Par François Jarraud
Pour le conseil régional d’Ile-de-France, la mixité sociale et des genres n’est pas une revendication en l’air. Le 5 septembre, Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Ile-de-France et Henriette Zoughebi, vice-présidente en charge des lycées, vérifiaient sur place l’application de leur politique. C’est l’occasion de nous livrer leur programme de rentrée.
Il y a des établissements qui sont au coeur de ghettos sociaux. Ce lundi cela a commencé fort. Devant la porte, un habitant m’interpelle. Il me prend pour un enseignant du lycée et m’invite à mater les jeunes du lycée avec violence « à coups de pieds au derrière ». Mais une autre surprise m’attend à l’intérieur. Les élus viennent constater qu’enfin il commence à accueillir des élèves de classes sociales différentes et, dans son internat, des filles. Ce lycée ghetto n’est pas en banlieue. Il s’agit d’un des établissements parisiens les plus prestigieux, situé au coeur du quartier le plus chic d e la capitale : le lycée Jean-Baptiste Say.
La mixité une révolution. Lycée municipal, il vient d’être repris par la région qui entreprend sa réhabilitation. Mais qui révolutionne aussi l’établissement en exigeant qu’il accueille des boursiers et des filles. Dans ce lycée très sélectif , qui propose des prépas scientifiques, ces exigences sont un défi. Il faut accepter de ne pas prendre que les meilleurs pour atteindre le quota de boursiers au risque d’atténuer le classement de l’établissement. La question est la même avec les filles, rares en prépas scientifiques. Sous la pression régionale, à cette rentrée, un lycéen des classes préparatoires sur quatre est un boursier et l’internat accueille pas moins de 9 filles sur 55 internes.
Et une fierté. Ces jeunes filles viennent de toute la région et même de toute la France pour étudier à Jean-Baptiste Say. Leur arrivée n’a pas entraîné de frais supplémentaires. Les chambres, claires mais minuscules, sont les mêmes, garçons ou filles. Mais il a fallu une injonction politique pour qu’elle se fasse. Patrick Gérard, recteur de Paris, devait féliciter les enseignants pour avoir relevé ce défi. Il a invité les élèves à profiter des richesses culturelles de la capitale. Jean-Paul Huchon a rappelé que les lycées sont le premier budget de la région. « La mixité sociale est notre fierté » déclare-t-il avec force. La région est bien décidée à continuer son effort en ce sens Avec Henriette Zoughebi, Jean-Paul Huchon a salué le travail des enseignants, « un métier très critiqué à tort ».
La rentrée en Ile-de-France
Quel regard le conseil régional jette-il sur la rentrée en Ile-de-France ? Quel est l’ impact des restrictions budgétaires et des décisions gouvernementales dans les établissements ? Quelles priorités éducatives le conseil met-il en avant ? Henriette Zoughebi fait le point.
L’Association des régions de France (ARF) parle d’une note salée pour les régions à cette rentrée. C’est la même chose en Ile-de-France ?
Pour nous, du point de vue budgétaire les lycées restent une priorité et payer pour les lycées me convient. Mais payer pour la désorganisation c’est plus problématique. C’est ce qui se passe en filière STI avec la réforme faite sans concertation et dont on ne sait pas ce qu’elle va donner. Elle impose des travaux mais aussi de nouveaux matériels. La note est lourde pour nous mais aussi pour les familles. Et cela nous importe aussi. On essaie de la rendre moins lourde avec la gratuité des manuels, le forfait demi-pension et du matériel professionnel gratuit pour les lycéens professionnels.
Il y a quelque chose de très surprenant ici. C’est l’absence de mixité des genres et de mixité sociale avant l’intervention régionale. C’est une caractéristique qu’on attribue plutôt à des établissements de banlieue.
A partir du moment où un lit occupé par un garçon est identique à un lit occupé par une fille, il n’y avait aucune raison que la mixité ne soit pas installée. On rappelle sans cesse aux jeunes qu’ils ont des devoirs. Mais la mixité c’est un droit que le conseil régional veut faire respecter.
Pour la mixité sociale, on est dans une situation extrêmement grave. Avec 25% de boursiers on nous dit que c’est extraordinaire. Mais pour moi 25% de jeunes venu du milieu populaire c’est un minimum. Cette ouverture sociale c’est un enrichissement. Si Sciences Po, si HEC veulent l’ouverture c’est qu’à force de recruter dans l’entre soi il y a un véritable appauvrissement. Les idées nouvelles, la créativité, l’innovation cela vient toujours des marges de la société. La société a besoin des couches populaires. Or ce qu’on peut craindre c’est que les objectifs de Bologne, 80% d’ une tranche d’âge au niveau bac et 50% en enseignement supérieur, ne deviennent un plafond et non un plancher. Or dans la situation de crise que l’on connaît, on a besoin de salariés bien formés. Il ne faudrait pas s’arrêter au socle commun jusqu’à 16 ans mais prolonger la scolarité jusqu’à 18 ans. Cela pour donner à tous le droit à une formation de qualité suffisante.
Pour la région il est très important de ne laisser aucun enfant sur le bas coté de la route. Il faut donc se poser des questions sur l’enseignement pour qu’il n’y ait pas de jeunes qui ne se sentent pas concernés par l’école. Aujourd’hui on a instauré une ségrégation dans les écoles maternelles, puisqu’on ne reçoit pas tous les enfants à partir de 2 ans. Or l’apprentissage du langage c’est essentiel pour aller à l’école.
A cette rentrée, avez vous observé le « désengagement de l’Etat » dont parle l’ARF ?
Oui et c’est très préoccupant. Car on peut faire les plus beaux bâtiments du monde, s’il n’y a pas une vraie considération pour les enseignants, on reste à coté de la plaque. Or la première considération c’est la formation. Comment accepter que ce soit le seul métier où il n’y ait pas de formation spécifique ? Un agrégé peut être très savant. S’i n’est pas préparé au contact avec des jeunes pour qui sa discipline ne fait pas forcément sens ce sera douloureux pour lui et pour les jeunes.
Un autre aspect du désengagement c’est les classes à 34-37 qui sont devenues la norme, comme on vient de le voir dans ce lycée. Ca laisse de coté tous les élèves qui n ‘ont pas de connivence avec la culture scolaire. Les suppressions de postes me laissent un gout très amer aussi parce qu’on peut faire beaucoup d’efforts pour l’équipement technologique, comme nous le faisons avec l’ENT. S’il n’y a pas les professeurs nécessaires, la culture technologique ne sera pas transmise. On a vraiment besoin de changer de braquet dans l’éducation.
Comment cela se passe-t-il justement pour les référents numériques dans les lycées ?
Des référents sans heures payées ça ne sert pas à grand chose ! Quand on a 500 ordinateurs dans un lycée, il faut plus qu’une petite prime. Il faut rémunérer quelqu’un à la hauteur d’un vrai travail pour accompagner le changement. Sur tous ces points on veut que l’éducation redevienne une priorité nationale et cesse d’être le parent pauvre dont on ne parle que pour des coups de communication… Tout le monde en a marre de cette politique.
Il y a encore un point qui me révolte c’est la politique des sanctions. Je suis vraiment révoltée. Je suis une élue de Seine Saint-Denis. Je sais que la question de la violence, qu’elle soit verbale ou physique, a à voir avec la violence subie par les jeunes. Je dis que punir ne suffit pas. Il faut un travail de prévention, écouter les victimes, être capable de détecter les alertes. Il faut une réelle considération pour les questions d’éducation et les problèmes des jeunes, souvent exclus par la société. Sur cette question je me battrai. J’y mettrai toute mon énergie.
Propos recueillis par François Jarraud