Par François Jarraud
« Le jour où une filière technologique ouvrira dans un grand lycée parisien ce sera une révolution ». Le mot plait décidément bien à Luc Chatel… Il inaugure le 7 septembre la filière technologique STI2D du lycée Louis le Grand, un des établissements les plus prestigieux de Paris. Avec un triple défi pour une filière profondément réformée : la faire admettre à Louis le Grand, échapper au déclin et renouveler les élites scientifiques du pays.
Au terme d’une « rénovation » menée à la hussarde, la filière STI a été rebaptisée à cette rentrée 2011 « STI2D ». Aux 15 spécialités de STI succèdent 4 branches seulement : architecture et construction (AC), énergies et environnement (EE), innovation technologique et éco-conception (ITEC) et systèmes d’information et numérique (SIN). Le changement est de taille. Pour les syndicats, le Snes par exemple, il a eu lieu sans réelle concertation. On est passé des machines à commande numérique aux ordinateurs qui simulent les opérations. Du bleu de travail aux blouses blanches. Les enseignants ont du apprendre un nouveau métier et peut-être franchir une barrière sociale. La filière est en déclin rapide depuis le milieu des années 1990. Elle compte 26 000 jeunes dont moins de 3 000 filles.
« L’arrivée de la filière technologique n’a pas été simple », souffle le proviseur de Louis-le-Grand. « Il a fallu débloquer les mentalités ». C’est que le lycée, créé en 1563, a attendu 2011 pour accueillir cette première filière technologique. C’est même la première fois où deux enseignants peuvent faire cours en même temps à une seule classe… A Louis-le-Grand, la classe de 1ère STI2D compte 20 élèves, soigneusement sélectionnés, et seulement 3 filles. Les locaux sont magnifiques. Chaque élève dispose d’un ordinateur. Ils découvrent la programmation de robots.
Pour Luc Chatel, l’installation à Louis le Grand est une arme pour lutter contre le déclin de la filière. « Si les parents voient qu’à Louis le Grand on est capable d’orienter les élèves vers le technologique et qu’ ils peuvent finir dans une grande école, c’est un message pour les familles ». Pour le renforcer, le ministre a convié des représentants de Schneider et de la puissante Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM). Celui-ci rappelle que l’UIMM a participé à la rédaction des référentiels et soutenu le projet. « L’approche par projet tire les sciences vers les applications. C’est ce qui se passe en entreprise. On n’attendait que cela ». Pourtant le mystère plane sur l’évolution des effectifs. A Paris, il se seraient stabilisés (+1%) affirme le recteur Gérard. Mais qu’en est-il au niveau national ? Luc Chatel ne l’a pas dit.
De nouvelles élites ? « Chaque enfant est différent et nous devons porter vers l’excellence davantage d’enfants », explique Luc Chatel. « On va leur proposer un enseignement basé sur l’expérimentation qui correspond a leur intelligence ». Le ministre est revenu sur son voyage en Finlande, un pays ou l’élite représente, selon PISA, 14% des élèves contre 10% en France. « Voyez le gâchis ! », reprend L Chatel. « Il faut créer des filières différentes vers l’excellence et reconnaitre qu’il n’y a pas de voie unique ». De la même façon qu’il a su faire augmenter la proportion de bacheliers dans une génération avec le développement du professionnel, le ministre parie qu’il poussera le taux de très bons bacheliers. Sur ce terrain là, la classe de Louis le Grand apporte plutôt un démenti. Les élèves viennent de Louis le Grand ou d’autres « bons » lycées. Ils veulent aller en prépa et auraient tous pu faire S. Il y a eu prélèvement de futures S vers la STI2D et non création de nouvelles élites. A Janson de Sailly, autre lycée prestigieux accueillant une filière STI2D, la proviseure semble davantage soucieuse de ce défi sans qu’on sache dans quelle proportion il est relevé.
Attention écrémage. « Je ne suis pas dans l’idée que seules les élites doivent réussir et que hors des lycées d’élite il n’y ait de salut », ironise Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région Ile-de-France en charge des lycées, qui s’est battue contre les fermetures de filières STI dans les lycées de la région. Interrogée par le Café, elle recadre les enjeux de la rénovation de la filière. « Le pays a besoin qu’on développe le nombre d’ingénieurs avec des élèves qui n’auraient pas fait S et qui réussiront en STI ». Sur ce terrain H Zoughebi demande que l’on évalue la réforme. « Le ministre fait de la communication et multiplie les réformes mais il ne les évalue jamais ». L’installation des filières à Louis le Grand et Janson lui fait craindre un écrémage des établissements plus populaires. « Si les meilleurs élèves des lycées de la périphérie qui seraient allés en S dans leur établissement sont attirés par la perspective d’entrer à Louis le Grand ou Janson par la filière STI2D, alors on laissera ensemble les élèves en difficulté dans ces établissements. C’est déjà ce que fait le gouvernement avec les internats d’excellence. Et c’est un vrai souci pour la région qui se fixe comme objectif la réussite de tous et pas seulement celle de l’élite. Il faut valoriser l’enseignement professionnel et technologique et pas simplement faire un tour de passe passe ».
Boboisation ? Le passage de STI vers STI2D n’est pas qu’un changement de programme. Les blouses blanches ont remplacé les bleus de travail dans les programmes. L’ont-elles fait dans les classes ? En élevant le niveau en enseignement général des candidats à la filière, le risque est grand qu’on en change la composition sociale. La filière s’est elle embourgeoisée ou reste-elle une voie de promotion pour les enfants des familles populaires ? La question ne se pose pas à Louis le Grand. Elle reste pendante nationalement. C’est celle de la présidentielle : pour qui travaille le gouvernement ?
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