Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ce mois-ci, nos deux invités avaient tous deux la vocation pour devenir enseignant :
– Yvon Robert, enseignant dans l’âme, a exercé pendant 9 ans en collèges et lycées avant d’embrasser une carrière de haut fonctionnaire et d’élu, aux multiples facettes : son parcours est exceptionnel ;
– Les syndicats s’inquiètent comme Aide aux Profs du projet actuel de modifier le statut juridique des GRETA pour les regrouper en GIP : cela signifierait purement et simplement la fin d’une seconde carrière aisément accessible à tous les enseignants titulaires, et la poursuite du démantèlement de l’Ecole, en s’attaquant cette fois à la formation continue des personnels.
Yvon Robert, enseignant dans l’âme, a exercé de multiples responsabilités de pilotage de haut niveau à l’Education nationale et comme élu en Seine-Maritime.
Quelles ont été les étapes de ta vie professionnelle depuis la fin de tes études à nos jours ?
« A 19 ans, avec comme diplôme un DUEL, BAC + 2 à l’époque, j’ai déposé un dossier auprès du rectorat de l’académie de Paris pour devenir Maître Auxiliaire en Français-Latin-Grec, en novembre 1968. Un mois plus tard, j’ai été appelé pour assurer un remplacement de congé maternité au lycée de Meaux, à partir du 4 janvier 1969. Après quatre années d’enseignement, j’ai voulu devenir chef d’établissement, mais l’on m’a dit que j’étais trop jeune, il fallait avoir 30 ans.
En 1972, j’ai obtenu le Capes de Lettres Classiques, puis j’ai enseigné dans un collège rural près de Chartres. En 1976, de nouveau, j’ai eu envie de devenir chef d’établissement, mais j’étais toujours trop jeune…et j’ai alors découvert l’existence du concours du PENA, lequel permettait d’être payé un an à plein temps pour préparer le concours interne de l’Ecole Nationale d’Administration, ce que j’ai fait, et j’ai été reçu en 1977. A ma sortie de l’ENA en 1980, j’ai choisi l’Education nationale, ma passion, et je suis devenu administrateur civil à la Direction des Affaires Financières.
En parallèle, depuis 1971 je militais au Parti Socialiste (PS) sur les questions d’éducation, et j’étais l’un des rares administrateurs civils à l’époque dans ce cas, ce qui m’a offert l’opportunité en 1981 de rejoindre le Cabinet du Ministre Alain Savary comme Conseiller. Ce que j’y ai vécu a été captivant, j’ai pu travailler sur plusieurs dossiers :
–La question de l’auxiliariat,
–Les questions de gestion des emplois,
–Les questions de gestion des personnels, de leur progression de carrière, et notamment sur la diversification de la vie professionnelle,
–Les questions de formation professionnelle des enseignants, initiale et continue.
–La décentralisation.
En 1982 nous avons vécu une rentrée particulièrement compliquée en termes de gestion. J’ai été amené à faire le diagnostic de ce qui s’était passé et à proposer des solutions. J’ai alors été nommé Président d’un groupe permanent de préparation de la rentrée scolaire à l’administration centrale, j’en ai assuré la présidence pendant 4 ans et demi.
Je suis devenu Directeur des Personnels Enseignants en novembre 1983, fonction que j’ai exercée pendant 3 ans et demi.
Je me suis alors consacré à de grands chantiers :
–La déconcentration de la gestion et de la notation notamment,
–La création du Capes interne, pour faciliter la promotion professionnelle,
–L’amélioration de la formation professionnelle des Capes,
–La création du Capes de Professeur Documentaliste, et la définition de leurs missions dans une circulaire toujours d’actualité.
–L’organisation du remplacement dans le second degré.
Tout cela m’a passionné, et j’ai pu aussi commencé à créer des éléments de gestion personnalisée.
En janvier 1987 le Ministre de l’Education nationale me convoque et me dit «Matignon exige votre départ. Je n’ai rien à vous reprocher mais vous êtes un politique…» Il faut dire qu’il y avait eu les élections avec la victoire de la Droite avec Jacques Chirac en 1986. J’ai alors été nommé IGAENR à l’âge de 37 ans. Je venais de vivre six années fantastiques. Je me suis demandé comment j’allais pouvoir continuer à exercer des responsabilités dans ce nouveau contexte politique.
J’ai alors décidé de regarder du côté des collectivités locales. J’ai rencontré Laurent Fabius qui m’a proposé de le rejoindre en Seine-Maritime pour y devenir élu. En parallèle, en 1988, je deviens Conseiller de Michel Rocard alors premier ministre, sur l’Education, et quelques mois plus tard sur le Service Public.
A l’automne 1989, Laurent Fabius me propose d’être son Conseiller à l’Assemblée Nationale dont il assure la présidence. La même année j’avais été élu au conseil municipal de Grand Quevilly et j’étais devenu Adjoint au maire. J’avais été aussi élu premier vice-président de l’Agglomération de Rouen. J’ai alors eu la satisfaction de piloter entre 1989 et 1994 la construction du métro de Rouen, en découvrant à cette occasion les différentes facettes de la construction d’une ville et la multiplicité des enjeux de l’urbanisme.
En 1992, le premier Ministre, Pierre Bérégovoy me propose de faire partie de ses conseillers, toujours sur l’éducation, puis en 1993 je rejoins de nouveau l’IGAENR pendant 5 ans.
En parallèle, je suis élu en 1995 Maire de Rouen, conduisant une équipe municipale PS, PC et écologiste. Nous transformons alors le SIVOM en District et j’en reste premier vice-président, avec Laurent Fabius comme Président. En 1998, Claude Bartolone ministre de la ville me propose de devenir l’un de ses conseillers, puisque je maîtrise bien les problématiques de la politique de la ville.
Fin 1999, toujours maire de Rouen, je contribue à transformer le district en créant une Communauté d’Agglomération. J’en deviens le Président en janvier 2000. Mais le 15 mars 2001 je perds mon mandat au profit de Pierre Albertini, qui devient maire de Rouen sous les couleurs de l’UDF. Je reprends des responsabilités au Ministère de l’Education nationale, où je dirige l’Inspection Générale de l’Administration pendant trois ans. J’ai assuré cette mission jusqu’en 2004. J’ai repris alors mes fonctions à l’Inspection Générale sans responsabilité particulière.
J’ai travaillé sur les questions d’orientation, sur le rôle et la fonction des inspecteurs d’académie, sur la formation continue des enseignants, sur le remplacement des enseignants ….
En parallèle, je suis resté conseiller municipal dans l’opposition, et en 2004 j’ai été élu Conseiller Général de Rouen et Premier Vice-Président du Conseil Général de Seine-Maritime, chargé de toutes les politiques sociales, jusqu’en mars 2011, date à laquelle je ne me suis pas représenté.
Parallèlement, en 2007, je suis devenu le suppléant de Valérie Fourneyron lors de la campagne législative. En 2008, lors des municipales, je deviens Premier adjoint de la ville de Rouen aux côtés de Valérie Fourneyron qui a été élue maire, et je pilote l’Urbanisme, la politique de la ville, le logement avec notamment la présidence de l’office municipal de logements sociaux, Rouen Habitat.
J’ai toujours réussi, dans ma vie professionnelle, à concilier toutes mes passions, à mener de front plusieurs vies toutes aussi passionnantes les unes que les autres, sans jamais abandonner l’Education. »
Quelles motivations t’ont conduit à enseigner et comment se sont déroulés tes contacts avec ce métier ?
«Dès l’école primaire, j’ai désiré être instituteur. En 6 ème j’ai été passionné par mon professeur de français. C’était pour moi une véritable vocation. Mais ma première expérience fut difficile, car il n’y a pas eu de tuilage avec l’enseignante que je remplaçais, puisque le chef d’établissement qui m’a accueilli ne m’a pas permis de la rencontrer avant de réaliser mon premier cours devant des lycéens : je me suis senti liquéfié, en me demandant si je serais à la hauteur. «Mais vous vous débrouillerez très bien, vous en savez plus qu’eux» m’a dit le chef d’établissement, et c’est comme ça que je suis allé faire mon premier cours. J’ai toujours considéré que ce n’était pas admissible d’obliger les auxiliaires ou contractuels à commencer ainsi. Pendant 6 mois, j’ai réalisé ce remplacement, jusqu’en juin 1969. Puis j’ai obtenu un poste dans un lycée privé à Paris, où je suis resté trois ans. J’ai adoré enseigner en seconde, première et terminale. 40 ans après, je garde des relations avec plusieurs élèves de cette époque.
Après le CAPES et des stages aux lycées d’Orsay et d’Antony j’ai été affecté à 20 kms de Chartres. J’ai alors pu comparer les années que je venais de passer en lycées parisiens avec ce que je vivais dans un collège rural, avec des élèves appartenant à un tout autre univers. En gros, je leur «parlais chinois», et c’est à ce moment là que j’ai vraiment ressenti la nécessité d’une formation, pour apprendre à transmettre mes connaissances à des élèves en difficulté. La première année, j’ai vraiment souffert de ce décalage, malgré mes 5 ans d’enseignement. C’était un autre monde, un autre univers, et ce furent trois années nettement plus difficiles que les précédentes. Tout cela m’a rendu extrêmement sensible à l’importance de la formation des enseignants. »
Comment expliques-tu toutes ces étapes dans ton parcours de carrière ?
« Dès ma 3e année d’enseignement, je me suis posé la question de faire autre chose, et j’ai repris des études, avec une Licence de Sciences Economiques. En parallèle, j’ai toujours été militant et responsable syndical et politique. Ainsi, en 1969, j’ai été élu sur une liste de l’UNEF au premier Conseil, issu de mai 1968 à l’UFR de Grec de la Sorbonne,
J’ai toujours eu envie de multiplier les activités, de mener de front plusieurs projets en parallèle. Je me suis vite aperçu que je ne voulais pas être seulement enseignant.
As-tu eu des regrets de quitter ce métier que tu avais toujours eu envie d’exercer ?
« Je n’ai jamais regretté, puisque je n’ai jamais totalement abandonné l’enseignement. J’ai toujours continué à enseigner, puisque j’ai été chargé de cours de Droit à la Faculté du Mans, que j’ai formé des personnes au concours d’employé de préfecture. Former des étudiants et des adultes était très motivant, car ils étaient investis, intéressés, et je me sentais aussi bien avec eux qu’à l’occasion de mes premières années d’enseignant en lycée à Paris. Par la suite, j’ai aussi été Maître de Conférences à l’ENA de 1987 à 1989, et en 1992 professeur associé à l’Institut de Préparation à l’Administration Générale (IPAG) de l’Université de Rouen pour enseigner le Droit Public, fonction que j’ai exercée jusqu’en 2008.
J’ai toujours eu à cœur de consacrer du temps à l’enseignement, à l’explication. »
Entre 1989 et 1995 tu es élu Adjoint au maire de Grand-Quevilly et entre 1995 et 2001 tu est élu maire de Rouen, et depuis la victoire de Valérie Fourneyron, actuelle titulaire du mandat, tu es devenu son premier Adjoint chargé de l’Urbanisme : par rapport à la vie que tu menais en administration centrale, comment as-tu vécu, de l’intérieur, cette période au service de publics beaucoup plus variés dans leurs attentes et leurs besoins ?
« S’il existe une spécificité de la vie professionnelle, la plus forte est celle que j’ai exercée en collège. Je n’ai jamais retrouvé ailleurs, par la suite, l’intensité de cette relation qui se noue entre l’enseignant et l’élève, et qui est quelque chose de très complexe. L’enseignant est confronté au quotidien à des adolescents qui se cherchent, qui le testent et le poussent souvent dans ses retranchements, l’obligeant fréquemment à se remettre en question. Les adolescents ont besoin de se sentir en conflit, en opposition à l’adulte pour se sentir exister, et on ne retrouve pas cela dans toutes les autres fonctions professionnelles, c’est vraiment atypique.
Aussi, pour un enseignant, c’est déroutant, difficile, car sa fonction exige à la fois de la fermeté et de la compréhension, de la distance et de l’empathie. Il faut à la fois l’un est l’autre, pas l’un sans l’autre. Cela s’apprend, progressivement, par des analyses de pratiques professionnelles, l’analyse de comportements, par des échanges entre collègues.
Après 43 ans de vie active très chargée et très diverse, je continue à penser aujourd’hui que la mission de professeur, de professeur de collège tout particulièrement, est l’une des missions professionnelles les plus fondamentales et les plus difficiles. Je crois plus que jamais que l’Etat doit y consacrer une attention toute particulière.
Par contre, ce qui caractérise la responsabilité d’élu municipal c’est l’extrême diversité des attentes des citoyens. Les demandes adressées à l’élu touchent absolument à tous les aspects de l’existence humaine. C’est très enrichissant, c’est par moment totalement surprenant. Et c’est inoubliable. Je ne m’en lasse jamais. Et je crois que je chercherai à continuer le plus longtemps possible. »
GRETA : le désengagement de l’Etat va conduire à une nouvelle diminution des secondes carrières accessibles sans formation et sans démission dans l’Education nationale
L’intersyndicale Sncl, Cgt, Sgen, Snes, Snuep, Unsa Education appelle à une journée d’action le 9 février avec préavis de grève pour s’opposer au projet de modification du statut juridique des GRETA :
« Au prétexte d’une indispensable réforme qui devait avoir pour objectif l’amélioration du fonctionnement des structures et de la gestion des personnels, l’État se désengage en remplaçant l’actuelle structure juridique des GRETA rattachés à un établissement public local d’enseignement (EPLE) par un Groupement d’Intérêt Public (GIP) autonome. Le ministère place ainsi la formation continue des adultes en marge de l’Éducation nationale. Il veut faire supporter aux GIP-GRETA des charges financières nouvelles. Les personnels ne seront plus des agents de l’Éducation nationale. Ce projet pose de nombreuses difficultés techniques, juridiques et financières ignorées par le ministère. Il remet en cause la viabilité des GRETA et donc de la formation continue des adultes dans l’Éducation nationale« .
Nous avions évoqué dans la rubrique Seconde Carrière du Café Pédagogigue n°128 avec le témoignage de Guy Lebé la question de la réforme des GRETA, chargés jusqu’ici de la mission de formation continue pour l’Éducation nationale en France. Le réseau des GRETA (plus de 200 implantations physiques) est l’un des plus grands opérateurs de formation continue car il forme chaque année près de 500 000 stagiaires :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Page[…]
Au-delà de toute la formation qui migrerait progressivement vers des officines privées, c’est un nouveau pan énorme de secondes carrières accessibles sans reprise de formation et sans changement de statut qui disparaîtrait pour les enseignants: il y a actuellement plus de 1500 enseignants sur des postes de Conseiller en Formation Continue (CFC) et près de 5000 formateurs y travaillent comme vacataires, souvent des contractuels.
Ainsi, nous constatons que la politique actuelle de l’Education nationale, et ce depuis 2002, va à l’opposé de la création de possibilités de secondes carrières pour les enseignants:
– en 2002, il existait environ 6500 postes administratifs occupés par des enseignants détachés et 5200 postes administratifs occupés par des enseignants en mis à disposition (récemment, lors de son discours au Futuroscope début Janvier 2012, le Président de la République a rendu hommage au Ministre actuel de l’Education nationale d’avoir supprimé ces emplois en MAD) ;
– en 2007, les détachés non enseignants étaient environ 4500 et les enseignants en mis à disposition environ 4700 ;
– en 2011, les détachés non enseignants étaient environ 3000 et les enseignants en mis à disposition une centaine, bien qu’en théorie dans les textes tous leurs postes devaient être supprimés à la rentrée 2011.
Avec cette réforme des GRETA, ce sont encore 1500 possibilités de seconde carrière à soustraire, puisque l’objectif de l’EN est d’employer en priorité des contractuels, qui lui coûteront moins cher que des fonctionnaires, qui seront sans autres formalités – s’ils ne trouvent pas autre chose entre temps – remis devant élèves.
Comme dans le même temps l’EN a décidé de fusionner des CIO du réseau de l’ONISEP, de supprimer des CDDP qui n’ont jamais eu d’existence juridique, de réduire début 2012 la subvention attribuée au CEREQ de Marseille, alors que l’INRP avait été lui purement et simplement supprimé le 1er janvier 2011, il y a fort à parier que, si cette politique de démantèlement des emplois publics se poursuit à ce rythme encore pendant deux ans, à ce rythme, il n’existera plus de postes en détachement pour les enseignants dans la sphère éducative à l’horizon 2015. Et cette politique aura été synonyme d’un grand gâchis de compétences.
Que vont donc pouvoir proposer les CMC des cellules « seconde carrière » de chaque académie aux enseignants qui les contactent ? Les échos qui nous sont parvenus sur l’année 2011 font état, à l’heure actuelle :
De propositions plus fréquentes, dans quelques académies qui n’ont rien à proposer comme formes de reconversion, de « démissionner si vous n’êtes pas content dans votre métier », plaçant les enseignants en quête d’autre chose « au pied du mur » ;
D’Indemnités Volontaires de Départ (IVD) attribuées dans la tranche basse par la majorité des académies, alors que le mode de calcul pour les éventuels bénéficiaires est toujours d’une opacité totale ;
D’un allongement des délais de convocation à un premier entretien (de 2 semaines pour les grandes académies jusqu’à 6 mois pour les petites académies provinciales) ;
D’une moins grande disponibilité des CMC, parfois en congé maladie eux aussi, et donc réellement en sous-effectifs ;
D’un manque de temps et de compréhension de la part des personnels d’inspection, qui culpabilisent plus qu’ils n’acceptent les désirs de mobilité externe des enseignants ;
De difficultés pour certains enseignants d’en parler à leur chef d’établissement qui, parfois, n’y est absolument pas favorable, car il a déjà du mal à recruter des enseignants ;
D’une nouvelle procédure qui perturbe plus d’un enseignant accueilli par un CMC : désormais, le contenu de l’entretien doit être retranscrit par le CMC pour sa DRH. Qui, par la suite, sera amené à consulter ce qui aurait dû rester strictement confidentiel entre l’enseignant et le CMC ?
Néanmoins, une lueur d’espoir : il est désormais possible aux enseignants de postuler directement pour occuper un poste d’Attaché d’Administration, puis d’y être titularisé. Mais avec le non renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, les places vont être très chères…
http://www.education.gouv.fr/cid54970/detachement-des-pers[..]
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