L’Ecole Fondamentale, cité idéale ?
Durant trois jours, l’association « Ecole & Devenir » a réuni plus de cent personnes (chefs d’établissements, inspecteurs, professeurs) sur la question de l’école fondamentale. Derrière le terme, revendiqué par certains syndicats, mais remis aussi au goût du jour dans un sens très différent par Fondapol, l’idée d’organiser un système éducatif permettant moins de rupture entre le premier degré. Evidemment, au motif de développer la réussite des élèves, mais aussi avec l’idée de changer le fonctionnement de l’Ecole. Les débats, généralement policés, ont montré que la vie était peut-être moins simple que les projets de réformes, même généreuses...
Ouvrant les travaux, Christian Marois, recteur de l’académie de Créteil, qui rappelle les difficultés sociales et économiques de nombre de familles de l’académie de Créteil, pense que « le socle pourrait être une bombe, parce qu’il pourrait fonder une évolution majeure, avec d’un côté l’école du Socle, de l’autre côté de bac – 3 à bac +3 ». Christian Forestier, administrateur général du CNAM, ancien recteur et directeur de cabinet de J Lang, insiste : les sorties sans qualification, dans les années soixante, concernaient 40% des élèves (sorties à la fin de 5e). Mais si dans les années 60, des jeunes pouvaient trouver du travail uniquement avec la partie pratique du CAP, sans avoir pu avoir la partie théorique. Ce n’est plus possible aujourd’hui, avec une croissance plus faible et une élévation des qualifications professionnelles. « La définition de l’échec scolaire lourd, aujourd’hui, c’est la sortie sans diplôme ». Le HCE a eu un rôle important pour que la France accepte le verdict des évaluations internationales comme PISA. « Nous avons le meilleur système du monde… pour la moitié de nos élèves ». Il relève que c’est de cette époque que date le projet de « socle commun », réaction à la prise de conscience de ce système à deux vitesses. « Tous les chiffres montrent que ce sont ces élèves sans qualification qui feront les troupes des jeunes au chômage persistant pendant plusieurs années. Ce doit être la priorité du prochain quinquennat, et ça ne se fera pas en claquant dans les doigts… Mais en éducation, le changement se fait à dix ans. Le PISA de 2018 se fera avec des enfants qui sont aujourd’hui en CM2 »…
Réformer le second degré pour achever la démocratisation ?
De son point de vue d’historien, Jean-Paul Delahaye souligne que Condorcet indiquait déjà que l’école du peuple devait permettre d’ouvrir les portes du « temple de la vérité » à tous, et que l’éducation devait garantir « l’égalité des droits ». Pour lui, le second degré n’a jamais été fait pour accueillir tous les élèves, comme le montrent les écrits de la Troisième République qui précisaient qu’il fallait le protéger de ceux qui pouvaient en « gêner le fonctionnement ». Aujourd’hui encore, ceux qui refusent le « péril démocratique » prônent le maintien des digues et des séparations de classe sociales. Pour lui, la mission du collège est donc bien « d’achever la scolarité obligatoire » et non d’être un « petit lycée ». Depuis vingt ans, de nombreux rapports ont précisé les changements à effectuer. « C’est presque un miracle qu’autant d’élèves arrivent à être scolarisés au collège, tant il a fallu de « mécano administrativo-pédagogique » pour y parvenir. ». Encore aujourd’hui, déplore-t-il la prise ne charge des élèves en difficultés au collège est dévolue aux « enseignants volontaires », souvent dans des dispositifs extérieurs à la classe.
« Culturellement, notre enseignement est toujours structuré autour des disciplines, les concours ne permettent pas de vérifier que les enseignants recrutés peuvent mettre en œuvre des situations pédagogiques. Les programmes de l’école primaire de 2008 citent 28 fois le mot compétence, quand ceux de 2002 le citaient 196 fois. Quant aux programmes de collège, les écarts sont considérables entre les programmes de sciences, qui articulent connaissances et compétences, et ceux de français qui laissent au professeur le soin de faire le travail d’articulation entre le socle et les programmes. »
Mais au-delà, la question de la formation des enseignants lui semble devoir être posée : « Enseigner en terminale S peut-il se confondre avec l’enseignement en 5e dans un collège difficile ? »
Construire une école commune pour toute la scolarité obligatoire, c’est avant tout pour lui une volonté politique, pas un problème pédagogique. « Le ministre Savary disait que ce serait affaire de plusieurs générations, ce n’est surement pas le moment de renoncer maintenant… »
Ecole et territoire : une des conditions du changement ?
Pour Mathieu Hanotin, vice-président du conseil général de Seine-St-Denis, les lois de décentralisation changent la nature de l’intervention du conseil général dans le collège, le plongeant dans le quotidien de l’établissement, créant des liens et des idées. Mais « la décentralisation fait peur aux acteurs, parce qu’elle fait craindre les inégalités ». S’avouant « d’origine jacobine », M. Hanotin reconnaît avoir lui-même évolué en mesurant les avantages de la proximité, permettant plus de réactivité, pour peu que la volonté soit partagée par tous les acteurs, et non la conséquence de désengagements successifs de l’action publique. « Les organisations ne sont pas bonnes ou mauvaises par nature : sans politique et pacte de confiance, ça ne peut pas marcher ».
Il cite en exemple le dispositif ACTE, « accueil des collégiens temporairement exclus », qui a permis de travailler la difficile question des milliers d’exclus en cherchant une réponse territoriale, avec un partenariat fort entre l’Education nationale et de nombreux acteurs, chacun ayant son expertise pour encadrer les jeunes exclus. « Nous avons constaté des réussites supérieures à 90%, avec des résultats variables selon les communes, surtout quand les collaborations entre acteurs étaient fragiles. Plus on arrive à travailler sur le retour en classe, plus on est efficace dans la lutte contre le décrochage. Evidemment, nous demandons que l’Education Nationale mette davantage de ressources pour y contribuer ».
Dans un autre domaine, le programme « culture – arts au collège » permet de mettre à disposition des collèges des heures d’intervenants spécialisés ou de financer la participation de tous aux voyages organisés dans l’établissement, en partenariat avec des entreprises, mais tout en assurant la garantie du service public.
« Le rôle éducatif des collectivités locales doit être inscrit dans la loi pour stabiliser les politiques et éviter d’être mis à genoux en abandonnant certains pans des politiques publiques ».
Patrick Braouezec, député et président de Plaine St Denis, reprend la balle au bond : « si l’argent public est rare, je préférerais qu’on taxe les entreprises pour assurer les moyens de service public. Parler de l’école et du territoire, c’est d’abord parler du territoire national », provoque-t-il, évoquant la longue liste des abandons de l’état, tant sur les moyens que sur les contenus de formation des élèves et des enseignants. « Aujourd’hui, les inégalités se creusent, et les déterminismes sociaux augmentent. Les valeurs prônées par l’école n’ont jamais été aussi loin des valeurs prônées par les médias »… Pour refonder un projet national, le député demande un débat de société « qui concerne tous les français ». Même dans les commune populaires, les habitants mettent en avant la question de l’éducation. « Les parents attendent beaucoup de l’école. Plus les difficultés sociales sont grandes, plus le partenariat éducation nationale-territoires doit être fort pour améliorer le climat scolaire et faire baisser la violence ». Sortant définitivement de la langue de bois, il demande d’oser différencier les moyens, être moins rigides sur les affectations dans les zones difficiles pour développer des projets pédagogiques dans lesquels les enseignants s’investissent… « Moyens différenciés ne signifie pas programmes spécifiques : mêmes exigences, partout sur le territoire…
Concluant la table-ronde, Philippe Joutard invite à mettre en œuvre ce à quoi il appelle depuis dix ans : des structures associant école et collège. « Pour éviter les ruptures qui font que des élèves qui ne s’en tirent pas mal au CM2 s’effondrent en 6e »… Sous la tutelle de quelle collectivité ? « assurément le département ». Avant de conclure par une ode à la modernité : « Le fossé s’agrandit de plus en plus entre les élèves et le monde scolaire, qui ne s’adapte pas aux nouvelles technologiques et à la révolution numérique ». CQFD.
Ecole pour tous ?
« Les ZEP, trente ans d’histoire ignorée par les pouvoirs publics ? » questionne Luc Cédelle, journaliste au Monde insistant sur les changements successifs de terminologie qui font « qu’on ne peut même plus parler des choses. « Alors, faut-il réellement « déposer le bilan des ZEP » ?
Marc Douaire : « c’est sur l’école primaire qu’il faut investir »
Que nous apprend l’histoire des trente années de ZEP ? D’abord, que bien peu ont été des « années utiles », tant les périodes de discontinuités, de latence, de zapping des dispositifs ont pu renforcer le trouble des acteurs, quand on sait que l’éducation requiert d’abord du temps long d’engagement. » Les assises de Rouen, en 1998, sont le dernier grand moment de mobilisation collective. »
La carte des ZEP, initialement centrée sur les territoires les plus en difficultés, a progressivement enflé, dépassant 20% des élèves, éparpillant les moyens supplémentaires, et laissant trainer dans les esprits que l’Ecole des milieux populaires nécessitait des dispositifs, des programmes et des objectifs spécifiques. Les dernières années ? Elles ont été marquées par des déplacements de centration : des territoires, on est passé à l’individualisation, aux talents, au mérite. Changement de culture. L’assouplissement de la carte scolaire a fait sortir des ZEP un certain nombre des meilleurs éléments. Au contraire, la reconnaissance des nouveaux métiers est au point mort : des lettres de mission des coordonnateurs et des pilotes est à l’abandon, même si ici ou là, des inspecteurs s’en préoccupent.
Et demain ? Alors que tous les rapports montrent la nécessité de se focaliser sur l’Ecole et les premiers apprentissages, pourquoi centrer le débat sur le second degré ? Savary voulait faire des ZEP le moteur du changement professionnel. « Si tout n’a pas été balayé, c’est dû à l’action volontaire des militants. Mais peut-on faire porter le changement uniquement sur les militants, en dehors de toutes volontés institutionnelles ».
C’est pourquoi l’OZP profite de la campagne pour tenter d’attirer l’attention, en souhaitant populariser 11 propositions pour les ZEP, mais aussi pour l’ensemble du système éducatif, avec pour principe l’éducabilité de tous et l’effectivité des droits à l’éducation et à la formation, et non à « l’égalité des chances« , en visant la réussite de l’ensemble d’une classe d’âge.
L’OZP demande de s’appuyer sur ce qui a réussi dans l’Education Prioritaire, que le ministre refuse de reconnaitre : s’appuyer sur un réseau interdegré avec un pilotage et une formation continue locale partagée ; engager des personnels spécifiques (enseignants référents, assistants pédagogiques, coordonnateurs ; généraliser une pratique pédagogique ambitieuse ; reconnaître la place des parents.
Il faut aussi mettre fin aux carences : remettre en place un véritable pilotage national articulé avec la politique de la ville ; identifier des postes à profil pour les pilotes ; articuler le travail de terrain avec la recherche. Enfin, il faut oser redéfinir la géographie de l’Education Prioritaire, tout en conservant cependant des moyens pour les RRS qui ont une réelle activité ; redonner une priorité à l’école primaire par la politique des cycles ; corriger les effets de l’assouplissement de la carte scolaire…
Daniel Auverlot : « Les enseignants sont les vrais spécialistes de la difficulté scolaire »
Pour l’inspecteur d’académie de la Seine-Saint-Denis, l’Ecole du socle, c’est la « rupture de la rupture ». Mais il pointe sept obstacles qui rendent difficile le chemin vers la culture commune entre école et collège. Il va d’abord chercher du côté de l’organisation bureaucratique, se rappelant que temps n’est pas si loin, où la direction des écoles et la DGESCO n’avait pas de lien fonctionnel, et où les moyens du premier degré étaient inconnus du recteur. « Je suis frappé par la vacuité des projets académiques sur les enjeux du premier degré. D’ailleurs, peu nombreux sont les recteurs qui s’intéressent aux écoles. La LOLF intègre la rupture entre le programme 140 (écoles) et le 141 (second degré).
Côté enseignants, le tableau décrit n’est pas plus rose : pour l’IA du 93, les enseignants de chaque degré ne connaissent pas beaucoup ceux de l’autre côté. « Qui sait ce qui se passe dans les moments d’accompagnement personnalisé ? » Il en profite pour déplorer la floraison des dispositifs qui externalisent la prise en charge de la difficulté scolaire : « quand on ne sait pas faire en pédagogie, on fait de l’organisationnel qui nous prend à plein temps… C’est comme la validation du socle… A force d’externaliser, voire de médicaliser la difficulté scolaire, on s’empêche de penser le professeur « ordinaire » comme spécialiste de la difficulté scolaire ordinaire…». Les RASED ne sont pas loin d’être emportés par le verdict : s’il reconnait avoir besoin des psychologues, voire de certains rééducateurs « qui ramènent les élèves vers les apprentissages », il est dubitatif sur l’action des maîtres E lorsqu’ils sortent les élèves de la classe pour traiter la difficulté, même si la co-intervention semble trouver meilleure grâce à ses yeux… Il n’hésite pas à prendre parti contre de « fausses bonnes idées » : « en demandant aux enseignants du premier degré de venir faire l’aide aux élèves du second degré, on recrée en collège les hiérarchies universitaires entre le professeur, le maitre de conférence et l’assistant… »
Au contraire, il vante les expériences « à bas bruit », celles qui peuvent se mettre en oeuvre dans l’ordinaire professionnel :
– lorsque l’IEN, l’IA-IPR et le chef d’établissement font un diagnostic de l’enseignement des mathématiques de la maternelle au Brevet, et proposent des pistes de travail outillées pour les enseignants.
– lorsqu’un IEN constatant que la liaison école-collège fonctionne mal, que les outils ne sont pas partagés, centre le travail sur la mise en œuvre d’un livret commun, imprimé par la mairie, qui renforce la lisibilité de l’école pour les parents
– ou plus simplement quand on arrive à « faire écrire quinze lignes chaque jour à chaque élève, dans les classes primaires », en acceptant l’idée que l’exercice réitéré amène progressivement à la compétence.
Au registre des « inutiles usines à gaz », il est plus que distant. Faut-il transformer les structures et les statuts ? « Je ne suis pas certain que les statuts soient les obstacles essentiels. Dans le premier degré, on connait déjà les maitres multiples. Dans le second, la difficulté vient essentiellement du manque de travail commun sur les mots utilisés, sur les consignes… Mettre un maitre bivalent en 6e ne fera que retarder le problème. L’essentiel est bien d’aider les élèves à apprendre, et donc de comprendre la nature de ses difficultés dans les apprentissages, en favorisant l’autonomie et l’initiative, en développant l’explicitation sur ce qu’on est en train de faire. Pas besoin d’article 34 pour cela… »
Jean-Pierre Rosenczveig : certains disent « enfant », d’autres « mineur »…
« Ceux qui parlent de l’enfant ne sont pas ceux qui parlent des « mineurs ». Les premiers parlent des têtes blondes à protéger quand les seconds pensent à ceux qui mériteraient d’être punis comme des adultes… Ceux qu’il faut éduquer, et ceux qu’il faudrait exclure… Ceux qui méritent, selon moi, de voir réaffirmé leur droit à l’éducation, sont les élèves handicapés, ceux qui sont « en conflit avec la loi » avec des parents en difficultés, selon l’ordonnance de 1945 que certains voudraient abroger, et les enfants « venus d’ailleurs » souvent en situation irrégulière. »
Pour savoir ce qu’on veut faire avec l’Ecole, tout dépend des objectifs qu’on affirme, dont on débat. Comme un stylo, l’école n’est qu’un instrument qui peut écrire des chefs-d’œuvre ou des inepties. Pour le juge, le « fondamental » de l’éducation, c’est de faire réseau autour de l’enfant, en remettant au cœur ce qui se passe dans la famille. « L’Ecole ne prend pas assez en compte l’individu, parce que les enfants d’aujourd’hui n’en voit pas assez les bénéfices pour eux, la vivent négativement et ne s’impliquent pas faute de s’y sentir reconnus. »
En soutenant les familles, il sait qu’on aide les élèves à construire un horizon d’attente pour l’école. Il demande à développer le service social scolaire en primaire pour aider les familles en difficulté. « Il faut accepter d’être ségrégatif pour ne plus l’être »… conclut-il en assumant la provocation… On s’en sortira en redonnant du sens à l’école, en se demandant en quoi on peut être utile pour ces élèves, pas dans des batailles de chapelle sur l’organisation scolaire. »
Tristan Garcia-Fons : le trouble des mots
Pour Tristan Garcia-Fons, pédopsychiatre, entre l’enfant et l’école existent un faisceau d’ambivalences, organisé autour des mots que nous utilisons malgré nous : « l’enfant trouble ».
« La tension semble avoir remplacé l’attention. L’enfant dont nous parlons est une fiction, une représentation, un miroir de ce que nous sommes ». On oscille entre l’enfant pur et l’enfant démon, l’enfant victime et l’enfant dangereux, l’enfant à troubles dont il faudrait se prévenir. « L’éducation doit se frayer un chemin entre le formatage et la créativité ». Il constate que dès la maternelle, on évalue, on norme, on diagnostique, on monte un dossier MDPH. Un enfant agité devient TADH, TED ou dys-… « C’est l’extension du domaine du handicap, avec un appauvrissement de la pensée qui est une véritable attaque contre l’enfance ».
Pour lui, il devient donc de plus en plus difficile de penser sans céder aux glissements sémantiques : le « trouble » invite à l’impureté, dans une traduction du « disorder » nord-américain. « On assiste à la diffusion d’une nouvelle nosographie, le DSM-IV, qui fait remplir des chek-list comportementales au lieu de comprendre la complexité de l’individu ». Il déplore qu’on identifie désormais plusieurs centaines de troubles psychiatriques prétendument scientifiques, de l’apathie à l’amertume, transformant chacun en malade mental en puissance, classant la population dans des catégories susceptibles de rencontrer le médicament adapté. Une personne qui tousse devient un tousseur : le symptôme ambivalent devient une catégorie à traiter : un enfant agité risque la Ritaline.
« On ne voit plus, on n’écoute plus, on catégorise, en aveuglant ceux qui doivent agir ». On demande à chacun de faire le travail d’un autre, ce qui délégitime les métiers. Tenir sa place est pourtant essentiel. Sa conclusion est une ode à l’engagement individuel : « Mettons à distance les discours des experts, pour redonner du crédit aux discours des professionnels, et n’hésitons pas à rompre les pseudo-consensus pour pouvoir agir en acceptant de se laisser trouble, accueillir l’inattendu, le cas-par-cas, l’exploration, à mille lieues des standards et des « bonnes pratiques », faire confiance à l’oeuvre des personnes et du temps pour prendre soin de soi et des autres »…
Un exemple concret : une école du Socle à Richelieu
Richelieu, c’est une commune d’Indre-et-Loire proche de la Vienne. Catherine Papuchon, chef d’établissement, et Frédéric Favre, IEN, présentent le tableau : 2000 habitants, trois écoles publiques et une privée, un collège, moins de cinq cents élèves en tout. Un projet vise à rassembler physiquement les élèves du premier et le second degré dans le collège, de six à quinze ans, mais aussi d’organiser des continuités pédagogiques, « en articulant les espaces spécifiques et les salles spécialisées ». Selon la tribune, les équipes ont engagé une réflexion sur tous les aspects du projet, après impulsion par l’inspecteur d’académie. On a travaillé sur des « indicateurs », organisé un pôle de direction avec le chef d’établissement et le directeur d’école, en mutualisant le secrétariat. Chacun participera aux instances du conseil des maîtres et du conseil pédagogique, afin de mettre en oeuvre une « continuité des parcours ». « Nous allons nous appuyer sur la mise en place du livret scolaire numérique » précise C. Papuchon, résolument optimiste. Un espace numérique de travail commun va être créé. Sera-t-il le moyen de lever les difficultés ? Pour C. Papuchon, les craintes concernant l’évolution du statut des enseignants du second degré sont réelles, de même que les craintes de voir l’espace de chacun amputé. A prendre en compte ?
Faut-il un corps unique des enseignants de l’école fondamentale ?
Un atelier est consacré à cette question, avec une approche un peu inhabituelle pour les organisateurs : « Nous avons souhaité associer à notre réflexion des responsables syndicaux pour aborder cette question. C’est pour nous une première. » précise un représentant d’Education & Devenir. A la tribune, trois approches sont représentées, sans avoir vocation à exprimer tous les points de vue sur la question.
« Ce qui nous rassemble, c’est la volonté de mieux faire réussir les élèves, au-delà de nos point de vue différents » précise Sébastien Sihr pour le SNUipp. Selon lui, les jeunes enseignants qui choisissent le premier degré sont attirés par les spécificités du premier degré, dans toutes leurs dimensions. Et contrairement à ce que certains prédisaient, l’alignement du niveau de recrutement n’a pas amené la fuite des cerveaux vers le seconde degré. « Aujourd’hui, la question essentielle me semble être : à quelles conditions peut-on faire du travail commun entre le premier degré pour aider les élèves à la fois dans le bien-être et le bien-apprendre ? ». L’organisation du système éducatif, les modalités de travail réel montrent que ce serait une erreur de croire à un grand soir pédagogique qui viendrait faire table rase de l’organisation actuelle. Les identités professionnelles se modifient progressivement, et chaque jour les enseignants inventent de nouvelles solutions, malgré toutes les difficultés. Pour lui, on ne changera pas l’école contre les enseignants. Ainsi, avec la création du corps des professeurs des écoles, les pratiques enseignantes du premier degré ont évolué tout en s’inscrivant dans l’histoire des instituteurs. Pour faire avancer les choses, il ne faut pas opposer les catégories ni susciter les antagonismes. « Les normes professionnelles sont spécifiques : polyvalence ou spécialisation ; responsabilité de tous les temps « intermédiaires » ou personnels spécifiques assignés à ces missions ; unité de lieu ou changement de classe à chaque heure ; temps souple ou temps contraint… Toutes ces spécificités ont un impact sur les normes professionnelles, sur la façon de percevoir son travail. Mais aucun modèle ne peut prétendre remplacer l’autre. Certains atouts sont aussi des charges : la polyvalence de l’enseignant des écoles ne lui permet pas toujours d’enseigner facilement toutes les matières, ou de comprendre la nature de certaines difficultés des élèves. »
Quels leviers pour améliorer les continuités ? Sébastien Sihr propose quatre pistes :
– Institutionnaliser le travail en équipe, le croisement de regards sur les difficultés des élèves, pour que le « seul maître à bord » ne se transforme pas en solitude ou en souffrance. Pourquoi ne pas intégrer dans ces temps les moments d’échange entre le premier et le second degré ?
– Penser la polyvalence de l’équipe, l’intervention coordonnée des enseignants par « plus de maîtres que de classe » pour ouvrir le champ des possibles, permettre les souplesses d’organisation nécessaires au travail réel, laissé à la responsabilité des équipes pour mettre leur travail à leur main.
– S’appuyer sur l’expertise des enseignants, sur ce qui se fait réellement sur le terrain, trop méconnu ou mésestimé, et qui mérite souvent d’être valorisé. Par exemple, il faut mieux formaliser les savoirs et les compétences de métier du primaire, y compris par des cycles de certification universitaire qui permettraient de renforcer les recherches académiques sur l’enseignement primaire. « Y compris dans les IUFM, les formateurs issus du premier degré sont trop rares… Les évolutions professionnelles passeront par la formation, pas par le forcing… »
– Mettre en place des formations communes, initiale ou continue, avec les autres niveaux de la scolarité, mais aussi avec les partenaires des collectivités territoriales, pour mieux faire connaitre les métiers des autres, et par conséquences les spécificités du sien…
Pour Guillaume Touzé, du SGEN-CFDT, quand on parle du temps de travail des enseignants, les médias focalisent essentiellement sur celui du second degré. Pour arriver à mettre en route le socle commun et l’école fondamentale, il demande de sortir du débat sur la primarisation du collège ou la secondarisation de l’école. « La politique des cycles est sans doute une solution, avec une spécialisation disciplinaire progressive. Polyvalence, bivalence, monovalence, le débat est sans fin. Nous portons aussi la revendication de plus de maîtres que de classes, avec un groupe d’enseignants responsable d’un groupe d’élèves. Si nous voulons pouvoir y parvenir, cela ne peut se faire qu’avec une formation adéquate, sur cinq ans, avec un recrutement licence et deux ans de formation en alternance ».
Pour Claire Keppler, du SE-UNSA, l’école fondamentale fait partie des mandats de congrès de son syndicat depuis longtemps. « Nous nous interrogeons sur le rapprochement entre école et collège, la nécessité de réduire les ruptures et souhaitons porter l’idée de différentiation progressive ». Mais elle avoue la modestie, précisant que les réponses sont encore à construire : « les enseignants de collèges sont généralement attachés à leur discipline, même s’ils aiment aussi travailler avec les élèves. On ne peut pas nier cette dimension. Répondre simplement « bivalence » nous semble dépassé, nous devons prendre acte que le professeur du second degré est souvent un « professeur de lycée en collège », ce qui nous permet d’imaginer des marges de progression sur ce qui est la formation nécessaire pour enseigner à chaque niveau. »
« Alors, quelles conditions pour le travail en commun ? C’est sans doute une question plus intéressante que de poser la question préalable de la modification de statut » explique J.-C. Emin de la salle. « Mais un prof qui passe de classe en classe, d’heure en heure, ce n’est pas de bonnes conditions de travail. Demander que les métiers évoluent, ce n’est pas fragiliser les enseignants, c’est les aider à sortir la tête de l’eau » exprime Patrice Bride, des Cahiers Pédagogiques, rappelant la proposition du CRAP que le temps de service des professeurs soit défini par un nombre de demi-journées hebdomadaires fixes, afin de dépasser les difficultés dans le partage des tâches. Une principale de collège pose la question difficile des « temps banalisés », certes nécessaires, mais qui dans la situation actuelle laissent les élèves dans la rue, et celle de l’organisation de l’année scolaire, qu’elle juge peu efficace.
« N’oublions pas que la volonté politique actuelle, c’est d’écrémer le collège en lui faisant jouer son rôle de tri » poursuit un membre de l’atelier. « Si on estime que le lien entre le premier degré et le collège est un axe essentiel, on doit en tirer des conclusions sur la formation, et former des enseignants différenciés pour chaque niveau, avec une spécificité forte pour les enseignants de collège« . « On parle du collège, mais j’aimerais que les lycées professionnels soient un peu mieux connus de ceux qui font l’orientation au collège, pour éviter que les élèves aient une vision fausse des formations professionnelles. » complète un chef d’établissement qui poursuit :« les SEGPA sont un bel exemple que ces collaborations sont possibles, entre les enseignants des écoles et ceux de collège. C’est au contact du quotidien que se crée une culture commune ».
Polyvalence ou spécialisation ? La question se pose autant dans le premier que dans le second degré. Sébastien Sihr reprend la main : « Les réformes successives à marche forcée contre les enseignants ne parviennent à rien, sinon à les démotiver. Pour ne pas favoriser l’immobilisme, il est donc nécessaire de partir du travail réel des professionnels,, de leurs préoccupations dans les classes ou dans les établissements, des différentes facettes de leur travail, y compris le plus obscur. Et c’est là qu’on découvre que les uns et les autres ont des préoccupations communes, et qu’on peut construire des objectifs de travail partagés. Le travail collectif doit devenir « banal », institué dans les temps de service, accompagné par des formateurs ou par la recherche ».
Est-il possible de dégager trois propositions qui fassent convergence, comme demandé par l’animateur de l’atelier ? Favoriser les espaces de travail et de formation commune plutôt que de passer aux forceps de la modification statutaire, réfléchir à l’organisation du travail réel, et inscrire le projet pour l’école dans un véritable projet politique, autant de « pistes de progrès » synthétisées par Jean-Yves Langanay. A suivre…
Regards des grands témoins : « Monter aux barricades » ou « Faire des progrès » ?
Invités à présenter leur regard sur les différents moments du colloque, les trois grands témoins ne vont pas beaucoup diverger sur le fond. Gérard Moreau est le plus radical dans les mots : frappé par « la lâcheté ou l’absence de volonté des politiques » en matière d’éducation, il fait appel à leur courage pour tenir leurs engagements, et déplore le vide du programme socialiste sur les questions éducatives. Il regrette qu’on fasse porter toutes les responsabilités sur les enseignants, comme s’ils étaient « en faute », et appelle à « monter sur les barricades », ce qui n’est pas tout à fait le style à Education & Devenir… José Fouque, lui, veut un « mieux d’Etat » dans les établissements, pour que son « système nerveux » aille jusqu’au terrain. Il refuse l’infantilisation des personnes dans les entretiens d’évaluation, qui ne les « aident pas à respecter la dignité des élèves ». Philippe Watrelot souligne, pour sa part, que « la construction d’une identité professionnelle commune entre degrés ne peut passer que par une formation initiale commune », et cite Philippe Meirieu : « l’école fait des réformes alors que la médecine fait des progrès », afin de pointer l’ambivalence du mot ‘’réforme’’ : « Le mot signifie la remise en question complète du travail précédent alors que l’on sait à quel point le travail enseignant est construit sur l’intime. On impose ainsi une remise en question qui se fait personnelle chez les enseignants. »