Delphine Régnard enseigne les lettres classiques au Lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie. Elle utilise Twitter dans ses classes pour favoriser les échanges et pour organiser des jeux d’écriture. Par exemple, des haïkus inspirés de la pièce Fin de Partie au programme de littérature en terminale : « C’est Fin de Partie / Nous devons partir, quitter / C’est échec et mat ! » Ou encore des tweets d’inspiration oulipienne comme la contrainte de réécrire le proverbe « La vengeance est un plat qui se mange froid » en s’interdisant l’emploi d’une lettre : « Une riposte est un mets qu’on déguste froid » (sans a), « La vengeance est un plat de chez Picard » (sans o) …
Avant Twitter, utilisiez-vous les TICE avec vos élèves ? Sous quelles formes ?
J’utilisais les TICE de deux façons : soit pour leur montrer des documents plus facilement (outils de présentation), soit en salle informatique pour leur faire faire des exercices en ligne, des recherches, etc.
Utilisez-vous personnellement Twitter ? Quels intérêts trouvez-vous à ce réseau social ?
J’ai un compte personnel Twitter, mais que j’ai toujours considéré comme d’un usage professionnel : j’ai d’abord suivi des listes de comptes dans les domaines de l’éducation, ce qui me permettait de faire un travail de veille, avant de me mettre à ouvrir mes horizons et suivre des comptes de journalistes, d’écrivains, de bloggeurs… Deux intérêts majeurs pour moi : communiquer et trouver des réponses adaptées (donc mieux que dans un moteur et plus rapidement que sur un forum) et, d’autre part, découvrir la toile grâce aux références postées dans les tweets. A présent que j’ai créé un réseau (c’est une démarche relativement longue), j’aurais du mal à me passer d’écrire sur tous les sujets. Je me rends compte que je n’ai jamais tant lu ni écrit que depuis que je tweete.
Utilisez-vous Twitter avec vos élèves en classe ou en dehors de la classe ?
Les travaux ont toujours eu lieu en classe car tout le monde n’a pas encore accès à internet parmi mes élèves. Cependant, j’utilisais les comtes de classe comme relais d’informations exploitées ensuite.
Les élèves écrivent-ils en groupes ou individuellement ? en totale liberté ou en suivant des consignes d’écriture précises ?
Les deux, il s’agit de manier toutes les formes d’écriture et de publication, la seule contrainte étant le regard du groupe (on a pu de façon exceptionnelle exiger que tel élève efface un tweet). Une charte d’utilisation a été signée par les élèves.
Y a-t-il contrôle du professeur avant publication des tweets ?
Le contrôle était a posteriori, les élèves avaient d’abord la latitude de tweeter, demandaient une relecture avant publication (comme dans toute bonne maison d’édition !), puis ils se sont mis à tweeter de façon plus assurée et plus libre. Le seul écart constaté fut l’emploi d’une tournure familière. Quant à l’orthographe, elle fut bien plus correcte que dans les copies puisque le texte devait être lu et apprécié.
L’utilisation de Twitter est-elle ponctuelle ou régulière ?
Assez régulière : tweeter est devenu une habitude, un nouveau support d’écriture qui ne concurrençait pas les autres mais qui avait sa place.
Pouvez-vous donner des exemples d’activités d’écriture menées avec vos élèves ?
J’ai créé deux comptes classe publics : d’abord pour ma Terminale Littéraire, ensuite pour ma 2nde.
Nous avons d’abord utilisé le compte Twitter avec ma TL de façon collégiale : les élèves de la classe proposaient des tweets et les commentaient à l’écrit ou à l’oral, ce qui permettait un débat entre eux. Les premiers tweets proposés furent la création de haïkus à propos de Fin de Partie au programme. Mon objectif était de les faire s’engager sur leur lecture au moment où on doit se concentrer sur des travaux éminemment scolaires et formatés. La forme poétique leur laissait une certaine liberté (il n’était pas question de question de cours) tout en les contraignant fortement à des contraintes, justement le grand intérêt de Twitter. Il s’agissait aussi de leur donner confiance dans leur approche du texte et de leur permettre de s’engager, d’éprouver du plaisir à jouer avec les mots et oser s’exposer à la classe et au lectorat du web. Ensuite, nous sommes entrés en contact avec des personnes qui sont venues aider les élèves dans leur lecture des œuvres. Puis certains élèves ont fait le choix personnels d’ouvrir leur compte et d’interagir (ceux-là avaient le droit de sortir leur Smartphone pour tweeter).
J’ai repris le même objectif d’atelier d’écriture avec mes élèves de 2nde en leur proposant cette fois d’ouvrir un compte « professionnel » privé cette fois qui leur soit propre. On a pu proposer aussi de publier une citation assortie d’un commentaire. Pour les élèves de Seconde on a proposé soit une utilisation de type plateforme pour accompagner un travail en salle informatique, mais il fut surtout le lieu d’exercices du type jeux oulipiens ou questionnaire de Proust. C’est une excellente façon d’aborder la littérature et de faire des mots des outils de jeu, de leviers d’imaginaire plutôt que des ennemis.
Quels sont selon vous les intérêts de tels usages pédagogiques de Twitter ?
Pour résumer, je dirais prendre du plaisir à partager des activités de jeu littéraire à la façon des salons du XVIIIème où le mot d’esprit avait une vraie place. Partager le plaisir des mots pour un prof de lettres est parfois rare au lycée tant nous sommes astreints à un programme qu’il faut avoir « fait ». C’est donc l’occasion, au moment même de l’apprentissage d’exercices scolaires, de susciter une certaine créativité qui ne sera pas jugée à l’aune d’un barème d’examen mais du plaisir des lecteurs.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui seraient tentés de se lancer dans de telles expériences ?
Je pense qu’il faut soi-même utiliser d’abord pour soi Twitter pour comprendre comment fonctionne ce réseau et constater quel profit on peut en tirer pour sa classe. Il faut considérer ce réseau comme outil pédagogique et non démagogique, il ne s’agit pas de faire twitter parce qu’on en parle mais parce que la forme de publication proposée comporte des intérêts littéraires certains.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
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