Par François Jarraud
Un demi-million : c’est le coût de la campagne lancée le 24 janvier par l’Education nationale contre le harcèlement. Un investissement modeste pour une grande cause. Surtout un investissement habilement fait car la campagne est particulièrement bien ciblée.
« On a poussé les choses aussi loin que possible » nous confie Eric Debarbieux dans un entretien. La campagne lancée par le ministère le 24 janvier est bien son enfant. A l’origine il y a bien les Etats généraux de la sécurité à l’école, organisés par lui en 2010, qui ont entraîné des Assises du harcèlement et la publication de la première enquête de victimation en 2011.
Une enquête révélatrice. Celle-ci devait donner pour la première fois en France, une vision réaliste du phénomène. Un collégien sur dix souffre du harcèlement, 6% subissent un harcèlement sévère. Les effets sont connus : perte d’estime de soi, décrochage, désocialisation pour la victime. Mais les travaux d’Eric Debarbieux montrent aussi les retombées sur le bourreau. Globalement le harcèlement est un coup de pouce à l’échec scolaire.
La campagne ministérielle. Fort habilement elle utilise des médias qui ciblent les jeunes. Trois vidéos « virales » sont diffusées sur Youtube et Dailymotion. Des clips passent à la télévision. Surtout Facebook diffuse une application qui devrait être bien accueillie chez les jeunes. Enfin un site d’information est ouvert sur Internet.
Une cible : le témoin. Derrière cette démarche, l’expérience d’une campagne qui a fait baisser de moitié le harcèlement en Pologne. Avec l’aide de pédopsychiatres (Rufo, Nicole Catheline) et de l’équipe de Debarbieux, l’accent a été mis sur le témoin des harcèlement. C’est lui, Thomas, le héros des films. En effet c’est en agissant sur la communauté éducative, en faisant prendre conscience que le harcèlement est l’affaire de tous et qu’il est simple d’y résister quand on est témoin, que l’on peut faire reculer cette pratique.
Que faire ? Le ministère publie des guides pour les enseignants. Pour les élèves et leurs parents deux numéros verts sont mis à disposition. L’un (0808 80 70 10) apporte une aide anonyme pour les harcèlements. L’autre (0820 200 000) est à utiliser pour le cyber harcèlement. Le ministère a aussi signé une convention avec l’association e-enfance pour agir sur les harcèlements sur Facebook.
Consensus ? La campagne a reçu un accueil partagé chez les enseignants. Le Snuipp consacre la « une » de son site à l’événement. Le Snalc saisit cette occasion pour protester contre la réforme des sanctions dans les établissements. Les parents de la Peep demandent une formation de sparents et des élèves. La maigreur de la formation à cette question chez les enseignants et chefs d’établissement reste probablement le point faible de cette campagne.
Liens :
Le site ministériel
http://www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr/
Sur Eduscol : Ressources pour les enseignants
http://www.eduscol.education.fr/cid55921/le-harcelement-en-mi[…]
Dossier de presse
http://www.education.gouv.fr/cid59101/lutter-contre-le-harcel[…]
Ressources contre le harcèlement
Eduscol indique quelques ressources, souvent payantes, pour expliquer el harcèlement aux élèves. Pour comprendre le harcèlement elle oriente vers des guides en ligne. Cela peut-il remplacer un effort de formation ?
Sur Eduscol
http://www.eduscol.education.fr/cid59246/comment-lutter-contre-le-ha[…]
Eric Debarbieux : « Une étape importante pour les victimes »
Président du conseil scientifique des Etats généraux de la sécurité à l’école, chargé de mission par Luc Chatel, Eric Debarbieux a quitté en septembre le ministère. Il préside une structure de recherche à l’université de Paris est Créteil sur la violence scolaire. Il termine une étude sur la victimation dans l’enseignement primaire et pilote un projet de prévention contre le harcèlement dans 12 établissements de l’académie de Créteil. Totalement passé du coté de la recherche, nous lui avons demandé son sentiment sur la campagne ministérielle contre le harcèlement. C’est l’occasion aussi de lui demander de faire le bilan de ces deux années aux côtés de Luc Chatel.
Quel regard jetez-vous sur votre mission au ministère ?
On a poussé les choses aussi loin que possible. Avec des résultats. On a fait évoluer le discours public sur la violence scolaire. On est passé de la sécurisation à une réelle prise en compte du phénomène du harcèlement dans sa complexité, de la fouille des cartables à la prévention. Un vrai virage idéologique ! Vous en voyez la traduction dans la campagne de sensibilisation au harcèlement lancée par le ministère. Le harcèlement est pris en compte à un niveau jamais atteint.
Pour moi cela a été une période passionnante et complexe. La difficulté c’était d’être dans l’action publique tout en gardant la posture d’expert. La seule solution c’était de continuer la recherche scientifique. C’est ce que j’ai fait avec le rapport Unicef sur le harcèlement, le rapport sur les personnels de direction, le rapport sur la victimation en Seine-Saint-Denis.
A la suite des Etats généraux de la sécurité à l’Ecole a été lancé un programme de formation. Comment le voyez-vous aujourd’hui ?
Evidemment c’est une goutte d’eau. Mais qui existe. On a fait cinq séquences de formation de formateurs sur le harcèlement, la prévention, la justice restaurative. Les stagiaires ont pu rencontrer les meilleurs experts venus du monde entier (Québec, Australie…). On a aussi multiplié les formations académiques.
Tout cela se traduit dans les textes. Par exemple le fait qu’il n’y ait plus d’exclusion de plus de 8 jours a été acté dans la circulaire d’août 2011. C’est grâce au rapport Bauer et au comité scientifique que j’ai présidé. Par contre j’ai échoué à impulser une véritable formation initiale sur ces questions.
Que pensez-vous de la campagne ministérielle sur le harcèlement ?
Ce n’est pas une campagne faite par des communicants. Le scénario de départ est passé devant le comité scientifique des Etats généraux qui l’a démoli car il était ciblé sur le harceleur. Or nos études montrent qu’il faut agir sur les témoins. C’est finalement ce qui est fait. Sur ce point nous avons réussi à établir un consensus. C’est une étape importante pour les enfants qui souffrent de ces micro-violences répétées, soit 10% des élèves.
Pour les parents et les enseignants, la violence scolaire vient toujours de l’extérieur. Là on voit que c’est dans toutes les écoles, pas seulement celle de « sauvageons » comme disait un ministre. Dans une école le problème de la violence ne peut pas être tranché par quelqu’un d’extérieur, du personnel spécialisé ou une mise en protection de l’établissement. La violence ça se passe dans l’établissement, dans la classe. Les films vont permettre d’en parler dans les établissements.
Propos recueillis par François Jarraud
Liens :
Notre dossier sur le harcèlement
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2[…]
Debarbieux : Profiter de la fenêtre des Etats-généraux
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2[…]
Sur les Etats généraux de la sécurité à l’Ecole
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2[…]
L’enquête de Saine Saint-Denis inverse les perspectives
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/01/17012[…]
Internet protéger c’est éduquer
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2012/[…]
Sur le site du Café
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