Par François Jarraud
Si les occupations de locaux sont fréquentes dans les conflits de tous ordres qui concernent l’Ecole, ce qui s’est passé dans une école primaire privée catholique de Berre est exceptionnel.
Un commando de parents a séquestré cinq femmes, la directrice, deux enseignantes et deux secrétaires, de mardi après-midi à mercredi matin. Pendant tout ce temps elles ont été enfermées, privées de leur téléphone par un petit groupe de parents. Elles n’ont été libérées que sur l’annonce officielle du remplacement de l’enseignant de CM1 de l’école, un jeune stagiaire.
« Les leçons sont un peu longues mais pas mieux structurées », a expliqué au Monde une mère de famille, Mme Bénédicte Marcon. Elle se plaint que le nombre d’exercices donnés aux enfants est insuffisant et que « les enfants sont livrés à eux-mêmes ».
Pour Yann Diraison, délégué général chargé des relations humaines au Secrétariat général de l’enseignement catholique, interrogé par le Café, « on est hors limite. On est face à une intransigeance absolue des parents » avec un enseignant « qui n’a pas le profil attendu par ces parents là ». « Ce ne sont pas les parents qui décident des enseignants », affirme Y Diraison. Mais de fait l’enseignant est retiré de l’école et un remplaçant a été nommé sur le poste. L’enseignement catholique n’envisage pas de porter plainte. L’école rouvre ce matin. Le jeune enseignant poursuivra son stage dans une autre école.
Le grave incident de l’école de Berre rappelle qu’en matière éducative tout se joue dans deux espaces largement abandonnés par les responsables du système éducatif : la confiance et la classe.
Face au comportement scandaleux des parents de l’école de Berre, l’opinion semble s’accommoder d’une réponse ambivalente qui à la fois fustige le commando de parents preneurs d’otage et lui donne raison. Tout le monde semble admettre qu’il faut déplacer l’enseignant mis en question par les parents. Ce jeune enseignant a été abandonné par son employeur, l’Etat, Luc Chatel renvoyant à la direction diocésaine, et par son institution, qui finalement ne poursuivra pas les parents. Encore une fois les acteurs, enseignants et parents, sont laissés seuls dans un face à face dont a vu les limites.
Beaucoup de choses ont été écrites sur la façon dont l’école française s’est construite à coté et même contre les parents. Dans l’affaire de Berre, il est significatif que les responsables se soucient fort peu du triste état où se trouvent les enseignants de cette école le jeudi 8 décembre. Comment après cet incident reconstruire avec les parents et les enfants une communauté éducative viable ? Visiblement on laisse se débrouiller parents et enseignants, agresseurs et agressés, avec les enfants au milieu…
Pourtant c’est bien la classe qui est au centre de tout. C’est elle qui est la boite noire des angoisses des parents de Berre. C’est aussi elle où se retrouve tout seul le jeune stagiaire. Le travail de Sylvain Broccolichi et Rémi Sinthon, évoqué dans ce mensuel (rubrique L’élève), le rappelle aussi : toute réforme de l’école, toute politique de lutte contre les inégalités scolaires est vaine si elle ne se pose pas la question de ce qui s’y passe. De Berre à Paris, on ne sortira pas l’école de l’ornière sans poser la question de la formation et de l’accompagnement professionnel. Sans construire le consensus sur ce qu’est la classe du 21ème siècle.
Sur le site du Café
|