Par Jeanne-Claire Fumet
François Cocq, professeur de mathématiques en collège, est secrétaire national à l’Éducation et aux Services publics du Parti de Gauche. Il considère que la transformation de l’école ne peut pas aller sans un changement radical de la société. Les mesures à la marge ne peuvent rien résoudre, sans une profonde remise en cause du partage des richesses, en gouvernant face aux banques, l’instauration d’une 6ème République, la planification écologique et la lutte contre la précarité. Dans cette perspective, la question des moyens matériels importe moins que celle des idéaux que l’on entend servir : pour le Parti de Gauche, c’est le pari d’un haut niveau de culture pour tous, dans une école rendue à ses missions d’enseignement et grâce à des enseignants bien formés et dotés d’une liberté pédagogique plus grande ; c’est aussi une véritable revalorisation sociale et salariale des métiers, condition préalable à la reconnaissance d’une égale dignité des filières professionnelles.
Quelle serait, selon vous, la priorité de l’action politique dans le domaine de l’éducation ?
F.C. : Sur la question de l’éducation comme sur d’autres questions, on ne peut se contenter aujourd’hui de mesures à la marge, qui se contenteraient de revisiter l’existant. La ritournelle selon laquelle il faut mettre l’école au cœur du projet de société n’est plus tenable. Nous souhaitons un vrai un changement de société, et c’est ce projet global qui dicte ce que l’on souhaite comme école pour l’avenir. Lors de ses vœux, le Président Sarkozy a décrété qu’il voulait donner de nouvelles missions aux enseignants et qu’il voulait revaloriser la voie professionnelle, cela dans une perspective clairement libérale de concurrence et d’autonomie économiques. Ce que nous voulons, c’est un projet commun d’émancipation, qui se fonde sur la réussite par l’élévation du niveau de connaissances et de qualifications pour tous, pas un système d’individualisme libéral ou une fausse égalité des chances qui passe par la mise en valeur de quelques-uns.
Peut-on concevoir des alternatives au projet de pilotage par évaluation et mise en concurrence des établissements, déjà effectifs dans d’autres pays ?
F.C. : Nous sommes d’abord favorables à l’abrogation de la loi L.R.U. (Libertés et responsabilités des universités) qui signe le désengagement de l’État dans l’enseignement supérieur. Et nous préconisons une réorganisation de l’école à partir de la Maternelle, en donnant les moyens réels d’une scolarisation des enfants dès l’âge de 2 ans, avec à terme la création d’un service public d’accueil pour la petite enfance, intégrant des personnels qualifiés et des normes d’accueil définies conformément aux conditions d’une bonne prise en charge des enfants. Nous défendons la scolarité obligatoire à partir de 3 ans. Nous sommes en opposition complète avec le projet actuel des jardins d’éveil, qui entretiennent la confusion entre ce relève de la scolarité et ce qui est de l’ordre du pré-scolaire. Le but de ces jardins, c’est marchandiser le secteur de la petite enfance et faire sauter l’école maternelle. Nous voulons au contraire le dédoublement des classes de grande section pour assurer de meilleures conditions de scolarisation.
Mais cela n’est-il pas contradictoire avec la situation économique actuelle ?
F.C. : La question des moyens est une fausse question. Quelle est la dette contre laquelle il faut lutter : celle dont on nous parle tous les jours, dont on surjoue ou la dette de l’ignorance qui nous jettera demain dans les ténèbres ? Nous, nous voulons donner du sens à la République, pas à l’austérité. Ce pays n’a jamais été aussi riche ! Le problème réside dans le partage des richesses. Si on s’attaque à cette question, on se redonne des moyens pour agir.
Partagez-vous le bilan pessimiste sur le collège unique ?
F.C. : On sait tous que cette question est un nœud gordien. Nous sommes bien sûr favorables au collège unique ! C’est une conquête forte de la classe ouvrière, qui était revendiquée depuis longtemps. La question qui se pose maintenant n’est plus celle de la massification mais celle de la démocratisation – au collège et au-delà. Le problème, c’est le socle commun minimaliste et utilitariste qui scinde le collège en deux, entre ceux qui sont censés s’arrêter là et ceux qui sont appelés à continuer. La difficulté est celle de l’hétérogénéité : la voie unique du collège unique pousse au minimalisme, ce qui empêche de voir ce que peut être un haut niveau de culture commune pour tous. Avec la scolarisation obligatoire jusqu’à 18 ans, on dédramatise la question du collège et on supprime les stratégies d’éviction des élèves problématiques en fin de collège. Mais il faut aussi concevoir un renversement complet au niveau des formations d’apprentissage : les élèves qui se dirigent vers l’enseignement professionnel ne doivent pas être des élèves en échec, d’abord parce que ce sont des voies qualifiantes, et aussi parce qu’on doit avoir le temps de choisir sa filière et trouver des passerelles pour circuler entre les voies. Pour que cela fonctionne, il faut accorder davantage de liberté pédagogique pour les enseignants ; ils sauront trouver la manière de conduire leurs élèves vers la réussite en tenant compte de leurs différences.
Cette liberté pédagogique est-elle compatible avec une évaluation nationale ou conduit-elle à envisager une évaluation par compétences ?
F.C. : Le problème des compétences, c’est qu’elles seront attachées en bout de chaîne à la définition d’un poste de travail, et non à l’individu qui les porte en tant que qualifications. Elles ne sont pas pérennes puisqu’elles disparaissent avec le poste de travail. Nous sommes favorables aux qualifications, ne serait-ce que parce que sur le plan social, elles imposent une reconnaissance en termes de conventions collectives. Et l’examen national, le diplôme de même valeur pour tous, reste pour nous essentiel. Mais en amont, nous pensons qu’il faut faire confiance aux enseignants pour réaliser les conditions d’acquisition d’un haut niveau de culture commune par tous, dans ce cadre élargi.
N’est-ce pas faire peser sur les enseignants la responsabilité du décalage entre les formes scolaires d’apprentissage et l’hétérogénéité réelle du public des élèves ?
F.C. : La vraie question, c’est de savoir si on leur donne les moyens de réaliser leur mission ! Dans le cadre de la fonction publique, chaque agent doit pouvoir exercer son métier dans le sens de l’intérêt général, en laissant de côté la question des intérêts particuliers. Pour nous, il est évident que les statuts ne sont pas négociables. Mais comment permettre aux enseignants d’exercer au mieux leur mission ? D’abord, il ne faut pas qu’ils soient écartelés entre la mise en concurrence des établissements, la liberté de recrutement des proviseurs, l’augmentation des postes précaires, qui les soumettent à une logique de gestion managériale qui décide à leur place. Et pour leur rendre davantage d’initiatives, il faut aussi les dégager des tâches qui ne sont pas de leur métier d’enseignants et qui demandent l’intervention d’autres catégories de personnels dans les établissements : les Conseillers d’orientation Psychologues, infirmiers, assistants sociaux, surveillants, etc. Ces acteurs sont indispensables dans les établissements : les élèves n’arrivent pas nus à l’école. Ils arrivent avec tous leurs problèmes extérieurs, et que l’institution a le devoir de prendre en compte. Aujourd’hui, on entretient volontiers une confusion dangereuse : on fait comme si l’échec scolaire devait être traité en termes de sécurité et de fichage, ou bien en termes de maladie, dont on serait responsable. Comme si ce qui se passe hors de l’école n’avait aucune influence sur le travail et la réussite scolaire…
Ne risque-t-on pas de vous reprocher de vouloir revenir à des conceptions anciennes, dont on a estimé qu’elles ne marchaient pas ?
F.C. : Il faut défaire beaucoup de ce qui a été fait dans ces dernières années ; il faut sortir de la logique de la logique de la marchandisation qui s’est progressivement imposée. Mais nous proposons un projet qui a une réelle cohérence verticale : on prend les difficultés du début jusqu’à la fin, sans prétendre qu’il suffit d’un coup de baguette pour tout résoudre. Nous apportons un concept nouveau, celui d’un haut niveau de culture commune pour tous : au contraire d’un socle commun réducteur, il a pour but de donner de la respiration, en particulier au niveau du collège, de permettre aux élèves les plus en difficulté de prendre leur temps et d’éviter toute orientation contrainte vers les filières professionnelles. Notre projet social implique aussi de revaloriser ces filières par la revalorisation des salaires et une meilleure reconnaissance sociale de la force productive.
Envisagez-vous aussi la revalorisation des salaires des enseignants ?
F.C. : La dernière remonte à Lionel Jospin ! Et elle était un peu piégée, puisque liée à l’ISOE, (l’indemnité de suivi et d’orientation des élèves) qui implique des charges de travail supplémentaires. Un parti politique n’a pas à se prononcer sur les montants des rémunérations, ce doit être l’objet d’une discussion avec les partenaires sociaux. Mais le passage des conditions de concours au niveau du Master pourrait donner l’opportunité d’une discussion sur les salaires enseignants. Et la longueur accrue des études pour atteindre le niveau du concours justifierait une aide financière particulière pour les étudiants issus de milieux modestes, afin qu’ils puissent aller jusqu’au bout. Nous sommes partisans d’un pré-recrutement qui favoriserait ainsi la mixité sociale dans le recrutement des personnels. C’est déjà à ce niveau là qu’on peut mettre l’école davantage en conformité avec la diversité de ses publics et de la société.
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