Par François Jarraud
A l’occasion de ses voeux à la presse, le 11 janvier, Luc Chatel a annoncé l’intention de son parti de porter le métier enseignant et la question des rythmes scolaires devant les français au printemps prochain.
« La famille politique à laquelle j’appartiens porte une vraie vision du système éducatif. Nous savons où nous allons… Nous sommes en train de transformer en profondeur le système éducatif français. L’école française est aujourd’hui à un tournant de son histoire ». Luc Chatel a tenu un discours offensif sur l’éducation, son bilan et sur les adversaires de Nicolas Sarkozy défiés sur le terrain de l’éducation.
Luc Chatel a d’abord dressé un bilan favorable de son action. Il l’a fait avec plus d’habileté que Nicolas Sarkozy le 5 janvier, mettant en avant par exemple à l’occasion des bilans de CE1 et CM2 un « frémissement » des résultats qu’il porte à l’actif de la reforme du primaire plutôt qu’une évolution massive, mais improbable, des résultats comme l’a fait le président.
Il a insisté sur son action au primaire reprenant les thèmes que les ministres de droite ont porté avant lui. « Des programmes resserrés sur les fondamentaux, l’abandon de certaines méthodes de lecture, l’apprentissage du par coeur, l’instruction morale, tout cela constitue des avancées considérables », a-t-il déclaré. Luc Chatel a aussi insisté sur l’évolution des résultats au primaire. « Les réformes portent leurs fruits »,a-t-il ajouté en signalant que le taux d’élèves fragiles en français avait baissé de 4 points aux évaluations de CE1. Mais on sait que ces évaluations sont considérée par de nombreux experts et par le HCE comme peu fiables. Luc Chatel devait le savoir puisqu’il a mobilisé les résultats de l’enquête Cedre pour signaler « un frémissement » positif, une baisse de 2% du nombre d’élèves en difficulté en français en 6ème. Mais voilà, la Depp ne juge pas cette évolution significative et signale juste une » évolution statistiquement significative (concernant) la population du groupe 3 (moyens-forts) » en augmentation. Pour lui, » si on laisse passer un élève qui a des difficultés de lecture en sixième toute sa vie il aura des difficultés », ce qui pourrait faire penser à un possible ralliement aux thèses de Copé sur l’examen d’entrée en 6ème.
Luc Chatel a vivement vanté l’accompagnement mis en place de l’école au lycée. Au collège il s’est appuyé sur une étude de la Depp pour affirmer qu’elle indique « une amélioration du comportement de ces élèves pour 70% d’entre eux et une amélioration de leur réussite ». En réalité, la note dit que les chefs d’établissement créditent l’accompagnement de ces avantages, ce qui n’est pas la même chose. On les voit mal dénigrer une mesure ministérielle ! En fait aucune étude, comme nous l’avions signalé le 4 janvier, ne démontre un impact positif de ces temps d’accompagnement sur le niveau des élèves. Cela n’empêche pas Luc Chatel de créditer l’accompagnement personnalisé au lycée du recul du taux de redoublement en seconde, taux qui, en réalité est en baisse régulière depuis au moins 2007…
Luc Chatel a annoncé un rapport et des mesures sur le bac. A la demande de l’Association des journalistes de l’éducation, il a promis de rendre ce rapport public. IL a aussi annoncé des mesures pour l’enseignement des langues à l’occasion du salon Expolangues, laissant entendre que le Cned proposerait des outils révolutionnaires, probablement d’enseignement à distance.
La première banderille sur le candidat socialiste a été posée à propos de la revalorisation. Luc Chatel a vanté la revalorisation des enseignants débutants, publiée ce même jour au B.O. Il l’a liée aux suppressions de postes. « Nous assumons la politique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Cette politique nous permet de pratiquer une revalorisation sans précédent… Vous avez d’un coté ceux qui vous disent « nous continuerons à créer des postes dans la fonction publique y compris chez les enseignants », allusion à F Hollande, mais « il faut avoir en tête que 60 000 postes enseignants c’est 100 milliards d’euros » et que ça empêche la revalorisation…
Mais on retiendra surtout de ses propos ce qui concerne l’évolution du métier enseignant. La question des rythmes scolaires a été présentée comme « une question essentielle du débat devant les Français ». Interrogé par le Café pédagogique sur l’évolution du métier enseignant, Luc Chatel s’est montré très offensif. « Le statut de 1950 ne peut être traité que devant les Français » a -t-il affirmé. Il a annoncé que ce serait le cas au printemps. « La société a changé donc le métier d’enseignant a évolué », a-t-il précisé. « la mission unique c’était l’instruction. A l’avenir il y aura d’autres missions tout aussi importantes comme « l’accompagnement, le soutien, le travail en équipe pédagogique, contribuer à l’élaboration du projet pédagogique… Ca nécessitera un débat devant les français au printemps ». Il a ensuite attaqué le candidat socialiste. « D’ailleurs j’ai cru comprendre qu’on n’était pas les seuls à penser cela. Mais il y a un moment où il faut mettre ses paroles et ses actes en accord. La République c’est cela. C’est bien de promettre mais il y a un moment où il faut prendre des décisions ».
Pour la première fois, le sort des professeurs va se jouer au printemps et ce ne sera pas devant la profession. Ce sera un des enjeux de l’affrontement droite gauche lors des présidentielles avec tous les risques démagogiques de ce genre de rencontre. Les enseignants seront une pièce essentielle du combat entre N Sarkozy et F Hollande. La droite mise sur sa « vision système éducatif ». A gauche, on attend toujours le projet. Luc Chatel a raison. Pour les enseignants, 2012 pourrait être un tournant.
François Jarraud
Liens :
Sarkozy la même politique après 2012
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/01/06[…]
L’accompagnement éducatif aide-t-il les élèves ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/01/0401[…]
Taux de redoublement en seconde
http://eduscol.education.fr/cid46808/fin-de-seconde-generale[…]
Cedre
http://media.education.gouv.fr/file/2011/44/7/DEPP-NI-2011-16-[…]
Pourquoi le métier d’enseignant est-il déconsidéré ?
Si le gouvernement s’apprête à modifier le métier d’enseignant, c’est bien parce qu’il estime que le rôle des enseignants est important pour l’avenir des élèves. Pourtant, le métier n’attire pas et, malgré le taux de chômage, l’Etat n’arrive plus à trouver les nouveaux enseignants dont il a besoin. Etre enseignant c’est exercer un métier de second ordre et peu d’enseignants encouragent leurs enfants à suivre leurs traces. Du moins en France. Car c’est encore un métier noble et prestigieux dans plusieurs pays, la Finlande étant l’exemple le plus célèbre. Comment expliquer la situation française ?
Le premier facteur qui vient à l’esprit c’est évidemment le salaire. A l’évidence le niveau des salaires est incompatible avec la masterisation. A quoi bon faire de longues études pour avoir un salaire d’employé ? Les salaires des enseignants français sont toujours inférieurs à la moyenne de l’ OCDE: 33 359$ pour un enseignant du primaire français contre 38 914 dans l’OCDE; 38 856 en collège français contre 41 701. Ils diminuent en France alors qu’ils progressent dans tous les pays de l’OCDE sauf la Hongrie et la France. Cette situation, qui s’aggrave chaque mois avec le blocage des salaires et l’augmentation des charges et de l’inflation justifie la demande de revalorisation des syndicats enseignants.
Mais le discrédit jeté sur le métier n’est pas que financier, il est aussi moral. Le métier est en train de se déprécier en lui-même. J e ne fais pas allusions aux difficultés que rencontrent les enseignants pour encadrer les élèves. Elles ne sont pas nouvelles. Ce qui change c’est la dénaturation du métier décidée par l’institution elle-même.
Les textes présentés aujourd’hui au CSE éclairent cette évolution. Le ministère rédige une « charte de déontologie » qui considère à priori les enseignants comme coupables. Par exemple, au lieu d’appeler les examinateurs à la bienveillance qui est due aux élèves, elle exige qu’il « évite de poser des questions qui pourraient faire penser au candidat que sa performance est préjugée ». Cette étrange formulation valide à l’avance les paranoias. Et elle évite de se demander pourquoi les jurys d’année en année semblent moins généreux dans le rachat des candidats…
Mais le pire est dans l’autre texte sur les livrets scolaires d’examen. Le ministère va publier au printemps de nouvelles compétences à valider en juin. Il instille ainsi l’approche par compétences à travers un livret dont on sait qu’il sera informatisé. Et cette façon de faire est très significative. Le ministère n’ignore pas que la démarche est inefficace : l’exemple du collège le montre. Elle aboutit à une application bureaucratique de l’approche par compétences. La cerise sur le gateau consiste à exiger des enseignants une validation de compétences communiquées en fin d’année et donc pas abordées en classe. En agissant ainsi on ne demande pas aux enseignants d’évaluer leurs élèves mais de remplir du papier. De singer l’évaluation.
Les professeurs des lycées vont connaitre ce que leurs collègues du primaire et du collège vivent déjà. La mise en place d’évaluations bureaucratiques qui, pour le gouvernement doivent permettre la gestion du système éducatif et l’évaluation des établissements, des enseignants et des élèves, mais dont les bases méthodologiques apparaissent peu solides. On a là une véritable perversion du travail enseignant qui relève pas seulement de la caporalisation mais aussi d’une dénaturation de ce travail. C’est l’intelligence du travail enseignant qui s’enfuit dans le test. Philippe Meirieu parle de « prolétarisation » du métier enseignant, celle-ci étant établie quand la machine domine l’homme , quand l’intelligence passe dans la machine. Le système que met en place le gouvernement agresse chez l’enseignant son intelligence, lui dénie toute compétence et l’asservit à la bureaucratie.
La revalorisation financière est nécessaire mais on peut comprendre qu’elle soit difficile à obtenir dans la situation économique actuelle. La réhabilitation morale du métier est absolument indispensable. Le futur gouvernement doit la faire. Comment réhabiliter le métier ? Il faut donner des responsabilités et de la liberté aux enseignants. Sur les questions d’éducation leur parole doit être prise en compte. Mais il faut d’abord renforcer leur expertise et revoir la formation initiale et continue qui aujourd’hui sont dans un triste état. L’école doit évoluer en profondeur et pour cela il faut accompagner les enseignants face à leurs. Les français ont droit à une évaluation sérieuse du système ce que camouflent les évaluations actuelles qui ont une autre finalité. Il faut supprimer l’appareil bureaucratique que la droite met en place, justement si l’on veut que l’approche par compétences ait sa chance.
Etats-Unis : Des résultats ou la porte
« Il vaut mieux virer les gens trop tôt que trop tard ». C’est la conclusion donnée par John N Friedman (Harvard) d’une étude menée avec R. CHetty (Harvard) et J.E. Rockoff (Columbia) sur l’impact à long terme des bons et des mauvais enseignants. L’étude a étudié près de 2 millions d’élèves américains sur une longue période. Les chercheurs ont identifié des « bons » et des « mauvais » professeurs. Et leurs résultats montrent un impact beaucoup plus important qu’attendu de l’effet professeur. Pour eux, les effets d’un bon professeur à l’école et au collège sont durables. Ils se traduisent en gain de salaire à long terme (+ 250 000 $), en accès plus fréquent au supérieur, en une baisse des maternités précoces. Logiquement, nos trois économistes concluent : il fait détecter et virer au plus vite les mauvais profs pour les remplacer par de meilleurs. Mais qu’est ce qu’un bon professeur ? Pour les auteurs ça se constate aux résultats. Mais alors comment devient-on un bon professeur ? Cette question n’est pas abordée par les auteurs qui se contentent d’appeler à sabrer.
Etude américaine
http://obs.rc.fas.harvard.edu/chetty/value_added.html
A quoi servent les profs ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages[…]
Evaluation et perte de sens du travail : Le moment est venu pour un « empowerment » enseignant ?
Par Françoise Lantheaume
Si la réaction est aussi vive à la modification de l’évaluation des enseignants, c’est qu’elle survient dans un processus où les enseignants sont dépossédés du sens de leur travail et de leur capacité à le maitriser. Pour la sociologue Françoise Lantheaume (ISPEF, Lyon 2) c’est possible parce que les enseignants ont du mal à » s’emparer de la question des critères de qualité du travail, à en faire un objet de débat interne ». Le moment est venu de « mettre en mouvement la pensée, construire les conditions d’un débat, en faire un enjeu à la fois professionnel et politique… pour ne pas se faire confisquer la définition de ce que signifie « bien travailler ». 2012 l’année de l’empowerment ?
Le travail enseignant est vivement interrogé aujourd’hui. Quelles évolutions vous semblent à l’œuvre ? Voyez vous des différences entre les niveaux d’enseignements (primaire, collège, lycée professionnel, lycée général) ?
Ces évolutions sont largement convergentes et produisent le sentiment partagé d’une certaine perte de sens du métier. Les injonctions, les contraintes imposées, certaines attentes sociales ne coïncident pas avec ce que les enseignants estiment devoir être leur travail. Ainsi de l’envahissement du travail par des procédures bureaucratiques et par l’évaluation, au nom de l’efficacité, qui, de fait, modifient le sens et l’intérêt du travail en l’orientant vers un rendement immédiat à partir de critères décidés en dehors des enseignants. De plus, cela tend à accroître le contrôle sur les enseignants par le moyen de dispositifs (livrets de compétences, par exemple), et la concurrence entre eux puisque évaluation et évolution professionnelle sont liées, dans un contexte de limitation budgétaire. La part d’autonomie professionnelle, ce qui, avec la responsabilité, fait la grandeur du métier, en est diminuée. Des transformations curriculaires (socle commun, bac pro en 3 ans, réforme du lycée) dont le sens est équivoque ne sont pas, non plus, sans effet sur le travail des enseignants : nouvelles conceptions des savoirs, des parcours de formation, de la temporalité, de l’évaluation des élèves, de la division du travail, etc.
Selon vous, quelles sont les principales causes de ces évolutions ?
Deux causes, pour l’essentiel : d’une part, la pénétration de politiques neo-libérales pour lesquelles la société idéale est celle qui a le moins d’État et la concurrence une source de qualité, au moment où le public scolaire est atteint de plein fouet par une crise profonde, qui n’est pas seulement économique. De réforme en réforme le cadre normatif du travail enseignant a été transformé du primaire au supérieur. D’autre part, la difficulté du métier à s’emparer de la question des critères de qualité du travail, à en faire un objet de débat interne au groupe professionnel et un débat avec la hiérarchie, la société. C’est une question politique liée à des questions de justice (faut-il donner la priorité à l’excellence de quelques uns, à la réussite de tous ? Faire du chiffre par la réussite aux examens, individualiser ?, etc.) : les enseignants ne peuvent la traiter en vase clos, d’autant que la même logique est à l’œuvre dans bien d’autres métiers.
On a vu se développer des mouvements de « résistance », dont l’expression publique semble cependant être restée minoritaire. Quel regard portez-vous sur ces types d’actions ? Comment les enseignants peuvent-ils « jouer collectif » ? Qui peut y aider selon vous ?
La capacité à engager le plus grand nombre des enseignants plutôt que de déléguer l’expression du mécontentement à des « résistants » plus audacieux, me semble clé. Et résister ne peut se limiter à défendre l’existant, peu satisfaisant quant aux effets du système et des pratiques sur les élèves et les enseignants eux-mêmes. Les professionnels ne peuvent décider seuls du projet éducatif de la nation, mais ils peuvent peser car ce sont eux qui connaissent le mieux le métier. Se réapproprier la question du changement dans et par l’éducation, en faire une question à la fois professionnelle et publique passe par des collectifs de travail qui en débattent localement, mais aussi par des instances permettant d’aller au-delà du local : les syndicats, plus tournés qu’auparavant vers les questions du travail, les associations pédagogiques, divers groupes de réflexion. Mettre en mouvement la pensée, construire les conditions d’un débat, en faire un enjeu à la fois professionnel et politique sont des conditions pour ne pas se faire confisquer la définition de ce que signifie « bien travailler », pour les enseignants.
Pour un gouvernement qui souhaiterait donner des raisons d’espérer aux enseignants, quelles vous sembleraient les axes prioritaires sur lesquels il faudrait travailler, aux différents niveaux du système éducatif ?
Prendre appui sur l’expertise des enseignants plutôt que penser qu’on ne peut réformer que contre eux, favoriser tout ce qui peut stimuler la reprise en main de leur métier par les enseignants, tout ce qui contribue à apaiser les relations avec les parents et la hiérarchie en refondant des relations de confiance, me semblerait de bon augure. Cela implique de ne pas faire l’impasse sur la cohérence entre un projet éducatif national et les moyens qui lui sont donnés : la poursuite de l’accroissement de l’intensification du travail ne peut être la solution, la santé des enseignants en pâtit. Cela passe par l’organisation du travail, mais aussi par une formation continue qui ne soit pas simple adaptation à l’emploi et retrouve sa fonction critique en étant un lieu de débats sur « comment faire », un lieu d’expérimentation, de soutien. Pour les entrants dans le métier, la formation est en partie à repenser en lien avec les lieux et situations de travail, sans rien abdiquer de la formation scientifique et critique que l’université est capable d’apporter. Et modifier leurs conditions de travail : si l’on veut des enseignants performants, assurant leur métier pendant un certain nombre d’années, mieux vaudrait ne pas les casser dès le début… au risque de démissions, d’épuisement ou de replis sur des postures rigidifiées.
Françoise Lantheaume
Sur le Café :
Les enseignants de LP face aux réformes
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2008/94_[…]
Sur le site du Café
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