Par Bruno Devauchelle
La 1ère session du séminaire, Education et Sciences de l’apprendre, organisé par l’Institut Français d’Education (IFé) a eu lieu les 1er et 2 décembre à Lyon. Issu, en partie du questionnement anglo-saxon sur les « Learning Sciences », le travail engagé sur les « Sciences de l’apprendre » arrive à un moment où les acteurs traditionnels de la recherche dans les domaines de l’éducation, l’enseignement, l’apprentissage, voire la formation formelle et informelle se trouvent confrontés à la nécessité de rapprocher leurs points de vue. En centrant leur regard sur l’apprendre, les chercheurs de disciplines aussi différentes que l’anthropologie, les sciences de l’éducation, les sciences cognitives, la sociologie, etc. participant à ce séminaire tentent donc de rapprocher d’abord la volonté d’enseigner de celle d’apprendre, autrement dit de réfléchir aux continuités et aux ruptures qui peuvent opposer leurs travaux pour essayer de dépasser les paradoxes que l’on peut dégager ici ou là dans certaines confrontations de chercheurs.
En quoi ce type de travaux peut-il intéresser les enseignants et plus généralement les acteurs de l’éducation et de la formation ? Par le fait que la popularisation de plus en plus grande de travaux de recherches, comme ceux de la psychologie cognitive (Stanislas Dehaene, Oliver Houdé, par exemple) renvoient aux enseignants des informations pouvant leur être utiles pour conduire leur enseignement. L’exemple le plus récent concerne la lecture, dont le débat autour des méthodes permettant d’apprendre à lire a débouché sur des recommandations officielles (Circulaire N°2006-003 du 3-1-2006) invitant à mettre en oeuvre des « manières de faire » assez précises. De là des questions logiques se posent : celle des politiques publiques, d’éducation et de recherche, celle des méthodes de recherche employées, celle des objets de recherche. En d’autres termes, il s’agit de dépasser des affrontements, dont les médias sont souvent les relais, pour tenter « scientifiquement » d’y voir clair. Or, même parmi les chercheurs, les biais idéologiques, convictions, engagement, et méthodologiques, quantitatives, qualitatives, sont l’objet d’échanges voire d’oppositions vives (comme en témoigne le récent échange entre Roland Goigoux et Stanislas Dehaene dans une émission de France Culture, « Rue des écoles »).
Au delà des querelles de chercheurs, qui peuvent parfois sembler bien loin des pratiques quotidiennes de la classe, de l’enseignant ou de celui qui apprend, il y a peut-être la volonté de poser les bases d’une centration sur « celui qui apprend » et son environnement et non plus sur le seul cadre de l’éducation ou de l’enseignement. On peut lire cette approche comme issue du courant né dans les années 1980 avec la loi d’orientation qui mettait l’élève au centre du système. Ici, afin de dépasser les limites des systèmes formels et de cette centration sur ceux qui « pilotent », on met l’apprendre au centre du projet de recherche. La Société internationale pour les sciences de l’apprendre explique ainsi qu’il s’agit de faire les « study learning as it happens in real-world situations and how to better facilitate learning in designed environments, in school, online, in the workplace, at home, and in informal environments. »
En s’occupant de l’apprendre, tel qu’il est défini ici, on s’aperçoit que, pour le monde de l’éducation en général, cela peut être la base d’une réflexion renouvelée sur les métiers qui ont pour ambition d’éduquer. En prenant l’apprendre dans sa globalité, il s’agit aussi de proposer de rompre les frontières voire les oppositions traditionnelles entre le monde scolaire, le monde de la famille, les activités autonomes, ludiques etc. En quelque sorte, il s’agit de proposer aux enseignants de regarder celui qui apprend au delà de l’horizon de la classe, de l’établissement, de l’Education Nationale.
Rassemblant une centaine de personnes, principalement des chercheurs, cette première session sera suivie de deux autres temps (29 et 30 mars, ainsi que 7 et 8 juin) de travail. Ils se tiendront à l’IFE à Lyon Il faut souhaiter qu’au delà du débat de spécialistes, ce séminaire puisse permettre d’engager le monde de l’enseignement dans une réflexion qui pourrait petit à petit accompagner le changement de métier qui s’observe en ce moment et qui est souvent réduit à l’opposition instruire/éduquer. En abordant la question par l’axe de l’apprendre il serait alors possible de dépasser le paradoxe de cette opposition et de parvenir à construire bien plus que le métier, une nouvelle forme scolaire dont d’aucuns disent qu’elle est nécessaire, compte tenu en particulier des nouveaux environnements sociaux, techniques et économiques.
Bruno Devauchelle
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