Par François Jarraud
Réalisée auprès de 400 lycées et collèges et plus de 2000 personnels de l’éducation nationale, l’enquête menée par Georges Fotinos, ancien chargé de mission d’Inspection générale, et José Mario Horenstein, psychiatre MGEN, fait date. Elle pose un diagnostic inquiétant sur l’état de « burnout » de nombreux enseignants et sur la crise profonde que traversent certains types d’établissements scolaires. Elle invite l’éducation nationale à mettre la qualité de vie au centre des projets d’établissement. Pas seulement pour le confort des enseignants. Mais aussi pour l’efficacité du système éducatif : il y a un lien direct entre le climat scolaire et la qualité des enseignements.
Or dans un établissement sur quatre le climat scolaire est jugé « mauvais« . Or la principale information du rapport c’est l’importance du climat scolaire. « 9 personnels sur 10 exerçant dans un climat « excellent » et 8 sur 10 dans un « bon » climat se déclarent en sécurité sur leur lieu de travail contre moins de 1 sur 6 dans les établissements à climat « mauvais ». De même on relève que dans un climat « mauvais » 3 fois plus de personnels se déclarent « incertains » sur leur sentiment d’insécurité que de personnels exerçant en climat « excellent » », déclare l’étude.. 11% des enseignants estiment être en insécurité. Près d’un sur deux en a assez de l’éducation nationale : un sur trois (28%) veut la quitter et 16% sont « incertains ». Un enseignant sur trois (31%) estime que les sanctions données dans l’établissement sont inéquitables.
Les enseignants se plaignent de n’être ni considérés , ni suffisamment formés. Ainsi moins de la moitié des enseignants (42%) estiment que leur opinion compte dans leur établissement. La moitié (49%) se déclarent mal formés pour le métier actuel. La moitié aussi considère que les conditions matérielles les empêche de bien travailler. 60% ne sont guère optimistes. Pour les auteurs, » pour le désengagement (des enseignants) les causes sont à rechercher bien sûr dans les conditions de travail mais aussi dans une certaine inadaptation de la formation continue et initiale et des modalités de recrutement mal adaptées à l’exercice réel du métier. Cette situation pourrait aussi s’expliquer par une gestion déficiente des ressources humaines notamment sur le champ de l’évolution des carrières et de leur diversification. Situation qui serait encore plus vivement ressentie par les personnels des établissements difficiles ».
Un autre enseignement concerne le lieu de la crise. Alors que les collèges sont souvent montrés comme « le maillon faible » du système éducatif, c’est en lycée que, d’après les auteurs, les enseignants souffrent le plus. Plus précisément dans les lycées professionnels et les lycées polyvalent. Le sentiment d’insécurité par exemple touche 14% des professeurs de L.P. et 18% de ceux de lycée polyvalent contre 9% en collège. En ZEP le taux monte à 20%. On notera que le rapport apporte pour la première fois des données précises sur les moyennes de sanctions et décisions disciplinaires par type d’établisement.
L’étude apporte un premier éclairage sur le « burnout » des enseignants. Généré par les conditions particulières d’exercice » de ce métier spécial, se serait une maladie particulièrement développée dans l’enseignement. « La multiplication et la complexification des tâches des enseignants se développent dans un contexte où « le métier d’élève » ne va plus de soi, où l’incertitude sur ce qui vaut d’être enseigné gagne les enseignants, ou des attentes sociales contradictoires (« sélection » et « égale réussite de tous ») rendent délicate la recherche d’un consensus minimum des valeurs partagées au sein d’un établissement scolaire. « Aucun enseignant ne sort indemne de côtoyer des élèves pour qui venir, réussir à l’école, n’a pas de sens » », souligne le rapport.
Pas moins de 23 propositions qui concernent l’organisation de l’établissement, l’exercice du métier, l’aide individuelle et les structures préventives sont indiquées par les auteurs. Ils demandent que soit instaurée « dans tous les projets d’établissements un axe concernant la qualité de vie au travail des personnels ». Il bénéficiera du « tableau de bord régulier des processus disciplinaires » que chaque établissement devra tenir. Les auteurs souhaitent aussi voir se développer « systématiquement des espaces de repos et des lieux de travail personnel et de loisirs collectifs de type bureau d’enseignement, cafétéria, salle de sports, salon des personnels ». Il s’agit de développer aussi le sentiment d’appartenance à l’établissement. Pour eux l’amélioration de l’exercice passe par une refonte des emplois du temps. » Reconnaître le lien causal entre la succession fréquente des temps d’enseignement, la pédagogie pratiquée et la fatigue et le stress des acteurs et usagers. Interdire les journées de travail de plus de 6 heures de cours ». Pour eux il faut « renoncer au modèle de l’emploi du temps conçu sur la séquence horaire d’enseignement pour la mise en place d’un « Emploi du temps mobile » ».
Pour lutter contre l’ennui des enseignants, ils souhaitent généraliser une » bivalence disciplinaire privilégiant l’association d’une discipline fortement cognitive à une discipline sportive et/ou de sensibilité artistique ». Ils veulent aussi » la mobilité professionnelle interne (inter catégorielle) externe (entreprises privées et publiques) à partir du développement de la VAE ». Ils souhaitent » faciliter et permettre aux 28 % de personnels qui pensent souvent quitter leur travail une réorientation professionnelle ». Enfin ils demandent lamise en place d’instruments comme « un Observatoire Social et de Santé des Personnels de l’Éducation Nationale (OSSPEN) en charge de connaître les évolutions des métiers, des pratiques professionnelles et des conditions de leur exercice d’une part, de mesurer les conséquences de ces changements sur la santé des personnels, le fonctionnement des établissements scolaires et plus largement sur celui du système éducatif français d’autre part ».
Entretien avec Georges Fotinos : » On demande trop aux enseignants »
Comment vous apparaît la situation de stress des enseignants par rapport à d’autres professions ?
On manque de chiffres en France sur le stress et les maladies mentales des enseignants. On ne dispose que de deux statistiques en Hollande et en Italie, des pays suffisamment proches du notre pour que ces indications puissent être prises en compte. On voit que la prévalence de maladies mentales ou de difficultés psychologiques est plus importante chez les enseignants que dans d’autres catégories. Ainsi 17% des enseignants hollandais souffriraient de burnout. Pourquoi cela serait-il différent en France ? Il serait bon de faire une enquête. Mme Théophile (DGRH du ministère) l’a promis en réunion du Comté d’hygiène et sécurité du ministère.
Contrairement à ce qu’on pense c’est dans les lycées que la situation est ressentie comme très pénible par les enseignants. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a là quelque chose de français. Les lycées professionnels sont la dernière roue du carrosse de l’éducation nationale. Ils ne sont pas considérés. Ces lycées accueillent des jeunes en échec souvent de milieu défavorisé et les conditions de travail y sont très difficiles. On demande aux enseignants l’impossible… et ils y arrivent ! Dans les lycées polyvalents l’élément professionnel l’emporte aussi nettement sur le général et le technologique dans les représentations des enseignants.
Quels facteurs précis expliquent le stress des enseignants ?
On demande trop aux enseignants. Ils sont certains de ne jamais atteindre les objectifs des programmes dans certains endroits. On leur impose des horaires impossibles également. Par exemple changer de classe 6 ou 7 fois par jour, chaque heure, avec à chaque fois l’obligation de remotiver les élèves. C’est épuisant même quand tout va bien avec les élèves ! Les enseignants sont souvent victimes d’un conflit de valeurs. Ils sont souvent en désaccord avec ce que leur institution leur demande de faire. On peut parler d’intensification du travail, d’absence de reconnaissance, de montée des contrôles, d’hétérogénéité des classes. C’est l’accumulation de ces éléments qui font que le stress s’installe et que 28% des enseignants veulent quitter l’enseignement. Pour moi le monodisciplinaire aggrave tout cela. Répéter pendant 40 ans les mêmes choses, comment ne pas succomber à l’ennui ! Une de mes propositions c’est la bivalence par exemple entre une discipline cognitive et une discipline sportive ou culturelle.
Mais la plupart des enseignants refusent la bivalence…
Ils ne voient pas leur intérêt. Il faudrait aussi intégrer dans le temps de travail des activités socio culturelles comme cela se fait dans l’enseignement agricole.
Le gouvernement veut mettre des chefs d’établissement managers. Cela peut-il apporter une réponse ?
On propose nous d’axer le projet d’établissement sur la qualité de vie au travail.
Comment améliorer le climat scolaire ?
Il faut commencer par faire participer tous les acteurs de l’établissement, enseignants, élèves, parents, à l’élaboration des règles du vivre ensemble. A côté du règlement intérieur il faut une « charte de vie ». Si tout le monde participe, si les adultes se mettent d’accord de façon précise et unanime sur ce qu’il faut punir ou pas on aura progressé.
Qu’attendez-vous de la publication de ce rapport ?
J’attends une prise de conscience des différents acteurs. Le bien être est une dimension indispensable au bon fonctionnement d’un établissement. Un point central est l’emploi du temps. Il faut en finir avec les 6 ou 7 heures de cours avec des classes différentes. Si on bouge cela, ça emportera tout.
Propos recueillis par François Jarraud
Lire l’étude de G Fotinos et José Mario Horenstein
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