Directeur de l’IREDU, un des principaux laboratoires universitaires d’évaluation des systèmes éducatifs, Bruno Suchaut revient sur le rapport du Haut Conseil de l’Education sur les indicateurs du niveau des élèves. Il appelle à distinguer les niveaux et les outils d’analyse tout en reconnaissant qu’il est « sans doute souhaitable qu’un organisme externe et indépendant » s’occupe des évaluations nationales…
Le dernier rapport du HCE s’intéresse à une question importante, largement débattue depuis que l’évaluation s’est progressivement développée au sein de notre système éducatif. Les conclusions du rapport ne devraient pas provoquer de réactions négatives de la part des acteurs du système, il y a en effet un certain consensus pour considérer que les indicateurs actuels sont imparfaits. Ces conclusions laissent néanmoins presque sous silence des questions essentielles sur les modalités et les finalités de l’évaluation des acquis des élèves. Il y a deux points complémentaires qui méritent d’être interrogés pour clarifier les enjeux du débat. En premier lieu, il faut rappeler que l’on peut classiquement associer à l’acte d’évaluation, trois intentions distinctes : mesurer, apprécier et interpréter. En second lieu, il convient également de distinguer les niveaux de l’évaluation : l’évaluation du système, le pilotage local, l’évaluation des élèves dans les écoles. Si les trois intentions précédentes doivent être mobilisées à ces différents niveaux, la nature des indicateurs et leur méthodologie doivent être différentes selon ces mêmes niveaux.
Il est tout d’abord nécessaire de disposer d’indicateurs fiables de l’état du niveau d’acquisitions des élèves français d’un point de vue global et selon une double perspective comparative dans l’espace et dans le temps. Les programmes d’évaluations internationales (PIRLS et PISA notamment) sont à ce titre des outils précieux qui produisent des indicateurs fiables en termes d’efficacité et d’équité de notre école et la France se doit de participer régulièrement à ces programmes. De plus, les analyses secondaires qui peuvent être menées sur ces données comparatives par les chercheurs en éducation (économistes et sociologues) peuvent livrer des conclusions particulièrement pertinentes pour nourrir la politique éducative à moyen et long terme. Il ne faut toutefois pas attendre de ces évaluations internationales de pouvoir donner une idée précise du degré d’atteinte des objectifs de notre propre système et l’on doit se doter d’outils nationaux spécifiques, établis sur des échantillons représentatifs d’élèves, pour mesurer et apprécier la maîtrise des compétences définies dans les programmes scolaires à différentes étapes du cursus. Comme le souligne le rapport du HCE, les indicateurs CEDRE fournissent une base de travail adaptée à ce niveau d’évaluation. La question de savoir qui doit piloter la production des indicateurs est bien sûr ouverte car le passé nous a montré que la transparence n’était pas toujours au rendez-vous… La D.E.P.P. possède à la fois l’expérience et les compétences pour produire de tels indicateurs mais il est sans doute souhaitable qu’un organisme externe et indépendant puisse en être le destinataire et en assurer la diffusion ; un consortium de chercheurs français et étrangers pourrait être une solution qui garantisse ces objectifs de transparence et d’indépendance.
Au niveau local (académique, départemental), une évolution rapide a vu le jour ces dernières années avec un pilotage par les résultats sur la base d’indicateurs complémentaires (projets d’école, contrats d’objectifs, évaluations nationales…). La mesure du niveau des acquis des élèves reste toutefois insatisfaisante car les ambiguïtés sur les finalités des évaluations nationales n’ont pas été levées et le passage de la logique de l’évaluation diagnostique à celle de l’évaluation bilan ne s’est pas réalisé dans un climat serein dans les écoles… On peut toujours discuter à l’infini du niveau scolaire à cibler, de la période de l’année à laquelle ces évaluations doivent être administrées mais le problème se situe à un autre niveau. Il est déjà certain que les épreuves doivent pourvoir être comparables dans le temps (avec suffisamment d’items d’ancrage) et administrées aux élèves dans des conditions non contestables. Les résultats, agrégés aux différents échelons (école, circonscription, département, académie) doivent faire l’objet d’un traitement statistique adapté pour être utilisés avec pertinence. Il serait ainsi souhaitable de construire des indicateurs relatifs prenant en compte les caractéristiques des populations d’élèves, de mentionner la significativité statistique des écarts d’un lieu à un autre et d’une période à l’autre, et de prendre en compte la faiblesse des effectifs d’élèves dans les petites écoles. Les évaluations actuelles (CE1 et CM2) pourraient très bien servir d’indicateurs pour le pilotage local à condition qu’elles respectent les principes précédents et qu’elles ne soient pas administrées chaque année mais seulement tous les trois ans, en phase avec les projets d’écoles.
Enfin, au niveau des écoles, et en ce qui concerne la validation du socle, il serait sans doute intéressant d’inciter fortement les équipes pédagogiques à développer leurs propres supports d’évaluation, qui prendraient en compte la spécificité du contexte local de l’école. Cela permettrait de remplacer progressivement la traditionnelle évaluation sommative par une évaluation formative réellement intégrée à l’acte pédagogique et planifiée tout au long des cycles d’enseignement. Cela permettrait aussi de favoriser le travail en équipe en fédérant les compétences des enseignants autour d’une même logique évaluative au service des élèves.
Bruno Suchaut
Professeur en Sciences de l’Education à l’Université de Bourgogne Directeur de l’Institut de Recherche sur L’Education (IREDU)
Liens :
Bruno Suchaut : « Le recours à un organisme indépendant permettrait certainement de lever les doutes
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2009/100[…]
Sur le rapport du HCE
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/09/150[…]
L’analyse de X Pons
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011[…]
Celle de Bruno Racine, président du HCE