Par François Jarraud
L’effondrement du taux de participation aux élections professionnelles n’en finit pas d’inviter au débat. Le Café livre ici trois points de vue.
Lelièvre : » Même si le diagnostic du décrochage d’adhésion aux syndicats est faux, il peut avoir un effet »
Pour Claude Lelièvre, historien de l’éducation, la baisse du taux de participation aux élections professionnelles est un accident. Elle n’est pas due à une désaffection des enseignants envers leurs syndicats. Mais, si elle est vécue comme cela, ce ne sera pas sans conséquences réelles.
Aux dernières élections, le taux de participation a baissé pratiquement de moitié. Il y a 300 000 électeurs de moins. Est-ce une rupture ou un simple incident de parcours ?
En ce qui concerne les résultats c’est un rupture car c’est un vrai décrochage. Mais comme il n’y a aucun précédent de cet ordre et qu’on a le même décrochage dans les autres ministères, je pense que les explications de type technique sur la forme de consultation ont du jouer pour l’essentiel. Une vraie décroissance aurait du s’amorcer avant. Quand on a affaire à une chute importante c’est toujours précédé d’une inversion des courbes. Or ce n’est pas ce qu’on a observé dans les élections précédentes (2008) puisqu’on a eu un rebond de 2% du taux de participation. C’est la même chose d’ailleurs pour le taux de syndicalisation qui ne change pas significativement. Je crois que c’est vraiment un artefact qui tient à la nouveauté du processus des élections. Il faut aussi remarquer que les résultats entre les différents syndicats ne sont que des inflexions. En réalité on ne peut pas parler de rupture de la participation par rapport aux syndicats.
Dans le passé a-t-on connu des décrochages aussi importants ?
Non. Même en 1968 on a eu des changements de l’ordre de 5 à 10% mais jamais de 20%. Je n’y crois pas.
Le changement qui a eu lieu est-il purement technique, vient-il des bugs informatiques, ou s’agit-il d’une rupture du rituel de vote ?
Effectivement ça peut jouer. Ce n’est pas pareil de voter de la façon ancienne, plus collective, et de la façon nouvelle où on est renvoyé à l’acte individuel. Le nouveau rituel a pu jouer. Mais il ne faut pas l’expliquer comme une distanciation par rapport aux directions syndicales. Par contre, je pense que même si le diagnostic du décrochage d’adhésion aux syndicats est faux, il peut avoir un effet. Le fait de croire en ce décrochage peut avoir un effet au niveau du ministère dans les relations avec les syndicats et du coup une crise de confiance relativement généralisée . Ca peut avoir des conséquences importantes.
Faut-il refaire les élections pour que les 250 000 électeurs manquants puissent voter ?
Il y a peut-être d’autres façons d’améliorer la participation. Mais si le pouvoir change et si le nouveau pouvoir veut collaborer avec les syndicats, il faudra qu’il se pose cette question. Si on veut un pacte éducatif avec les enseignants et leurs syndicats, il vaut mieux que les syndicats s’appuient sur une représentation très claire. Il faudra revoir certainement ces modalités pour qu’il y ait une représentation indiscutable.
Propos recueillis par François Jarraud
La démocratie, même sociale, ne nécessite-t-elle pas des rituels collectifs ?
La chute du nombre de votants aux élections professionnelles enseignantes, un tiers de votants en moins par rapport aux élections de 2008, doit, au-delà de la nécessaire interrogation sur un éloignement des préoccupations quotidiennes des personnels de la part des organisations syndicales, nous amener à réfléchir au rituel démocratique.
Le rituel démocratique tel qu’il s’est imposé à travers deux siècles en France et dans le monde, c’est un rituel collectif caractérisé par une urne, un bureau de vote, des personnes pour le tenir, une queue ( les bons jours !) de votants… Ce rituel collectif vécu pour la première fois dans certains pays cette année, il a sans doute été pour beaucoup dans le succès des primaires socialistes où loin d’être un vote mécanisée isolée, on se retrouvait pour voter dans un rituel où l’on partageait quelques chose avec d’autres, où la notion de collectif se ressourçait… Ce rituel démocratique n’est-il pas aussi essentiel pour la démocratie sociale où la notion de partage et de collectif doit avoir du sens ?
La caricature du vote électronique comme seul mode d’expression aux élections professionnelles enseignantes, avec ses contraintes cauchemardesques d’identifiant, de bonne version de « java script », de barrières électroniques capricieuses, a montré toutes ses limites. Au-delà de la multitude de témoignages d’enseignants mis dans l’impossibilité de voter, est-ce conforme à l’image d’une fonction publique éducatrice éthique et responsable de mettre au rencart tout rituel collectif pour privilégier l’atomisation et l’isolement des personnels comme s’il fallait faire disparaître tout rappel d’un sentiment commun d’appartenance ?
Les enseignants ont un rôle de formateur civique quelle que soit leur discipline. Leurs attitudes, leur comportement comme le rappelle la circulaire du 1er août 2011 « ont valeur d’exemplarité » . Les mêmes rituels collectifs démocratiques ne doivent – ils pas exister pour les élections des délégués élèves, des délégués parents dans les différentes instances comme pour les élections professionnelles enseignantes ? La formation civique ne passe-t-elle pas, qu’on le veuille ou non par des rituels collectifs qui peuvent faire vivre la notion de partager en commun des idéaux, des valeurs, des moments….?
La modernité ne veut pas toujours dire plus de démocratie… Pour élargir la question des rituels, une société qui abandonne tout rituel collectif, non seulement dans le domaine civique, mais également dans celui de la construction progressive de la personnalité, joue-t-elle son rôle ? On a assisté depuis 20 ans à la disparition de tous rituels collectifs d’intégration à un moment donné de la vie et le flou règne aujourd’hui de11/ 12 à 25 ans entre la sortie de l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laisse le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de « bandes », de divers groupes, voire par des sectes ou des intégrismes religieux.
Si l’on veut éviter que le groupe, la bande, la communauté ne soit le seul élément initiatique repérable , ne faut-il pas dans ce domaine là aussi, rétablir des rituels d’intégration collectifs, par exemple pour marquer la sortie de l’enfance et l’entrée dans l’ère de la responsabilisation (13 ans est juridiquement en France ce moment); pour marquer l’entrée dans l’âge adulte, ce moment décisif de rupture que représente « être majeur » avec les droits et obligations que cela représente. En effet, la construction de références communes, d’un sentiment commun d’appartenance à une société ne passe-t-elle également obligatoirement par des rituels collectifs ?
Jean-Louis Auduc
Quelles évolutions ? Quelles explications ?
« L’étude des résultats détaillés des élections professionnelles, département par département, permet de faire quelques hypothèses sur les conditions locales qui ont pu avoir une influence sur la participation et sur les résultats », écrit Marcel Brun. Au terme d’une analyse cartographique des résultats, il lie les changements observés aux élections de 2011 aux évolutions du métier. Une analyse qui alimente le débat.
Lisez l’analyse de M Brun
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/p[…]
Elections : Sud et le Snalc déposent des recours
De l’avalanche de communiqués d’autosatisfaction venant des différents syndicats, trois déclarations se dégagent. La FSU, qui reste la première fédération de l’enseignement et de la Fonction publique d’Etat, demande au ministre d el’éducation nationale la création d’une commission d’enquête administrative sur les dysfonctionnements constatés lors des élections. Elle serait chargée « d’examiner pour l’avenir les modalités les plus aptes à permettre le vote des personnels ». La FSU a également écrit le 24 octobre aux députés pour leur demander l’ouverture d’une enquête parlementaire sur ces mêmes dysfonctionnements.
Sud et le Snalc ruent plus sérieusement dans les brancards. Sud, suite aux « irrégularités » (« opacité du vote… sans que les organisations syndicales aient pu vérifier le dépouillement ») et aux défauts d’inscription sur les listes dépose un recours administratif en contestation des résultats auprès du ministre de l’éducation nationale. Le Snalc « privé de la plus grande partie de ses moyens de fonctionnement » puisque absent du CTM ministériel, annonce qu’il déposera un recours pour contester le scrutin du CTM.
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