« Les recherches ne permettent pas de conclure avec solidité à un effet positif (ou négatif) de la mise en œuvre d’évaluations standardisées des acquis des élèves ». Auteur de « L’évaluation des politiques éducatives », Xavier Pons réagit à la publication du rapport du HCE sur les indicateurs relatifs au niveau des élèves. Pour lui l’initiative du HCE peut améliorer les évaluations nationales.
Le rapport du HCE est très sévère pour les indicateurs de la LOLF et pour les évaluations nationales. Partagez-vous ce jugement ?
Je ne suis pas statisticien ou évaluateur moi-même et je ne saurais me prononcer sur la validité statistique des indicateurs LOLF ou des évaluations nationales en CE1 et CM2, même si je remarque que celles-ci ont suscité leur lot de polémiques. Je ne suis pas surpris en revanche par la tonalité du rapport, dans la lignée de rapports précédents, et conforme au rôle d’alerte critique qu’entend jouer le HCE.
Selon le HCE, le ministère arrive à la fois à produire des indicateurs « trompeurs » et des indicateurs plus sérieux mais inadaptés. Comment a-t-on pu en arriver là ?
Je crois que les principales raisons sont à chercher dans l’absence d’une politique d’évaluation explicite, englobante et cohérente. Divers chantiers ont été ouverts depuis 2005-2006 de manière relativement cloisonnée, sans que l’on mesure toujours leurs implications mutuelles. C’est mis en évidence dans ce rapport, mais aussi dans d’autres et dans des travaux de recherche.
Ce qui me frappe à première lecture, c’est que le HCE tente à la fois de rationaliser l’existant tout en faisant prendre une direction particulière à cette politique : celle du socle et de l’évaluation de compétences (voir la partie 1 du rapport), celle de Pisa (« les indicateurs internationaux […] doivent inspirer les indicateurs nationaux », p.18), celle de la stratégie de Lisbonne (p.24) en clair celle d’une évaluation quantitative. On le voit notamment dès la première page dans les finalités (contrôler l’utilisation et les moyens et mesurer) et les objets assignés à l’évaluation (efficacité et équité). Or jusqu’à présent en France, l’évaluation était restée une notion plutôt floue, aux finalités multiples (efficacité et équité, mais aussi efficience, effectivité, pertinence etc.).
Le HCE souhaite la création d’une agence externe indépendante. Est ce possible au regard du poids de l’État dans un pays comme la France ? Qui pourrait faire cette évaluation ? La DEPP ? L’IG ? L’IREDU ? L’IFE ? Un autre ?
Oui c’est évidemment possible sur le plan institutionnel, il existe déjà des organismes équivalents dans d’autres secteurs d’action publique. Mais nous partons en effet de loin, avec un modèle de production de l’expertise publique fortement concentrée dans les mains des élites administratives et de leur science de l’État. La création d’une agence peut donc constituer une rupture institutionnelle intéressante. Sans être une solution miracle (une telle agence s’appuierait forcément sur les experts existants, elle ne serait pas exempte de tout interventionnisme politique etc.), elle présenterait l’avantage à mes yeux de nous inciter à mieux planifier à moyen terme le développement des évaluations.
Le HCE se place au niveau d’évaluations de pilotage national. N’y a-t-il pas un risque, comme cela existe dans les pays où ces évaluations existent (Etats-Unis, Royaume-Uni), d’avoir une mise en concurrence directe des établissements ? De lier ces évaluations à celle des enseignants ?
Pas forcément, tout dépend des modalités de passation des évaluations et des utilisations qui en sont faites. Une évaluation faite sur échantillon national ne dit rien de tel établissement ou de tel enseignant. Parler d’évaluation, ce n’est pas forcément parler de tous les effets pervers auxquels ont donné lieu les politiques d’évaluation les plus radicales ! Il faut distinguer le mot et les choses !
Le pilotage par l’évaluation est critiqué dans les pays où il existe vraiment. On cite par exemple les fraudes, l’abandon des matières non évaluées. Si la France prenait ce chemin serait-ce un gain d’efficacité ou une impasse ?
Comme souvent en matière d’évaluation, ce qui est critiqué dans les pays que je vois poindre dans votre question, c’est moins le principe même de piloter par l’évaluation que la façon dont ces évaluations sont mises en œuvre et utilisées. Piloter par l’évaluation, ce n’est pas forcément entrer dans une logique de management et de certification de la qualité comme en Angleterre. D’autres politiques sont possibles et font déjà leurs preuves pour certaines (voir par exemple le modèle écossais d’inspection des établissements).
À l’heure actuelle, les recherches ne permettent pas de conclure avec solidité à un effet positif (ou négatif) de la mise en œuvre d’évaluations standardisées des acquis des élèves sur leurs résultats scolaires. Mais cela n’implique pas qu’un plus grand pilotage par l’évaluation n’apporterait pas des éléments positifs en France, comme une plus grande stabilité et une meilleure cohérence dans le temps de la décision politique.
Xavier Pons
Maitres de conférences, Univ. Paris Est Créteil
Auteur de « L’évaluation des politiques éducatives » (PUF 2011)
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