Par Françoise Solliec
De quoi ont besoin les élèves ? Quelles sont les finalités du système éducatif ? Les actions culturelles, les rencontres avec les artistes peuvent-elles jouer un rôle important ? Et comment dépasser la fracture créée par le manque de connivence culturelle ?
Après une vidéo de présentation de différentes actions menées par le CG 93 dans les collèges (ACTE, parcours art et culture, voyages scolaires, conseil général des collégiens …), la première table ronde des rencontres des acteurs de l’éducation portait sur la construction de la personnalité des enfants et la place de l’école dans cette construction.
Pour Pierre Frackowiak, inspecteur honoraire de l’éducation nationale, l’école du futur connaît un certain nombre de difficultés dans sa mise en place. La décentralisation a beaucoup apporté au système éducatif, mais pose des problèmes de cohérence et de synergie. L’Etat se désengage fortement, avec un gouvernement qui exprime une vision claire d’une école libérale et mène « une politique de déstructuration du système (évaluations, enquêtes, contrôles permanents, surcharges de travail) ». Tout cela engendre une perte d’enthousiasme et un sentiment de difficultés.
Par ailleurs, se demande Pierre Frackowiak, comment concevoir un système éducatif, alors que les savoirs se multiplient et que leur diffusion se fait massive ; l’école n’est plus la seule dispensatrice des savoirs.
Malgré la loi de 1989 le plaçant au centre, l’élève est en souffrance.
En dépit de tous les efforts menés à côté, avec ou sur l’école, le système change peu. On continue à dispenser des savoirs cloisonnés, alors que l’élève a besoin d’être acteur de son apprentissage, estime Pierre Frackowiak. La suppression de la formation initiale des enseignants, la diminution des aides aux associations pédagogiques, n’aide pas. La numérisation entraîne des coûts importants pour les collectivités, mais si ces investissements ne sont pas utilisés, on aura manqué aux objectifs de citoyenneté parce qu’on n’aura pas changé l’acte pédagogique ni la forme de construction des savoirs. « Pour construire l’école du futur, il faudra changer fondamentalement cet acte, pour que les enfants vivent et non pas pour les évaluer et les orienter ». On a besoin d’un grand projet enthousiasmant, qui nécessitera du courage, mais donnera plus de bonheur aux élèves. Dans le système éducatif, ceux-ci doivent faire l’apprentissage de la démocratie, de la citoyenneté, apprendre à apprendre et à s’exprimer. En conclusion, « il faut davantage d’exigences pour les finalités et plus de souplesse pour les programmes ».
Pour Daniel Auverlot, inspecteur d’académie en Seine-Saint-Denis, l’IA n’est pas un politique. « Il fait ce métier parce qu’il aime l’école » et qu’il veut que le système fonctionne bien. Dans ce département, on travaille de manière exemplaire, estime-t-il, avec une expression de la pédagogie dans les collèges qui se décline dans leur espace. La décentralisation a été subie en 82, mais en trente ans on est passé à une décentralisation construite et ce département est sûrement en avance dans sa réflexion. Au sujet du désengagement de l’Etat, il ne peut pas ne pas rappeler le montant des salaires perçus chaque année par les enseignants (un million d’euros).
La question du besoin des élèves est essentielle. Dans une classe est inscrite au tableau la phrase à compléter les f.ls d’Ariane. Une partie des enfants répond fils (ceux de la pelote de laine), l’autre fils (les descendants masculins). « L’exclusion commence là » affirme Daniel Auverlot. De même, cette réflexion d’élève après une explication de texte portant sur la scène de la cassette dans l’Avare de Molière : « Mais, Madame, pourquoi tant d’histoires à propos d’une cassette qu’on trouve à 2€ chez Auchan ? »
Le décrochage pédagogique se fait au niveau du CM2. En 6ème, les élèves sont encore « gentils », mais en 5ème, ils n’en peuvent plus et se font exclure
« N’avez-vous pas peur de vous faire manger par la collectivité ? » demande-t-on parfois à Daniel Auverlot. Celui –ci est convaincu que la mobilisation de tous est nécessaire, notamment pour les projets culturels (« nos élèves ne connaissent pas l’autre » ou les dispositifs de remédiation comme Zéro collégien dans la rue. Ici, on déploie une réelle intelligence collective dans la décentralisation.
Quelles sont les attentes des uns et dans autres lorsqu’on met en place des rencontres entre des élèves et des artistes ? Nathalie Montoya, maître de conférences en sociologie à l’université Paris Diderot, a suivi nombre de ces projets, dans le cadre du dispositif Culture et art au collège mis en place par le conseil général. Elle estime que ces actions sont souvent mal appréciées par ceux qui les mettent en place. Les médiateurs ont parfois une vision négative de ces rencontres « ça ne sert à rien, les questions sont toujours les mêmes et ont peu à voir avec la création ». Pourtant les questions que les élèves posent aux artistes révèlent bien qu’il se passe quelque chose : il s’agit pour eux d’une représentation du monde extérieur, de l’ordre social. Ils découvrent un style de vie, un mode d’existence mais ces acquis semblent toujours un peu en marge des objectifs institutionnels.
Séverine Lamoureux est responsable du pôle sport jeunesse famille de Bondy. Cette ville connaît beaucoup de naissances et accueille de jeunes familles. Elle a fait de l’éducation une priorité avec un fort engagement pour la réussite de tous. Elle participe au dispositif ACTE, bénéficie d’une école de journalisme, d’une radio-sport et de nombreux points d’appui pour ses actions. La longue tradition de chant choral existant dans la ville leui a permis d’ouvrir une 2ème implantation de la maîtrise de Radio France, dans une classe CE2 CHAM, avec recrutement local, dans une école du nord de la ville. Les plus anciens des élèves poursuivent désormais cette activité au collège voisin. La construction d’un auditorium à proximité en 2013 viendra renforcer ce pôle. « Ce sont des opérations qui se construisent dans la durée », précise Séverine Lamoureux. Elles apportent une grande plus-value, complète Pierre Frackowiak, mais celle-ci serait encore plus grande si elles étaient intégrées dans et non juxtaposées à l’enseignement traditionnel.
De sa consultation de 2000 lycéens, Henriette Zoughebi, vice-présidente chargée des lycées, retient que les jeunes ont de l’ambition et de l’enthousiasme. Le conseil régional souhaite leur donner les conditions d’une égalité scolaire et a décidé l’ouverture d’un observatoire de la réussite et de la mixité sociale. Un certain nombre d’études montrent que l’entre soi ne profites pas à la réussite de tous. « Les résultats franciliens sont mauvais », un travail est à effectuer avec la Seine-Saint-Denis pour que tous les élèves réussissent mieux. Il est important que des actions, comme le salon du livre de jeunesse de Montreuil reçu avec enthousiasme par les jeunes, visent à établir davantage de connivence culturelle, l’exemple des fils d’Ariane le prouve. Les rencontres avec les artistes sont une autre occasion qui permet aux jeunes d’entrer de plein pied dans la culture.
Il faut repenser les finalités de l’école, ajoute-t-elle, et augmenter le niveau de qualification de tous. La création d’un observatoire permettra de porter au niveau national une parole forte sur la réussite de tous et non sur l’excellence de chacun.