Par François Jarraud
Peut-on apprendre l’orthographe autrement ? C’est le pari du petit livre de Dominique Senore. Un ouvrage doublement intelligent puisqu’il amène à revoir l’enseignement de l’orthographe et qu’il nous y invite à travers une démarche réflexive, tout en allers et retours.
S’il est un enseignement sous pression dans le système éducatif français, c’est bien l’orthographe. La pression est double. Il y a celle de la société qui a fait de l’orthographe une norme sociale, au point de veiller à ce que les ingénieurs qui appartiendront aux classes supérieures la maitrisent. Il y a la pression des nouveaux programmes du primaire qui prétendent l’enseigner à leur façon, c’est à dire par le par coeur et l’exercice répétitif.
Or l’hypothèse de Dominique Senore c’est qu’on ne peut enseigner l’orthographe qu’en mobilisant et en intéressant les élèves. Mais comment les intéresser à quelque chose d’aussi normatif et associé à des épisodes peu sympathiques ? Il faut que l’orthographe serve et qu’elle devienne un savoir construit.
Pour faire passer le message, D Senore propose un parcours original. On part de séquences pédagogiques réalisées par des professeurs des écoles. Un exercice de toilettage de texte, une dictée à cibles, un exercice de lettre cachée par exemple. Ces pratiques pédagogiques, qui lient toutes orthographe et pratique de l’écriture, est confrontée à une analyse menée par D Senore. « Les élèves ne peuvent comprendre l’intérêt et le sens de l’orthographe qu’à travers une pratique régulière de l’écriture dans laquelle cette discipline prendra sa place », nous dit-il. « Elle sera comprise alors comme un ensemble de connaissances sur la langue nécessaire pour écrire plutôt que comme une série de contraintes à respecter pour satisfaire à une norme ».
Toute la seconde partie de l’ouvrage consiste en regards croisés sur cet enseignement. Regards d’écrivains, mais surtout de chercheurs. JP Sautot montre que « si les règles du français sont cloisonnées et arbitraires, les élèves ne peuvent pas construire un système rationnel et cohérent ». C. Chabrun, G. Médioni interviennent à leur tour. C’est peut-être Danièle Cogis, une spécialiste de l’orthographe, qui théorise l’apport de cet ouvrage. Elle montre comment les instructions officielles de 2008 ont chassé la réflexion de l’apprentissage de l’orthographe. »Maitres et élèves sont piégés par la pensée unique qui veut régir l’enseignement de l’orthographe au nom de problèmes réels mais dont l’analyse est un peu courte ».
Car pour elle, « une autre voie est possible » : s’intéresser aux processus de conceptualisation de l’orthographe. « La tâche de l’enseignant est d’accompagner les élèves dans un processus de transformations cognitives. On peut agir non pas en répétant les mêmes leçons exercices mais à travers des situations didactiques où la réflexion de l’élève est fortement sollicitée au niveau où les obstacles se situent ». Et pour cela il faut conduire les élèves vers « le pouvoir d’écrire ». Pour elle l’orthographe est « à la croisée des chemins. La répétition des règles, des leçons, des exercices, des dictées bien que jugées peu efficaces était le seul moyen connu pour faire apprendre l’orthographe avec sa version moderne la remédiation. Mais c’est d’apprentissage qu’il est question ».
L’ouvrage de D Senore ramène l’orthographe à la table des apprentissages raisonnés et construits. Et il le fait en nous invitant à construire nous-mêmes nos pratiques en confrontant séquences, analyses de pratiques et analyses théoriques et critiques. Pour apprendre l’orthographe, il invite à faire le pari de l’intelligence. A enseigner.
Dominique Senore, Mobiliser les élèves sur l’orthographe. Pratiques et repères pédagogiques, Chronique sociale, 2011, 89 pages.
Sur le Café, orthographe à qui la faute ?
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