Une école, une directrice, des élèves…
Face au défi de l’inclusion, le point de vue d’une directrice d’école
Une école de 10 classes implantées en 2 sites, de très beaux bâtiments anciens, des salles de classe spacieuses à l’intérieur, de grands espaces à l’extérieur, petite ville de 2500 habitants, département rural. L’école est une ancienne coopérative dans laquelle les familles d’ouvriers de la forge, dans ce 19ème siècle paternaliste, venaient acheter de quoi manger ou vivre. Tout sur place, organisé par le patron.
Aujourd’hui, on y scolarise aussi des élèves handicapés dans les classes ordinaires. Une CLIS accueille des élèves présentant des troubles mentaux d’ordre cognitif ou psychique. S’y ajoutent, comme dans toutes les écoles, des profils d’élèves très différents.
Rouage essentiel du navire, la directrice déploie une activité intense, partageant sourire et disponibilité entre tous ses interlocuteurs, jonglant entre son mi-temps de direction et le CE1 dont elle a la charge.
Au moment de la ré-écriture de votre projet d’école, comment instituez-vous dans l’équipe une réflexion sur la prise en compte de tous les élèves et l’hétérogénéité des classes ?
En tant que directrice, je mène déjà des réunions spécifiques aux élèves en difficultés et à l’intégration des élèves de CLIS, avec l’enseignant E du Rased (il n’y a pas de psychologue scolaire sur notre secteur et le poste G a été supprimé il y a quelques années). Lors de ces réunions, nous échangeons aussi sur les stratégies et les moyens utilisés en classe (gestes pédagogiques, tutorat, sollicitations, groupes de besoins, etc) pour aider les élèves en difficultés à entrer dans les apprentissages, à construire des savoirs et permettre à certains enfants de devenir élèves. Cela permet d’oser dire les difficultés rencontrées en classe, d’échanger sur les obstacles rencontrés et sur les solutions essayées par les collègues. La prise en compte de l’hétérogénéïté de nos élèves est un souci constant pour nous et une question majeure pour moi.
Alors j’écoute beaucoup mes collègues, j’essaie de faire en sorte qu’ils s’écoutent aussi, j’anime les réunions en essayant d’impulser la prise en compte des besoins différents des enfants, à partir d’outils communs (pour les évaluations par exemple). Il est nécessaire de faire une évaluation initiale pour pouvoir construire les apprentissages et définir des besoins. J’essaie d’outiller mes collègues pour faire une évaluation formative des élèves. J’interviens ensuite pour organiser et coordonner tous les accompagnements (aides diverses, remédiations, interventions de l’enseignant E, groupes de besoins….)
Je crois que dans notre école, on est tous attentifs pour que la diversité des élèves ne soit pas ignorée, minimisée ou dénigrée, mais valorisée par la mise en oeuvre de stratégies discutées et acceptées ensemble. La socialisation, la valorisation des élèves de CLIS , l’acceptation des différences seront déclinées dans les objectifs du nouveau projet d’école, comme elles l’étaient dans l’actuel. Le projet pédagogique de la CLIS est inscrit dans le projet d’école.
Les parents d’élèves comprennent-ils cette notion d’école « inclusive » ?
Il n’y a aucune réticence particulière. Quand les choses sont bien expliquées, elles deviennent évidentes et il n’y a pas de souci. Je parle dès l’inscription aux nouveaux parents de notre fonctionnement collectif, quand ils visitent l’école, j’explique encore. On en parle aux réunions de classes et ils sont tenus au courant avec le compte-rendu du conseil d’école.
Quels liens avec la mairie, le personnel municipal ?
Les élus sont sensibilisés à la question de la diversité ou du handicap. Le personnel de cantine et du centre social sont informés mais n’ont pas reçu de formation spécifique. Tout de suite, une discussion avec l’enseignante ou avec moi se met en place si une difficulté surgit.
Est-ce que vous vous sentez aidée dans la mise en oeuvre des PPS (Projet personnalisé de scolarisation) ?
Les réunions des équipes de suivi de scolarisation permettent des échanges, des informations mutuelles entre les différents partenaires (parents ou familles d’accueil, travailleurs sociaux, enseignants, AVS, SESSAD, etc). Cela nous permet de comprendre mieux comment « fonctionne » tel ou tel élève et nous donne des pistes pour savoir mieux comment faire dans la classe.
Il y a un personnage-clé dans cette histoire, c’est l’enseignant référent.
Son rôle est important. C’est une personne ressource qui fait le lien entre les professionnels, la famille et la MDPH, permet l’écoute et l’expression de chacun. Il assure un suivi précis du parcours scolaire de l’élève, de son évolution, dresse des pistes pour son avenir scolaire. C’est précieux pour nous dans les écoles, on s’appuie sur son expertise.
Revenons plus spécifiquement à la CLIS. Comment sont organisées les actions d’intégration et les coopérations entre les enseignants ?
Les actions d’intégration et de coopération se font à partir des propositions de l’enseignante spécialisée de la classe, mais aussi des remarques des enseignants ayant déjà intégré des élèves. Les projets évoluent au cours de l’année scolaire. Les élèves de la CLIS sont intégrés selon un emploi du temps individuel, dans de nombreuses disciplines (français, découverte du monde, histoire, géographie, sciences, EPS) dans des classes de CE1, CE2 et CM1. Une élève intégrée largement depuis le CP et le CE1 est en CE2 cette année. Des retours en CLIS lui permettent d’asseoir ses compétences et ses acquisitions en mathématiques. Là, nous utilisons la CLIS, non pas comme une classe « fermée », plutôt comme un dispositif particulier où l’enseignante va soutenir et renforcer certains apprentissages.
Une intégration en CE2, en histoire-géographie, a permis à une des élèves de participer pleinement aux activités et même de devenir tutrice pour certains élèves de la classe d’accueil !
Par contre un élève de l’école, orienté en CLIS en cours d’année, a subi des remarques désobligeantes de certains de ses anciens camarades de classe sur son niveau scolaire et ses difficultés. Nous devons rester vigilants ! Rappeler que certains apprennent à un autre rythme et que le projet de CLIS leur permettra d’avancer est important.
On a mis en place des groupes de besoin en lecture et en mathématiques de niveau CP pour des élèves en difficultés en CE1. Les parents de ces élèves sont rencontrés par les enseignantes et l’enseignante de la CLIS. Là, on utilise l’enseignante spécialisée comme personne-ressource.
A quelles conditions tout cela est-il réalisable ? Qu’est-ce que ça vous demande au niveau de l’équipe pédagogique ?
C’est évidemment une affaire d’équipe. On organise des projets en commun : jardin et développement durable avec les classes de CP, USEP, Ecole et Cinéma, carnaval, « grande lessive » , sorties, etc.
Ça nous oblige à harmoniser des outils au sein de l’équipe : les manuels sont mis en commun, les cahiers-outils sont les mêmes, par exemple. Pour toutes les questions d’ordre matériel, organisationnel, pédagogique, éducatif, on discute et on se met d’accord. On ne peut plus travailler tout seul dans sa classe. Comment les élèves entrent dans les apprentissages, comment ils apprennent des pairs, comment le savoir se construit, comment aider les élèves sans perdre le sens des activités, comment éviter un enseignement cloisonné qui couperait l’élève en difficultés des objectifs communs de la classe… Toutes ces questions, on se les est posées ensemble. Pour autant, ce n’est pas « un long fleuve tranquille »… L’inclusion est une autre conception de l’éducation. L’école doit adapter son organisation pédagogique, ses rythmes pour permettre des projets individualisés tout en continuant de promouvoir les progrès collectifs. Tout nouvel enseignant qui arrive dans l’école doit connaître et partager cette conception. La coopération et l’adhésion des enseignants à cette démarche inclusive est nécessaire et essentielle. Cela peut être parfois source de discorde (effectifs chargés, manque de formation, sentiment de ne pas y arriver, etc).
Pour conclure ?
Des sentiments mitigés ! L’investissement personnel des enseignants, la bonne volonté de l’équipe, l’écoute du seul enseignant d’un RASED « décimé » ne suffisent pas. Il faudrait des enseignants en plus et un réseau d’aides complet. Relever le défi de la réussite de tous les élèves par un travail d’équipe, afin de croiser les regards et les analyses et mettre en place des dispositifs pédagogiques nécessaires… Réfléchir ensemble aux solutions adaptées à la singularité des élèves et se concerter… Il faut du temps et construire des collectifs de travail qui n’existent pas encore…