Par François Jarraud
Quel avenir pour le système éducatif ? Question particulièrement pertinente au lendemain d’une grande manifestation sensée infléchir cet avenir et à la veille d’échéances. La FSU avait pris le risque de l’aborder sous deux axes : le regard d’experts capables de montrer des évolutions longues. Et, pour clôturer la journée, celui des politiques. Et là aussi la FSU avait pris le risque d’entendre des propos dérangeants en invitant tout l’éventail politique, à l’exception du F.N. Une journée pour écouter, penser l’Ecole et aussi affirmer son identité face aux défis de l’Ecole de demain.
En invitant Christian Baudelot et Jacques Bernardin, la FSU savait qu’elle donnait la parole à des experts porteurs d’un message parfois éloigné du consensuel d’une organisation majoritaire. Christian Baudelot à posé un dur diagnostic sur l’école française : un niveau qui baisse du fait d’un nombre accru d’ élèves très faibles, des inégalités croissantes. Cette situation résulte d’un ensemble de facteurs politiques, culturels et sociologiques. Politiques parce que depuis 1995 et le retour de la droite, l’éducation nationale n’ a plus de cap prècis. « L’esprit du nous s’est dispersé ». Culturels parce que l’Ecole française est marquée par son élitisme traditionnel. Sociologiques car l’écoile est devenue un outil de tri social ce qui met sur elle une pression immense. Du coup le rapport des familles à l’école a changé. Or pour Christian Baudelot, la leçon des évaluations internationales, c’est qu’il n’y a pas lieu d’opposer élitisme et efficacité globale de l’école. Il faut donc rompre avec la tradition élitiste. Pour cela il ne faut pas que des moyens. Il faut du temps. « Ce sera long et compliqué car on est tous responsables ».
Jacques Bernardin, président du GFEN, apportait son expertise de docteur en sciences de l’éducation et de responsable d ‘un grand mouvement éducatif. D’accord avec le diagnostic de C Baudelot il va droit aux difficultés du changement. « Pour que changent nos pratiques, il faut changer la pensée qui les fonde » estime-t-il. Et d’abord le regard porté sur les élèves : il faut croire en leur éducabilité. Or cette pensée a été attaquée par l’idée d’égalité des chances lancée par la droite. « La motivation des élèves fait écho à la motivation des enseignants à leur égard ». Il faudra revoir les contenus enseignés. Mais aussi les pratiques. J Bernardin a critiqué sévèrement les systèmes d’aide mis en place. « On s’épuise dans des aides qui renforcent les malentendus et découragent… Il vaudrait mieux dégager le sens et l’essence des savoirs ». Et pour cela « faire vivre les savoirs comme une aventure humaine ». Or une enquête du GFEN auprès de collégiens a montré que pour deux tiers d’entre eux apprendre c’est mémoriser alors que pour un tiers (les élèves des meilleures classes) c’est comprendre. « On mesure les malentendus sur ce qu’il faut faire et qui est rarement explicité ». Il demande à l’ enseignant de passer « de l’ expertise dans sa matière à l’ expertise de la mise en culture de sa matière », du « faire cours » au « faire classe ». Ce chemin passe par un travail de réflexion collective en classe sur les savoirs ( à l’opposé de l’aide individualisée). J Bernardin a pris aussi ses distances par rapport aux compétences mises en avant dans l’ éducation nationale. Dans la réalité elles se résument en une grille à remplir. Une démarche qui favorise l’ exclusion.
L’après -midi appartenait aux politiques invités à présenter leur vision de l’avenir de l’ Ecole.
La FSU avait invité presque tout l’éventail. Jacques Grosperrin représentait l’UMP. Sylvain Canet le Modem. Bruno Julliard le PS, Philippe Meirieu Europe Ecologie (EELV), Myriam Martin le NPA et Pierre Laurent le Front de Gauche.
Le premier clivage portait sur la question des moyens. Pour P Laurent et M Martin c’est la question première. Ils demandent des postes. B Julliard a souligné que l’on ne pourrait pas recruter des enseignants sans revaloriser les salaires. Il faudra donc gérer au mieux les moyens disponibles.
Mais c’est sur le projet d’école lui-même que les divergences sont les plus fortes. S Canet a plaidé pour « des parcours scolaires diversifiés » avec des « scolarités adaptées aux élèves ». En clair pas d’école du socle mais des filières séparées dès le collège. B Julliard et P Meirieu ont plaidé pour une école refondée. Pour B Julliard, l’accent doit etre mis sur l’enseignement prioritaire, le rétablissement de la sectorisation et la mixité sociale dans les établissements publics et privés.
Philippe Meirieu a rappelé que la France compte 10% de jeunes qui ne sont ni à l’école, ni en formation, ni en emploi, c’est à dire abandonnés sans statut et sans droits. Il est donc urgent de luter contre le décrochage scolaire. Ce qui passe pour lui par une refonte de l’Ecole. Il a dénoncé les aides actuellement mises en place qui visent à détecter les disfonctionnements de l’élève et à trier sans cesse. « La classe devient le lieu où l’on évalue pour savoir si on devrait pas être ailleurs ». Il faut rétablir le sens du collectif et du bien commun et rendre la classe vivable.
La question du statut des enseignants a été abordée. Si le PS semble ouvert à des évolutions négociées, pour P Meirieu il n’y a pas à toucher au statut. Par contre il faut donner aux enseignants les moyens de remplir leurs missions. Par exemple décharger de cours les professeurs principaux et leur donner bureau et téléphone pour faire leur travail d’orientation. Il faut aider les équipes à fonctionner. On peut donc avoir des services différents. C’est sur cette question que Jacques Grosperrin s’est le plus démarqué. Pour lui « la société attend » l’abandon du statut de 1950. Il faut également donner toute sa place au chef d’établissements chargé de diriger un établissement autonome. Pour lui si les enseignants refusent il faut s’attendre à des baisses de salaire comme dans les autres pays européens…
Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, a clos le colloque en annonçant un « appel » de sa fédération fixant un cadre de revendications. L’avenir de l’Ecole ne pourra surement se faire sans la FSU.
François Jarraud