Par François Jarraud
Le métier d’enseignant est-il en train de devenir un métier à risque ? Avec un enseignant sur quatre souffrant d’un excès de tension au travail, l’enquête du Carrefour santé social publiée le 30 janvier, montre un taux élevé qui éloigne les enseignants des cadres.
Selon l’enquête du carrefour social, un organisme regroupant la MGEN et les syndicats Unsa, Sgen et Fsu, sur les risques psychosociaux, de l’épuisement professionnel et des troubles musculo-squelettiques, la situation sanitaire des enseignants et des administratifs de l’éducation nationale pose problème. L’enquête a été réalisée par Internet. Elle a impliqué plus de 5 000 personnels de l’éducation nationale, essentiellement des enseignants, avec un échantillon un peu plus féminin que la moyenne réelle de ce ministère.
Un prof sur quatre en tension au travail. L’étude s’est intéressée en premier lieu aux situations de jobstrain, tension au travail, une « situation à risques pour la santé om les exigences du travail sont importantes, la demande psychologique forte et où les ressources disponibles dans le travail pour y faire face sont insuffisantes, la latitude décisionnelle faible ». Un personnel de l’éducation nationale sur quatre (24%) en souffre, un taux qui est supérieur au taux moyen des salariés français (23%) et le double de celui des cadres. Cette proportion ne varie pas selon l’âge ou le sexe. Par contre elle est plus forte chez les CPE, les administratifs et les enseignants des écoles et des collèges. L’étude montre aussi de fortes différences entre académies : par exemple les taux sont plus élevés en Nord-Pas-de-Calais et dans l’académie d’Orléans Tours.
Un agent sur sept est en situation de « burnout », soit 14%. L’épuisement professionnel, ou burnout, est « une réponse à un stress excessif ou continu au travail ». Il se manifeste par un épuisement émotionnel ou physique élevé, un sentiment de dépersonnalisation élevé, une réduction de l’accomplissement personnel au travail. Selon l’étude cela concernerait 14% des agents mais 17% des hommes et 18% des plus de 55 ans. Il serait plus fort chez les enseignants du primaire et du collège et moins fort en lycée et on note là aussi de fortes différences académiques, la Guadeloupe et Martinique, par exemple, ayant des taux élevés.
Presque tous les agents de l’éducation nationale souffrent de troubles musculo squelettiques (TMS) : 78% en déclarent sur l’année, la moitié dans les 7 jours précédant l’enquête. Ils augmentent selon l’âge et sont plus importants chez les femmes. Les troubles du dos concernent plus particulièrement les administratifs, les professeurs d’EPS et les professeurs des écoles et certifiés.
Comment interpréter ces données ? Le Carrefour santé social (CSS) insiste sur le burnout en collège et en école ainsi que le fort état de tension des CPE et personnels administratifs. Son étude établit pour la première fois des chiffres sur le burnout des enseignants français. Ils se situent dans la fourchette d’études comparables dans d’autres pays européens (17% aux Pays Bas).
En novembre 2011, Georges Fotinos & José Mario Horenstein avaient publié une étude sur la qualité de vie au travail dans l’éducation nationale qui montrait un mauvais climat relationnel dans un établissement sur quatre. Les enseignants se plaignaient de n’être ni considérés , ni suffisamment formés. Ainsi moins de la moitié des enseignants (42%) estiment que leur opinion compte dans leur établissement. La moitié (49%) se déclarent mal formés pour le métier actuel. La moitié aussi considère que les conditions matérielles les empêche de bien travailler. Le rapport interrogeait l’évolution du métier. « La multiplication et la complexification des tâches des enseignants se développent dans un contexte où « le métier d’élève » ne va plus de soi, où l’incertitude sur ce qui vaut d’être enseigné gagne les enseignants, ou des attentes sociales contradictoires (« sélection » et « égale réussite de tous ») rendent délicate la recherche d’un consensus minimum des valeurs partagées au sein d’un établissement scolaire », soulignait le rapport.
Ce mois-ci l’enquête de victimation en Seine Saint-Denis, réalisée par E Debarbieux, a mis en évidence une fort harcèlement interne entre personnels de l’éducation dans els établissements. 20% des enseignants et administratifs en souffriraient et en premier chef les CPE.
La nouvelle étude accuse l’évolution du métier. Elle montre que les personnels de médiation sont particulièrement sous tension (CPE par exemple). Elle met aussi en valeur le fait que l’état de santé des enseignants dépend de leur degré d’autonomie. C’est quand » la latitude décisionnelle est faible » et quand « les ressources disponibles dans le travail » sont également faibles que la tension augmente. C’est confirmé par le fait que les enseignants ont maintenant le taux de tension au travail des salariés et se sont extrêmement éloignés des cadres. Or l’évolution de ces dernières années a fortement détérioré la perception du métier. Pas tant du fait des élèves qui ont toujours été difficiles que par la mise en place d’évaluations dont l’utilité n’est pas perçue, par la bureaucratisation accélérée du métier avec des livrets de compétences (LPC) qui sont souvent perçus comme des brimades inutiles, par les pressions plus fortes de la hiérarchie elle-même harcelée. Il y a bien un lien entre la parcellisation des tâches, le sentiment de perte de sens du travail et la situation sanitaire décrite dans l’étude du CSS. La menace de l’évaluation des enseignants par le chef d’établissement est à situer aussi dans ce contexte.
Une chance ? En positif l’étude confirme le mécontentement envers l’institution scolaire. Car c’est aussi une opportunité pour un changement qualitatif du système éducatif. Les parents ne semblent pas satisfaits. Les élèves souffrent également. L’étude du CSS en relevant qu’un prof sur quatre est au bout du rouleau devrait aider à la prise de conscience qu’il faut changer des choses. Les pays où l’école a des résultats, nous dit l’OCDE sont ceux où les enseignants ont des responsabilités, une bonne formation continue et initiale et sont reconnus pour leur expertise.
François Jarraud
Liens :
L’enquête CSS
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/do[…]
Etude Fotinos
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/11/28[…]
Etude Debarbieux