deux à faire avec les mêmes publics, mais sans travailler ensemble, sans se connaître même. En matière de contenu de la formation, nous avons eu la possibilité à l’IUFM de travailler au niveau du Master et donc de dépasser le stade de la connaissance des outils de recherche pour travailler essentiellement sur l’identification et la validation des sources, le respect de la propriété intellectuelle, la collecte et le référencement des données. A la grande satisfaction des collègues qui ont effectué ces formations.
Vous avez vu évoluer le métier. L’informatique, les catalogues en ligne, l’information en ligne, le service en ligne. Est-ce que vous diriez que le métier est maintenant différent ?
Les technologies de stockage de l’information, les outils de communication de l’information ont certes bouleversé les métiers de l’information et de la documentation, mais ce dont les établissements ont toujours besoin, et encore plus même, ce sont des centres documentaires performants, avec des personnels qualifiés capables de répondre aux besoins de publics plus hétérogènes. Mais les fondements du métier restent les mêmes : veiller à maintenir une offre documentaire de qualité, accompagner les usagers dans leurs démarches informationnelles, les former à une culture informationnelle nécessaire à l’acquisition de connaissances tout au long de la vie, susciter leur goût pour la lecture, le travail intellectuel.
Le travail de gestion quant à lui a été considérablement allégé. Le catalogage, l’indexation sont faits en amont, l’essentiel est bien aujourd’hui le travail sur l’accès à cette information disponible et sur la qualité des sources proposées aux publics.
Est-ce que cela modifie le service aux usagers ?
Le numérique a modifié le service aux usagers. Nos élèves ont un accès immédiat et sans intermédiaire à l’information, à partir de n’importe quel téléphone mobile ou ordinateur sans fil. Ils butinent sur le web et se contentent souvent de la lecture de la première page de réponses ! Quand on les questionne à ce sujet, on est surpris par leur naïveté, qui masque en fait la crainte de montrer leur incompétence, leur manque de rigueur intellectuelle. Même après la licence, nombreux sont les étudiants qui s’illusionnent sur leur capacité à maîtriser l’information et en particulier sur leurs «méthodes» de recherche. Comme si le plus important était de récupérer de l’information (sans la traiter). Identifier la source d’information n’est pas un réflexe naturel. C’est un exercice difficile même en Master où la différenciation des niveaux d’information est capitale au vu de la multitude des ressources en ligne. Dans ce contexte le rôle d’un professionnel de l’information et de la documentation est plus que pertinent et nécessaire.
Pourquoi y a-t-il besoin encore de centres de documentation ?
L’étudiant a accès à une multitude de ressources en ligne où qu’il soit : chez lui, à l’université, ou même dans les transports en commun via son téléphone portable. Mais ce dont il a besoin aussi, c’est d’un lieu de lecture, un espace de travail où il peut plus facilement se concentrer mais aussi se retrouver dans une même communauté, où il peut être seul mais en même temps solliciter une aide, demander un conseil. Cet espace circonscrit rassure, chacun y a ses repères. Le virtuel c’est bien, cela flatte le désir d’autonomie de chacun, mais, à certains moments, la possibilité d’avoir accès à un espace organisé, avec un fonds documentaire fiable et actualisé est un atout pour l’étudiant. Et là le rôle du documentaliste est capital : en construisant cet espace documentaire avec son aménagement, ses collections, sa signalétique il fabrique un système qui met l’étudiant dans des conditions favorables pour réfléchir, apprendre. C’est dans ce domaine-là aussi que s’exerce son rôle pédagogique, et nul autre que lui dans l’établissement ne peut le faire.
Il y a les compétences techniques mais aussi les qualités humaines. Un jour vous avez dit “pour être un bon documentaliste il faut être généreux”…
C’est vrai que c’est un métier où on est au service des autres, des élèves mais aussi des enseignants. Il faut aimer le service public pour faire ce métier ! Il faut aussi vouloir transmettre nos savoir-faire, être attentif aux besoins. Et dans notre travail en réseau, le réseau humain est le premier à développer. Quand on travaille en réseau les qualités humaines sont importantes : apprendre à travailler en équipe, se faire confiance, écouter, partager.
Et pour finir : c’est quoi être documentaliste ?
C’est être un expert de l’information dans un établissement d’enseignement. Et cette expertise se concrétise dans la mise en place d’un système d’information performant et dans un positionnement de référent en matière de recherche, d’utilisation, de production, de diffusion de l’information. Donner aux élèves des repères, des balises pour s’informer, pour devenir un utilisateur, producteur, diffuseur d’information responsable et respectueux de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur. Quelle responsabilité ! et quel engagement !
Merci Odile !