Par Choukri Ben Ayed
« Flagrant délit d’incompétence ». Sociologue, professeur à l’université de Limoges, Choukri Ben Ayed s’adresse à Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) qui vient de publier ses propositions pour les présidentielles 2012. Un texte en rupture avec la tradition de l’école républicaine et, pour C. Ben Ayed, avec les travaux des chercheurs. Après avoir opposé le texte de Fondapol aux acquis de la recherche, ce dernier conclue : » votre projet est entièrement bâti autour de l’idée qu’il ne couterait « rien » à l’Etat, au fond cela n’est pas surprenant pour un projet qui ne vaut pas grand chose.' »
Comment peut on réagir (si besoin en était), aux « propositions » de Fondapol ? La Fondation dite pour « l’innovation » politique porte bien mal son nom. En fait d’innovation, il nous a rarement été donné l’occasion de lire un texte à ce point truffé de principes rétrogrades. Un examen s’impose. La première réaction qui vient à l’esprit lorsque l’on consulte ce texte c’est la nature de son émetteur : un Think Thank. Ceci pose avant tout la question de la façon de faire de la politique aujourd’hui. Finis la démocratie représentative, la parole au peuple, désormais le politique gouvernera en faisant l’addition de toutes ces paroles d’experts autorisés, autoproclamés.
La problématique éducative est également balayée par ce mouvement, preuve s’il en est qu’elle est réduite aujourd’hui à une activité comme une autre en ne tenant plus compte de ses spécificités. Le propre des Think Thank c’est leur capacité à écrire sur tout, à savoir tout sur tout. Fondapol, qui se définit comme un « Think Thank libéral progressiste et européen », écrit sur la santé, les classes moyennes, le logement, le parlement, la responsabilité, la « compétitivité par la qualité », la morale, l’éthique, la déontologie, le pouvoir d’achat, la jeunesse, la liberté religieuse, l’écologie, la sortie du communisme, etc. Bref Fondapol sait tout sur tout, mais à force de tout savoir sur tout, on en finit par ne plus savoir rien sur rien. Et en la matière, nous avons ici un bel exemple de flagrant délit d’incompétence. Pour un cercle d’expert, curieux texte qui n’est accompagné d’aucune référence scientifique.
Entrons dans le détail…
Entrons dans le détail. En fait d’arguments scientifiques que propose ce texte ? Tout d’abord des rhétoriques vides de sens : « pluralité des formes », « singularité », « différenciation sociale ». Les chercheurs en éducation n’ont pas attendu la contribution de Fondapol pour constater l’importance de la différenciation sociale à l’école. Ils se passent bien en revanche de traduire cette question sur le terrain de la singularité et de l’individualisme. Ces plaidoyers récurrents pour l’individualisation et l’individualisme, sous couvert d’aide aux élèves, en deviennent foncièrement suspects. Finis donc les idéaux collectifs, l’idée d’un système unifié, voire même de société ? Nous devrions donc nous résoudre à une école des individus ? La réponse est non et nous résisterons à la facilité d’un tel projet d’école qui hiérarchise les élèves en fonction de leur origine socioculturelle et géographique. Si Fondapol souhaite innover, c’est dans le sens de la reconstruction d’un bien commun qu’il doit s’efforcer de faire œuvre utile et non de travailler à sa destruction.
Avançons encore dans le texte : autonomie, recrutement des enseignants par le chef d’établissement etc. La belle affaire ! Là aussi qu’y a-t-il d’innovant dans cette pensée réactionnaire à réduire l’école à une entreprise ? D’où tenez vous, Dominique Reynié, que l’autonomie version managériale, et que le recrutement des enseignants par le chef d’établissement seraient, à ce point si efficaces ? De quelle recherche ? Aucune n’établit cela, aucune. C’est tout le contraire qui est constaté. Lorsqu’autonomie se conjugue avec concurrence et hiérarchisation des établissements scolaires chacun sait à présent que cette situation est propice à la polarisation, l’accroissement des inégalités et aux moindres acquisitions scolaires : tout le contraire de ce que vous prétendez combattre.
« Connaissez vous vraiment l’école ? »
Quelle serait la puissance divine des chefs d’établissement à savoir mieux recruter ? Mieux évaluer ? Là aussi Dominique Reynié citez nous quelques sources. Que faites-vous du clientélisme qui pourrait résulter d’un tel système ? Que faites-vous des dérives du management en totale contradiction avec la liberté pédagogique de l’enseignant ? Au fond connaissez vous vraiment l’école pour projeter ainsi vos fantasmes entrepreneuriaux ? Curieux raisonnement qui consiste à négliger la formation des enseignants et leur accompagnement pédagogique, dont vous ne dites mot, et à se focaliser essentiellement sur leurs conditions de recrutement. Non Monsieur Reynié un enseignant n’est pas un petit employé que l’on prend, que l’on contrôle, que l’on évalue et que l’on jette, il est le plus noble représentant d’une institution qu’on appelle encore le service public et si notre histoire démocratique lui a attribué une liberté pédagogique et une indépendance par rapport au pouvoir local et à sa hiérarchie directe, c’est précisément dans un souci de préservation de cet idéal démocratique : l’avez vous oublié ?
Vous souhaitez faire travailler davantage les enseignants dans les établissements scolaires et qu’ils ne consacrent qu’une faible partie de leur temps de travail à l’enseignement. Si c’est de « temps-enseignant » dont les élèves ont besoin pourquoi ne pas en recruter davantage ? Pourquoi vous focaliser essentiellement sur les enseignants ? Que faites vous des CPE, des assistantes sociales, des assistants d’éducation, des infirmières scolaires ? Un établissement est une machinerie complexe et ne peut fonctionner qu’avec un seul type de professionnel, les acteurs de terrain le savent très bien. Pourquoi faites vous l’impasse sur la politique que vous semblez soutenir qui, à coût de coupes budgétaires, a privé les établissements de la présence d’adultes ? Pourquoi ne dites vous rien de cette logique de déshumanisation des enceintes scolaires qui scandalise tout autant les professionnels que les parents d’élèves ?
« C’est cela votre ambition éducative : Renoncer au savoir ? »
Que proposez vous ? De recruter moins d’enseignants, mais mieux payés en échange d’un temps de travail plus important ? Qui acceptera de se faire ainsi compresser ? N’allez vous pas finir par rendre totalement indésirables, pour les enseignants eux-mêmes (et pour les parents), les écoles dites « fondamentales » que vous appelez de vos vœux ? Ignorez vous que l’activité pédagogique suppose un temps de travail hors élève de préparation et de formation ?
Un enseignement dans les écoles dites « fondamentales » limité à trois disciplines ? Pourquoi pas une, quatre, la moitié d’une ? C’est cela votre ambition éducative ? Renoncer au savoir, à la culture pour tous en les réservant à quelques uns ? Vous réduisez les élèves de ces écoles à des demi-apprenants. Vous réactiviez, sciemment ou par ignorance, les vieilles lunes du handicap socioculturel et des dons. Vous suggérez que la situation actuelle de ces élèves résulte de l’hypocrisie ambiante qui n’a pas su reconnaître leurs difficultés d’apprentissage. Lisez vous la presse spécialisée en éducation ? Discutez vous avec les enseignants ? Lisez-vous les travaux des chercheurs ? Vous êtes vous déjà rendu dans une convention pédagogique organisée par un syndicat enseignant ? Les professionnels de l’éducation, autant que les chercheurs, ne sont pas hypocrites ou aveugles mais indignés face à la situation de l’école, qu’ils vivent et observent chaque jour. Ils demeurent néanmoins encore suffisamment ambitieux pour espérer un enseignement pour tous et pour rejeter toute forme de discrimination ou de ségrégation instituée comme vous le faites. En fait de vouloir résoudre un problème vous vous contentez de le contourner et d’en créer d’autres bien plus graves encore en évacuant une partie de la population scolaire du droit de à des apprentissages communs.
Vous prônez la fin de l’éducation prioritaire et la fin du collège unique, ni plus ni moins. Selon vous la politique d’éducation prioritaire a échoué car elle procéderait d’une logique de zonage des territoires et non du ciblage des individus. Mais savez vous ce que recouvre cette logique de zonage ? Elle signifie que, pour venir en aide aux élèves en difficulté, il est nécessaire de travailler en lien avec leur territoire, avec le champ associatif, avec les collectivités locales, les réseaux d’éducation prioritaire… Vous êtes muets sur ce point. Que proposez vous ? De bunkeriser l’école ? De l’insulariser ? C’est ainsi que vous pensez prendre en compte le quotidien des élèves et de nouer avec leur environnement et leurs parents des relations éducatives ?
« Vous n’avez besoin de personne pour invalider votre propre projet… «
Pourquoi ne proposez-vous pas une lecture plus documentée des difficultés de l’éducation prioritaire ? Que disent sur ce point les travaux de recherche et les rapports officiels que vous passez une nouvelle fois sous silence ? Faisons ici un bref rappel : déficit de pilotage tant local que national, sous dotation financière ne permettant pas de réduction significative du nombre d’élèves par classe (plus tout à présent avec la suppression des postes), instabilité du cadre national, défauts d’accompagnement des équipes, des coordinations locales, inanité de la lutte contre les ségrégations scolaires… C’est tout cela qu’il faut empoigner et regarder en face plutôt que de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Finalement vous nous livrez vous même le mot de la fin : votre projet est entièrement bâti autour de l’idée qu’il ne couterait « rien » à l’Etat, au fond cela n’est pas surprenant pour un projet qui ne vaut pas grand chose. Il faut vous convaincre qu’une école ambitieuse égalitaire et démocratique aura un coût. Dans le même plaidoyer proposer un soit disant nouveau modèle d’école, tout en arguant de son coût nul pour la nation, est la plus belle façon de l’auto-dénigrer. Finalement vous n’avez besoin de personne pour invalider votre propre projet…
Choukri Ben Ayed
Sociologue, professeur à l’université de Limoges
Liens :
Le projet Fondapol
http://www.fondapol.org/etude/12-idees-pour-2012-3/
C Ben Ayed : C’est simple on fait fausse route
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2011/130911-benayed.aspx
Qu’offre-t-on aux familles en supprimant la carte scolaire ? Un sauve-qui-peut !
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/12/071220[…]
L’école peut-elle lutter contre les inégalités sociales ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2011/rentree[…]
Fondapol pour en finir avec l’école républicaine
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/12/0[…]
Fondapol : Pour en finir avec l’école républicaine…
Le prêt à penser de droite vient de glisser à l’extrême droite. Fondapol, un thinktank qui inspire l’UMP, propose de créer deux systèmes éducatifs, celui des gueux et celui des gens bien. Et à l’intérieur des systèmes de rétablir la saine hiérarchie qui fait des professeurs les garde chiourmes d’un coté, les valets de l’autre, de l’ordre bourgeois. Il fallait oser. Ils l’on fait. Et cela va peser lourd sur la campagne électorale.
La France des Bantoustans. Quand nous regardons Nicolas et Mamed, vous, moi, nous croyons bêtement qu’ils ont des droits égaux. Fondapol ne le pense pas. Pour Fondapol, « de nouvelles formes d’hétérogénéité sociale rendent désormais impossible la distribution d’un même savoir à tous ». Cette « proposition n°1 » fonde tout le programme de Fondapol. Elle affirme que les pauvres sont inéducables. La vision qu’elle donne du pays c’est celle d’un pays composé de barbares et de citoyens, la coupure entre les uns et les autres étant sociale. Cette vision va plus loin que celle de la IIIème République avec ses deux systèmes éducatifs, celui des pauvres et celui des riches, en ce sens où elle affirme l’inéducabilité des pauvres là où la République prônait leur élévation. C’est une France des Bantoustans que propose Fondapol.
Deux écoles pour deux pays. Fondapol propose donc la création de deux systèmes éducatifs. D’un coté « l’école fondamentale », comprenez celle où l’on tente de transmettre le minimum de maths, français, EPS et d’obéissance dont les enfants de pauvres ont besoin pour rester pauvres. De l’autre la vraie école où Fondapol instaure la sélection permanente et où règne le principe d’autorité incarné par des chefs d’établissement tout puissants. La première s’arrête en 3ème pour les meilleurs.
Les professeurs sont des idiots. Où se situent les professeurs dans cette vision d’apartheid social ? Pas très haut si on en juge la proposition qui prévoit le doublement de leur salaire. Parce que Fondapol propose aussi que « les enseignants doivent être dans l’établissement de façon continue toute la semaine ». Mathématiquement « l’impact budgétaire sera neutre grâce à l’augmentation du nombre d’heures de présence devant les élèves ». Et oui si le certifié ou le PE fait 38 ou 40 heures de cours par semaine on peut généreusement lui doubler son salaire. C’est une nouvelle application du « travailler plus pour gagner plus »…
Quelles conséquences ? On ne sait à l’heure actuelle pas ce que sera le programme du candidat Sarkozy. Ce que signifient les « propositions » de Fondapol c’est que la pensée de droite a rompu les amarres qui l’enchaînait aux principes républicains. Fondapol prêche la guerre sociale. Ca promet une campagne violente que Fondapol reste l’inspiratrice du candidat de droite ou qu’elle devienne son repoussoir.
Les propositions de Fondapol
http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2011/12/12-idees-pour-2012.pdf
Sur le site du Café
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