Noisy-le-Grand [Ile-de-France], lycée des Antilles, lundi 22 janvier 2018…
Les élèves sont dans l’amphi du lycée. Pour une séance qu’on appelait autrefois « de géographie ». Une discipline qui a été fondue dans un nouvel ensemble comprenant ce qu’on étiquetait comme les sciences de la terre, qui dialoguent aujourd’hui avec de l’économie, de la philosophie et ce qu’on désigne dans les universités comme l’histoire des sciences, l’aménagement. Le mot « environnement », trop usé par la loghorrée du développement durable, a lui-même cédé la place à une nouvelle coquille « Sciences du monde » qui fait jongler tous ces savoirs recomposés autour de l’informatique avancée, des nanotechnologies, des biotechnologies, des sciences de la terre, de l’écologie, de la théorie des systèmes. Les lycées et les universités sont en réseau depuis plusieurs années, les cours se font sous la forme de visioconférences avec des professeurs de lycée et des universités. Chaque professeur doit assurer dix heures de cours magistral par mois, validées par un comité de pairs, enregistrées en studio et qui sont diffusées dans mille établissements en même temps, l’autre partie du temps de travail étant consacré à la pédagogie, le travail en groupe, les évaluations voire les déplacements dans les médiathèques thématiques (type quai Branly à Paris) ou généralistes (type Beaubourg).
Ce matin, on parle des séismes. Retour sur l’année 2011 et le grand tremblement de terre de Fukushima. L’entrée en matière se fait par neuf minutes cartographiques des séismes de 2011 sur Youtube. Neuf minutes d’angoisse et d’attente sur ce qui va advenir le long de ces zones de subduction et rifts : http://www.youtube.com/watch?v=cwWn_W6ZbT4
Les élèves de lycée et les étudiants de Sciences Po, présents en visioconférence ce matin, qui travaillent sur les interactions entre les mouvements de la nature et la perception du politique, sont aussi devant leurs écrans à l’IEP qui parraine un groupe de terminale. Tous passent aux explications par la tectonique des plaques http://www.youtube.com/watch?v=ovlP0qQ9F4c (on a le choix, des dizaines de simulations, toutes plus ou moins riches). Le spécialiste des sciences de la terre, invité par canal numérique, a prévu revenir sur certains points comme la prévision du risque, d’autres chercheurs issus des SHS (sciences humaines et sociales) évaluent la perception du risque, les prises de décision devant les explosions d’une centrale nucléaire en commentant cette vidéo http://www.melty.fr/japon-fukushima-radioactiv[…]
Ceux qu’on appelait autrefois les anthropologues présentent les réactions devant l’accident : au Japon bien sûr, mais surtout en Europe, aux Etats-Unis, en Chine où on relaie aussi bien ce qui perçu chez les Japonais, ici comme du courage, là comme de la résignation, ou encore de l’angoisse voire un ras-le-bol http://www.youtube.com/watch?v=54quNUPHCD4 en agrémentant leur argumentation d’interviews que les professeurs de langue auront préalablement traduits.
Les étudiants de Sciences-Po qui ont travaillé sur les conséquences politiques des séismes montrent comment les Japonais ont pris la décision d’arrêter les réacteurs, pourquoi la population s’est résignée à limiter sa consommation, comment elle l’a fait http://www.youtube.com/watch?v=iB7SRhsRXHc. Et ils expliquent aussi comment les opinions publiques ont réagi en Europe occidentale où l’Allemagne s’est engagée rapidement sur un programme d’arrêt du nucléaire, programme qui s’est enclenché beaucoup plus tard en France sur la pression de l’opinion publique.
Que restera-t-il de cette matinée dont les élèves et les étudiants ont téléchargé les liens pour en retrouver la succession de données sur internet ? Un travail à faire en groupe de deux ou quatre, sur l’énergie verte à partir d’un texte de Jeremy Rifkin, paru dans La troisième révolution industrielle (2011) : « Comment l’accident nucléaire de Fukushima conjugué à la crise financière a-t-il permis de lancer l’économie verte ? » Un travail inspiré aussi par les réseaux sociaux, qui sera écrit, transmis par voie électronique, défendu devant un jury d’enseignants, de lycéens et d’étudiants devant juger de la pertinence des connaissances, du raisonnement, de sa rigueur et des qualités formelles du document et de l’oral. Pas de notation, pas de compétition, juste une évaluation sur un carnet électronique dont les données sont cryptées. Le savoir n’est plus du pouvoir. Il ne sert pas qu’à la production mais à la conscience universelle biosphérique. Il est « une expression de notre responsabilité commune à l’égard du bien-être collectif de l’humanité » (Jeremy Rifkin).
Gilles Fumey est professeur de géographie à l’université Paris-IV. Il a animé les Cafés géographiques jusqu’en 2010. Il dirige la revue de géographie culturelle « La Géographie ».
Sur le site du Café
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