Depuis plusieurs années, le ministère rogne systématiquement les subventions accordées aux mouvements et associations « d’éducation populaire », voir les suppriment totalement. Symbolique parfois, plus conséquente pour d’autres lorsqu’elle permet de subventionner des postes de détachés, cette subvention permet à ces associations de compléter leur budget.
Le 30 septembre, une délégation d’un collectif d’association sera reçue par le ministère. Avec l’ambition de mieux faire valoir leur utilité. En guise de témoignage, ci-dessous un reportage sur un événément organisé cet été par le GFEN (le Groupe Français d’Education Nouvelle). Avec au coeur, la préoccupation de la réussite des élèves qui posent problème à l’Ecole. En déplaise à ceux qui font tout pour les faire disparaitre sous le tapis ?
Retour sur les Assises d’Aubagne…
« Des moyens nécessaires, mais aussi des changements urgents « sans tabous ni arrière pensée même s’ils peuvent questionner les enseignants » : c’est en résumé l’apostrophe partagée des nombreux élus locaux (ville d’Aubagne, communauté d’agglmération, conseil général et régional) ouvrant les « Assises nationales pour une autre éducation » qui ont réuni 150 enseignants et associatifs à Aubagne, début juillet, à l’initiative du GFEN. « Nous vivons dans le paradoxe d’une accumulation de moyens techniques qui permettent de construire des connaissances, alors que les inégalités d’accès au savoir et à la culture semblent de plus en plus grande », résume Jean-marc Coppola, vice-président du Conseil Régional PACA. La question de l’Ecole pour tous n’a jamais été aussi vive, et implique d’autres politiques autant que d’autres pratiques ». « C’est d’un nouveau plan Langevin-Wallon dont nous avons besoin, pour faire le choix de la promotion de tous les élèves » ose Pascale Billerey introduisant les propos de Jacques Bernardin, président du GFEN. « L’école, c’est le lieu de construction du social, du rapport au monde, aux autres, à soi. En quoi pouvons-nous y contribuer ? D’abord en s’intéressant au microscopique de la classe, des situations d’apprentissages. Mais nous serions naïfs si nous ne pensions pas aussi les relations au politique ». Brossant un historique des réformes scolaires, il montre combien la scolarisation de plus en plus longue des enfants du peuple s’est toujours accompagnée d’un « projet spécifique » pour ces enfants, et non d’un projet commun. « Aujourd’hui, la volonté de passer du « collège unique » des années 80-90 au « collège pour tous » ne cache-t-elle pas le renoncement au projet de réussite de tous, au nom du pragmatisme ou de l’idéologie des dons ? ». L’opinion publique, enseignants compris, est-elle prête à céder aux vieilles sirènes ? « Si les enseignants naturalisent les différences, sans scruter l’horizon de ce qui peut advenir, alors la prévision se réalise. Interoger les potentiels à développer, c’est interroger la conception que nous avons sur les apprentissages. Au travail ! »
C’est d’ailleurs ce à quoi s’attellent les participants en se répartissant dans une multitude d’ateliers qui vont permettre de passer aux travaux pratiques. Avec cette question commune : « Apprendre, oui, mais comment ? Et avec quelles aides ? »
Atelier Langues : « observer un élève en train d’apprendre en classe »
Marie-Alice Médioni a choisi de montrer un extrait vidéo de classe montrant des élèves travaillant en groupe, et fait réagir à chaud les participants de l’atelier : « que voyez-vous ? » Pas tous la même chose, si on en croit les réactions : « malaise de l’élève qui ne comprend pas ce qu’il a à faire », « étonnante répartition des rôles entre les élèves », « entre le garçon qui montre et la fille qui recopie sans véritable communication ». « Ben on ne connait pas la consigne de travail donnée aux élèves »…
Ce n’est qu’à ce moment seulement que l’animatrice de l’atelier précise ce que l’enseignant a donné à faire à ses élèves de quatrième en cours de langue : plusieurs documents ont été distribués pour leur permettre de valider (ou non) des connaissances, en transformant les informations disponibles, à l’écrit ou à l’oral, par leur travail collectif.
Elle donne aussi quelques indices sur cette élève qui semblait en difficulté dans la vidéo : Marion est vécue par les enseignants comme « bavarde », « peu concentrée ». Elle pense « faire des efforts », mais « peut-être pas assez pour ce qu’attendent les profs ».
L’animatrice de l’atelier distribue alors le verbatim des échanges entre élèves, avec mission pour chaque groupe de comprendre comment se construit la mobilisation de cette élève dans le travai. Mais chaque membre des petits groupes de travail n’a qu’une partie du verbatim, charge au groupe de refabriquer la cohérence de la situation de classe…
VIngt minutes de travail de groupe, mise en commun en grand groupe. « Finalement, Marion semble vouloir bien faire même si elle n’est pas très organisée » ; « Elle participe au travail de groupe » ; « Elle semble plus à l’aide pour réagir que pour proposer » ; « Quand ils ont des avis contradictoires, ils sont vite démotivés, ils ne creusent pas… ». « Ca dépend de la complexité de la tâche : elle se sent vite perdue dans les tâches complexes, mais s’investit quand les enjeux sont plus simples. Un signe de manque d’estime pour ses compétences ? » ; « La prof semble ne faire que peu de renforcements positifs » ; « Heureusement qu’elle est reconnue dans le groupe »…
Les analyses se construisent progressivement dans le groupe : « Elle se réalise dans la recherche, mais quand le sens lui échappe, elle ne travaille pas ». « Mais alors, demande un participant, pourquoi ne réussit-elle pas aux évaluations si elle sait être motrice dans les situations de groupe ? ». »Il lui manque les bases ». « Sans doute parce que le cahier est pour elle un frein, elle ne sait pas s’y retrouver ». « Mais alors, le cahier sur lequel elle travail n’est jamais corrigé ? « Dans le second degré, l’enseignant n’a pas le temps ».
Du coup, un enseignant se questionne : « du coup, moi, je me questionne sur mon fonctionnement de classe. J’ai souvent l’impression que le travail de groupe fonctionne mal, mais là je vois que c’est plutôt la mise en collectif qui pose problème »…
Marie-Alice Médioni livre une clé qui lui semble importante : « En classe, on fait souvent relever des indices, mais ce n’est pas le même type d’apprentissage que si on demande aux élèves de reformuler, de transformer, de produire et mettre en forme de l’information. Faute de le faire assez souvent, on risque de renforcer les écarts. Alors, quelle situations sont « faisables » pour favoriser l’activité intellectuelle des élèves ? ».
Quelles conclusions tirer de ce genre de matériau pour aider à comprendre ce qui peut contribuer à mobilisation des élèves ?
Dernière phase de l’atelier, l’animatrice tente de faire que les participants généralisent ce qu’ils ont appris dans l’atelier. « C’est lorsqu’ils présentent leur production collective qu’ils restituent des formes linguistiques, même si c’est parfois maladroit ». Peut-être faut-il être « averti » de certains phénomènes, notamment par la formation, pour les reconnaître dans la classe, pour ne pas rester prisonnier de signes superficiels : même si Marion baille ou se contente parfois de recopier, son activité d’élève ne se résume pas à ces signes.
« Bon, souligne un participant, reste à savoir si on pourrait dire la même chose dans les quartiers nord de Marseille où le travail de groupe peut vite tourner à la perturbation ». Effectivement, souligne l’animatrice de l’atelier, l’autonomie n’est jamais première, ça s’apprend et ça se justifie, jusqu’à l’université… « Travailler en collaboratif, c’est difficile et c’est souvent un choix d’éthique et de valeurs. Autant dans les quartiers nord qu’ailleurs… » souligne une autochtone… « Oui, c’est le paradoxe de la contrainte qui libère, à condition que le message soit perçu par les élèves : transformer ces matériaux, c’est complexe et ambitieux, et tu ne peux y arriver qu’à plusieurs ».
« Le défi, tente de conclure une participante, c’est d’ouvrir la classe pour le croisement de regards, développer la coopération et la prise de risques chez les enseignants eux-mêmes. Comment les élèves pourraient-ils coopérer lorsque les enseignants coopèrent aussi peu ? »
« Sans doute aussi poser des étapes dans le travail, poursuit une autre : articuler les phases individuelles et collectives, gérer le temps avec patience et rigueur. Parce qu’apprendre prend toujours beaucoup de temps. »
Dans l’enseignement de la physique aussi, on peut lever les obstacles ?
Qu’est-ce qui tombe le plus vite, un jeu de clé ou une boulette de papier ? C’est à partir de cette question « simple » que les animateurs de l’atelier « physique », professeurs de leur métier, mettent au travail leur auditoire. Avis partagés : les clés doivent tomber plus vite, puisqu’elles sont plus lourdes ? On fait la démonstration, mais pas facile de voir, tant le phénomène est rapide, et les biais d’expérience importants… « Il faudrait un ralenti… » ou une démarche plus scientifique ?
On refait l’expérience avec une boule de pétanque, une boule de polystyèrene qu’on a lestée et une balle de tennis qu’on va lâcher à la hauteur de 2,5 mn. Que va-t-il se passer ? Chaque groupe doit anticiper ce qui va se passer en faisant un schéma, d’abord individuel, puis collectif. On dessine, on palpe les sphères, on dessine des flèches qui symbolisent les présumées forces en présence…
Moment de doutes général… Résultats différents dans les groupes. Une vidéo vient en appui : on montre une expérience filmée au ralenti qui confirme que la boule la plus grosse arrive en dernier. Mais pourquoi ? On s’empaille sur les définitions du poids et de la masse. On constate que deux paramètres jouent : la surface, le volume ont un impact sur la résistance à l’air, et l’objet subit la gravité. Mais alors, que se passerait-il s’il n’y avait pas d’air ? On n’aurait plus qu’un seul paramètre dans l’expérience. « Alors, le volume et la surface ne jouent plus, donc tous les objets doivent tomber à la même vitesse, par l’effet de la gravité. » Les animateurs s’amusent : « vous êtes en train de vous prendre la tête comme le fit Galilée. Il le prouve en proposant au groupe un texte de 1636. Pas facile de rentrer dans la langue du XVIIe. On fait progressivement synthèse pour comprendre les bribes perçues. Et l’évidence pointe :
Mais alors si on supprimait l’air, les objets tomberaient en même temps ? Damned ! Voici chaque participant remis dans la peau de Galilée… Première victoire ? Il faudrait une preuve. Les animateurs reprennent la main avec un tube de Newton : avec l’air, la pastille de papier est freinée et arrive après la bille, mais sans air, la bille et le papier arrivent ensemble ! Plusieurs participants sont saisis : la masse ne jouerait pas sur la vitesse de chute ? Difficile d’abandonner ce qui semble si contre-intuitif : « Mais c’est quand même fou qu’un piano et une plume tombent en même temps !? Si le poids ne joue pas, qu’est-ce qui fait que ça tombe quand même ? ». On frôle la surcharge cognitive. « Même un grain de poussière et un éléphant ? »…
« Il faut d’urgence faire une synthèse magistrale : « si j’ai pas d’air, tout le monde tombe en même temps. Mais quand on ajoute de l’air, ça freine les objets les plus volumineux »
« Mais alors… Pourquoi en étant « tirée plus fort » par la gravité (ce qu’on constate lorsque la boule de pétanque et la balle de tennis sont accrochée chacune à un ressort), la boule de pétanque arriverait en même temps que la balle de tennis ?
Ultime défi à résoudre… Encore assez d’énergie pour y aller ? La frustration est maximale.
Reprenons : pourquoi ça tombe, finalement ? Newton est appelé à la rescousse : les corps s’attirent mutuellement proportionnellement à leur poids. Progressivement, les participants s’approprient les concepts-clés : chaque objet est confronté à deux forces contradictoires : un effet frein qui s’oppse à sa mise en mouvement, et un effet d’attraction qui le fait attirer par la gravité. Plus j’ai une grande masse, plus c’est difficile de le mettre en mouvement. C’est la masse inerte, qui est responsable de l’inertie.
Mais pourquoi ces deux forces coincident exactement ? Newton ne disposera que de la réponse expérimentale. Il pense que c’est une coincidence. Ce n’est que la théorie de la relativité d’Einstein qui va englober cette théorie pour trouver une explication à cette cohérence
C’est le moment de conclure… Comment avez-vous vécu l’atelier ? « Moi qui suis une mauvaise élève, j’ai été bloquée par masse et poids ». « Je me demande si les élèves acceptent les prises de risques des démarches de ce type »… « Il faut que l’élève se sente en confiance pour avancer, lorsqu’il se sent mal de pas comprendre. On a toujours peur de dire ce qu’on n’a pas compris, et d’autant plus qu’on n’a pas compris ».
« Mais en même temps, le prof ne peut pas faire comme si les vérités étaient définitives, et aider à faire comprendre aux élèves que la vérité est relative à un contexte ».
« Mais du coup, on ne peut pas s’improviser prof comme ça : il faut maîtriser le contenu bien au-delà, les enjeux, l’histoire de la discipline pour pouvoir mettre les élèves en activité. »
« Moi, ça m’a fait comme si j’allais revisiter le grenier de mes acquis en retrouvant des choses poussierreuses. Ca réconcilie la pratique et la théorie, mais aussi l’individuel et le collectif. Ca éloigne des vision binaires, de uvrai et du faux… Ca manque… ».
« On rentre dans le conceptuel, à partir d’hypothèses. Parfois, en classe, je cherche à fermer les situations pour ne pas risquer d’être entrainée ailleurs. Peut-être n’est-ce pas obligatoire ? »
« Gérer la frustration, c’est le plus difficile : choisir ce qu’on doit traiter tout de suite, ce qu’on peut remettre à plus tard… »
La gardienne du temps revient pour la troisimèe fois : les plateaux-repas sont servis…