Par François Jarraud
Et si la droite nous avait vendu des salades durant des années à propos de la violence scolaire ? Et si la gauche était mieux armée pour faire face au problème ? Quelques jours après la visite de François Hollande à Pierrefitte (93) sur le thème de la violence scolaire, le Conseil général de Seine Saint-Denis publie le 16 janvier une enquête de victimation dirigée par Eric Debarbieux qui apporte des éclairages nouveaux sur cette question.
C’est une enquête unique. On ne peut comparer les chiffres de Seine Saint-Denis à aucun autre travail identique, même si on peut penser que dans le département le plus jeune et le plus pauvre de France la violence scolaire est plus importante qu’ailleurs. Plus de 2000 personnels de l’éducation nationale, enseignants et non-enseignants, ont répondu à une enquête en ligne en novembre et décembre. Pour donner une illustration de l’importance de cette enquête, Eric Debarbieux a comparé les résultats d’une enquête de victimation sur les élèves avec ceux des déclarations SIGNA. Quand Signa signale 0,2% d’élèves insultés, les élèves déclarent eux être victimes à 72% !
Le premier enseignement c’est que la situation en Seine Saint-Denis n’est pas aussi violente que ce que les médias peuvent montrer. Trois personnels sur quatre jugent le climat scolaire de leur établissement globalement bon. Mais cette situation moyenne cache de fortes inégalités. Le poids de l’enseignement prioritaire (EP) pèse lourd. Un tiers des personnels des établissements d’EP jugent le climat mauvais. Un sur cinq travaille dans l’insécurité, un taux double du taux moyen. Pour Eric Debarbieux, « alors que l’enquête de victimation DEPP avait montré que le critère social ne jouait pas sur la violence entre élèves, cette étude montre qu’il joue dans les relations entre élèves et adultes. On retrouve là la violence antiscolaire qui est un phénomène nouveau et grave lié à l’exclusion ». La violence est surtout verbale (insultes, menaces), très rarement physique. Mais 17% des personnels sont victimes de violences répétées.
Le second enseignement c’est que la violence est un phénomène interne aux établissements. Les intrus sont auteurs de 3% des violences seulement. Les élèves de l’établissement sont les principaux auteurs, loin devant les parents et très loin devant les intrusions. Le tapage médiatique sur la sécurisation des établissements, la vidéosurveillance, les sas, etc., est disproportionné par rapport aux risques réels. Ce n’est pas en accentuant cette sécurisation là qu’on règlera un problème qui est ailleurs.
Peut-être la plus importante révélation de cette étude, c’est d’avoir fait émerger l’importance du harcèlement entre personnels de l’éducation nationale. 18% d’entre eux ont déclaré en souffrir, être victimes d’ostracisme par exemple. Il ne touche pas particulièrement des personnes de direction ou des inspecteurs avec qui on aurait des comptes à rendre. C’est une violence horizontale mais dont souffrent un peu plus que les autres les CPE, les personnels sociaux ou de santé. Pour Eric Debarbieux, cela montre qu’il y a des tensions dans les équipes. Et un ressentiment envers les personnels dont on attend médiation, soutien et action quand on est soi-même victime de violence.
L’enquête a demandé aux personnels leurs préconisations contre la violence. Ce qui ressort en premier c’est moins d’élèves par classe. La seconde demande porte sur le travail en équipe. La troisième sur le travail avec les parents. Enfin vient une demande de personnels spécialisés et de structures spécialisées. Très loin derrière viennent les remèdes dont on a tant entendu parler ces dernières années : des policiers dans les établissements, la sécurisation des établissements (10% des demandes). Les personnels de l’éducation nationale veulent des réponses éducatives.
En présentant ces résultats, Claude Bartolone, président du Conseil général, rappelait « qu’il n’y a pas de fatalité. Rien n’est écrit en Seine Saint-Denis ». Le département est un vrai laboratoire de lutte contre la violence scolaire avec une politique de soutien aux élèves exclus par les conseils de disciplines : 800 par an environ. Un programme départemental permet de les accueillir, de maintenir le lien avec le collège et de leur faire accepter la sanction. Au bilan, 8 jeunes sur 10 accueillis dans ces structures ne font plus jamais parler d’eux (77%). « On peut régler les problèmes » affirme C Bartolone. En tous cas la politique menée dans le 93 devrait être généralisée si F Hollande arrive au pouvoir. Le représentant de l’Etat, Daniel Auverlot, inspecteur d’académie, a promis qu’en 2012 il appliquerait le même taux d’ouverture de classe qu’en 2011. Il a souligné l’importance du primaire : 17% des élèves entrent en 6ème avec du retard.
Pour Eric Debarbieux, la bonne approche pour lutter contre la violence scolaire c’est de travailler sur le vivre ensemble, les méthodes pédagogiques mais aussi tout ce qui peut favoriser les relations et l’encadrement des jeunes. De ce côté là aussi le Conseil général fait beaucoup en finançant par exemple des voyages pour les collégiens (10 000 depuis 2009).
La présentation de l’étude a attiré une centaine de personnes au conseil général. Pour les parents, Michel Hervieu, de la Fcpe, a souligné la facilité avec laquelle on pratique des exclusions. Pour lui la violence des quartiers pèse sur le climat scolaire. Il a aussi soulevé la question des enseignants non remplacés. Pour l’Unsa, représentée dans la classe, le grand enseignement c’est la victimation par les pairs. Pour elle seul le travail en équipe peut permettre de dépasser ces tensions.
Quelques heures seulement après le passage de François Hollande, sa politique semble plébiscitée par le département où la violence scolaire est la plus forte. Mieux : les remèdes semblent fonctionner.
François Jarraud
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