Par François Jarraud
S’il est bien une valeur révérée dans la société française, c’est le mérite. L’éducation nationale n’y échappe pas. A coté des bourses à caractère social, elle accorde, sans que personne n’y trouve à redire, des bourses « au mérite ». C’est que l’école est l’emblème même de la méritocratie, le lieu qui la personnifie. Le diplôme gagné à force de travail est l’horizon de l’écolier et finalement la base de l’organisation sociale.
Pourtant Elise Tenret, maître de conférences à Paris Dauphine, y est allé voir de plus prêt. Et pour elle, la méritocratie n’est pas aussi bien intériorisée que cela dans la société française. En se basant sur une étude internationale et des enquêtes menées auprès des étudiants elle dessine les curieux contours d’une croyance populaire. La méritocratie c’est comme les dogmes divins : on prend des libertés avec de façon à se construire sa façon de concevoir le monde…. La perspective dessinée par cette étude impacte forcément l’Ecole. D’abord parce qu’elle montre au final une certaine contestation de l’ordre prêché par l’Ecole. Ensuite parce qu’elle met en évidence les racines de la méritocratie dans certains enseignements et certaines filières. Si la méritocratie est contestée c’est peut-être parce que l’Ecole l’est également ?
Elise Tenret, L’école et la méritocratie, PUF, 2011, 192 p.
E Tenret : C’est l’école qui convertit les gens au mérite
On est dans un pays où la méritocratie semble bien installée, c’est même une valeur sûre du discours politique. Et vous nous dites « qu’on est loin de la forte intériorisation de la méritocratie ». Comment comprendre cela ?
Ce que mettent en avant les politiques, le modèle historique méritocratique c’est quelque chose qu’on a supposé allant de soi. Or on ne s’est jamais assuré du soutien apporté à ce modèle. Le livre vérifie s’il y a vraiment une croyance dans ce modèle, mis en avant par les personnes dominantes dans la société, qui y ont intérêt. Et en réalité, quand on y regarde de près, c’est compliqué. Il y a bien un accord de principe sur le mérite. Mais chacun le définit à son profit. En général on met en avant le mérite scolaire, le diplôme. Or là aussi il n’y a pas d’accord sur ce modèle. Il n’y a donc pas d’assise populaire pour le mérite quand on regarde les choses en détail.
Alors les gens mettent en avant quelle valeur ?
Ils ne croient pas dans le mérite scolaire. Par exemple ils ne pensent pas que la réussite scolaire est forcément liée au travail. Ils critiquent le mérite scolaire au nom d’une autre définition du mérite. Par exemple ils opposent mérite professionnel et mérite scolaire. La croyance dans le mérite reste forte mais pas dans le mérite scolaire.
Est-ce vrai pour tous ? Pour les dominants comme pour les dominés ?
Je me suis servie d’une enquête internationale avec des données par CSP et niveau d’étude et d’une recherche auprès d’étudiants français. Je mes suis rendu compte à partir de ces données que ce sont les jeunes qui ont fait le plus d’études qui croient le plus dans le mérite. Comme si l’école convertissait les gens à la méritocratie. J’ai constaté aussi des différences entre les filières d’études supérieures : dans les filières les plus prestigieuses on croit davantage au mérite. J’ai constaté aussi des différences selon le sexe. Les femmes perçoivent de manière accrue les inégalités sociales.
Comment fait l’école pour arriver à ce résultat ?
On peut dire que l’école au quotidien repose sur la fiction du mérite. Pour progresser les élèves sont obligés de croire qu’ils vont être récompensés pour le travail fait. Ils intériorisent les normes et se construisent ainsi. Les enseignants y croient aussi d’ailleurs. Comment évaluer une copie si on croit dans le déterminisme familial ? La méritocratie scolaire semble une croyance nécessaire.
Avez vous constaté des différences entre filières scolaires ?
Dans la filière ES les étudiants bénéficient d’une formation sociologique. On pourrait penser que les connaissances scolaire sur les inégalités auraient un effet sur les représentations des élèves. J’ai été déçue de constater que l’effet n’est pas aussi important qu’on pourrait le croire. La socialisation, l’anticipation qu’ils font de leur insertion dans la société est plus forte que les connaissances apprises à l’école. Si on remonte dans la hiérarchie scolaire, les classes prépas sont celles qui valorisent le mieux le mérite scolaire. Ils ont travaillé pour arriver là et cela leur permet de croire dans le mérite. Inversement les élèves de STG mettent en premier el mérite professionnel avant le mérite scolaire.
Cela remet-il en cause l’Ecole ?
Ce qui interpelle c’est que les élèves de prépa par leur formation sont conscients de la reproduction sociale mais qu’ils continuent à adhérer à la méritocratie. Ca questionne sur les apprentissages scolaires et le rôle social de l’éducation.
Cela enterre Bourdieu ?
Non. Les thèses de Bourdieu sont bien diffusées dans les mentalités des parents et des élèves. Mais au final les dominants finissent par se justifier par le mérite. Ca renforce Bourdieu !
Propos recueillis par François Jarraud
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