Par Lucie Gillet
Villeneuve d’Ascq (59), Deuxième… Ils s’étaient déjà réuni là vingt ans plus tôt. Sans conteste un succès pour ce nouveau rendez-vous. 700 participants. 18 pays représentés et un congrès très « transfrontalier » co-organisé avec les Belges, qui dans le mouvement Freinet n’ont pas de soucis de coopération entre francophones et néerlandophones. 50ème congrès, les chiffres ronds, même si celui là est loin d’être celui d’un anniversaire, sont souvent l’occasion de bilans, de tirer des conclusions … ou de revenir aux fondamentaux. C’est délibérément le parti-pris des organisateurs de ce congrès qui le placent sous le signe de « l’enfant auteur », en recherche de la substantifique moelle de cette expression promue par Célestin Freinet lui-même.
« A work in progress »
Si bien entendu il est question partout et en tous lieux des outils, des techniques, des méthodes ou de procédures en somme, l’ambition est bien de prouver que c’est dans la démarche que réside l’apprentissage. C’est donc aussi le lieu pour réinterroger les pratiques, éviter d’en faire de simples mécaniques, alors le mouvement prend à bras le corps la question de la théorisation, pour ce faire il s’appuie sur les apports de chercheurs, didacticiens, extérieurs au mouvement et s’est doté depuis quelques années d’un laboratoire interne à l’ICEM pour analyser plus finement les processus. C’est en ce sens qu’il nous a semblé que loin de se figer dans un dogme, on assiste, quand on est néophyte, à un bouillonnement de réflexions, de remises en questions. Si des « principes » sont proclamés, si on tente de revenir aux textes de Freinet, ce n’est pas en « gardiens du temple », mais pour constamment reconstruire : le travail est toujours en chantier.
Pendant 4 jours il est question de motivation, de méthode(s) naturelle(s), d’écologie, de prise de pouvoir et de pratiques d’émancipation, d’autorisation, de collaboration, d’échanges, de Sagesse, d’essais, de démarrages, d’évaluations, du corps, d’expression, de problématisation, de création, de laboratoire, de chantier, de scolastique, de résistance, de démocratie, d’apprentissages… Dresser cette liste c’est forcément oublier multitudes d’éléments indescriptibles, sans compter tout ce qu’on n’aura pas su voir, y compris les ratons-laveurs ou les sandales présents aussi.
Aussi il s’agit plutôt ici de faire résonner ou raisonner les bribes saisies ici ou là. Impossible de recréer l’ambiance ni l’intégralité et l’authenticité des propos. Juste une tentative de composer à partir de ces morceaux épars une petite mosaïque, de vous faire effleurer le sujet. Tout lecteur intéressé pourra retrouver sur le site de l’ICEM en temps réel et dans les jours à venir, les contenus des discours d’ouverture, conférences sous formes de textes, de vidéos, comptes-rendus d’ateliers… saluons ici l’énorme travail des rédacteurs du journal du congrès « Ch’ti qui… » et des gestionnaires du site.
Salade composée de conférences
“Motivé, motivé, il faut rester motivé… !”Il faut l’être pour rallier l’amphi F chaque matin dès 8h.45. Là vous assistez à la mise en jambe par les présentations toutes plus iconoclastes ou décalées les unes que les autres des différents groupes départementaux et secteurs de travail de l’ICEM. Un bel exemple de l’intense créativité du mouvement. Mais motivé également pour s’accrocher allez dès… 9h.15 aux contenus des conférenciers. Entre le propos de Nicolas Go intitulé « S’autoriser, pratiques d’émancipation », celui de Bertrand Daunay « L’enfant ou l’élève auteur : approches didactiques », celui Alain Guerrien sur « la motivation autodéterminée » ou encore celui de Meirieu « de l’enfant écrivant à l’enfant écrivain »… quelles passerelles, quels liens (de sandales ) ?
Au centre des débats, la notion d’auteur
C’est à Nicolas Go, docteur en philosophie, et membre de l’ICEM qu’il revient d’ouvrir le bal des conférences le premier jour. Il fait le choix de requalifier l’expression courante « enfant acteur » en « enfant auteur » en expliquant ce qui motive cette transformation. Il entend rendre ainsi au sujet la volonté « à l’origine de » s’impliquer dans ses apprentissages plutôt que de les subir comme objet de la volonté d’un autre. Il rend à l’enfant son pouvoir de créateur, si l’enfant est « à l’origine de », il commence en cela à participer à sa propre émancipation. Nicolas Go parle de conquête à l’instar de Deleuze à propos de Van Gogh qui conquiert la couleur, « l’activité de création : une conquête incessante, un apprentissage absolu ». S’autoriser selon lui permet de retrouver l’authenticité de l’acte d’apprendre.
Alain Guerrien, professeur de psychologie cognitive de l’éducation, constate lui-même en des données objectives combien la motivation est liée à la qualité des apprentissages. Il décline dans ses recherches une typologie des différentes motivations (intrinsèque et extrinsèque) et les principes de leur régulation (identifiée, introjectée…). Il questionne alors différentes pratiques pédagogiques pour chercher lesquelles favorisent la motivation autodéterminée, arguant que c’est celle qui permet des apprentissages les plus favorables sur le plan cognitif du point de vue de l’engagement dans les activités, de la compréhension, du rôle de la mémoire, et du point de vue du bien être. Lorsque la motivation est autodéterminée (qu’elle soit intrinsèque ou extrinsèque mais alors avec une régulation identifiée) chez un sujet pour un objet d’apprentissage, d’une part il s’implique d’autant plus facilement dans l’acte d’apprendre, mais on constate qu’il fixe plus durablement ses acquis. L’importance d’être « à l’origine de » recoupe bien le propos de Nicolas Go.
Philippe Meirieu également fait de la question de l’auteur le centre de son propos : après avoir pris le temps de dénoncer l’impasse du pilotage par les compétences en vogue actuellement, il invite à dépasser l’approche techniciste où l’enfant n’est qu’écrivant pour lui permettre d’accéder à une démarche vraie ou véritable vers un statut d’écrivain. Il parle d’« accompagner l’enfant jusqu’au statut d’auteur » considérant que ce n’est qu’à ce prix qu’ont lieu les apprentissages et non par le biais d’un catalogage de compétences, même s’il fait partie de ceux qui ont salué à l’origine l’introduction de cette notion.
Il est sur ce point rejoint par Bertrand Daunay, didacticien du français, qui a la loupe de l’histoire de sa discipline et de l’enseignement de la littérature, montre combien sont imbriquées, liées voir mises en abyme les questions d’accès à la littérature pour le commun des élèves, et la pratique de l’écriture. Par le détour de l’histoire de l’enseignement de la littérature qui questionne déjà la littérature en tant qu’objet, alors que celle-ci est un objet lui-même fluctuant et mouvant (on assiste dans les années 50 à la « mort de l’auteur ») il montre que parallèlement à l’évolution de cette littérature, la façon de l’enseigner et de considérer l’élève elle-même évolue. C’est bien parce qu’on tue l’auteur en littérature que l’on rend à tous, particulièrement les élèves, le pouvoir de cheminer dans l’écriture pour intérioriser, recréer, apprendre et interroger la Littérature comme discipline.
Autant d’élèves, autant de génies créateurs, autodéterminés ?
Pour autant le propos de ces conférenciers se recroisent pour mettre en garde : il ne s’agit effectivement pas de croire au simple génie spontané.
Nicolas Go emprunte à la psychanalyse et à la sociologie pour rappeler « combien les multiples épisodes de notre histoire s’inscrivent dans notre psychisme, en relation à des forces qui infléchissent notre rapport au monde. En position d’auteur (par la parole, le dessins, l’écriture, la socialisation, etc..), l’enfant mobilise, explore, et transforme favorablement ces déterminations de l’inconscient. […]En position d’auteur l’enfant devient progressivement créateur de lui-même, il élabore une puissance critique et créative, une puissance d’agir et de penser qui contribue à l’émanciper, en partie certes, [des] déterminismes [de sa condition sociale] ». Le principe d’autorisation « ne peut être dissocié d’un second principe, celui de la coopération. ». Nicolas Go indique « L’auteur ne fait pas que se libérer des emprises, des souffrances, des déterminismes fâcheux, il fabrique aussi de nouvelles puissances, de nouvelles possibilités ». Selon lui c’est la rencontre de cette « communauté d’auteurs » qui permet de « devenir ensemble » et qui favorise la création de chacun.
On touche ici à tout ce qu’induit le « milieu », Alain Guerrien le souligne lors d’un atelier qui suit sa conférence : ce qui aide à prendre en charge les besoins psychologiques fondamentaux, besoins qui déterminent la motivation, c’est l’entraide, la culture instaurée dans un milieu coopératif. Encore une fois Nicolas Go et Alain Guerrien font un constat où le groupe a des vertus thérapeutique, où il favorise du « bien être mental » parce qu’il prend en charge chacun et que chaque individu se transforme dans le groupe. Chacun est son thérapeute mais ne peut l’être que dans l’interaction avec le groupe.
A un autre niveau c’est aussi le propos de Bertrand Daunay : c’est parce que la notion d’auteur a été mise à mort collectivement quand on a commencé à entrevoir qu’une œuvre est le produit d’une époque, d’un milieu et qu’elle dépasse, échappe à celui qui l’a générée, influencé qu’il était par de multiples causes, c’est par la puissance du collectif, donc, que chacun a pu être en mesure de conquérir son pouvoir d’être auteur, revivant le processus de cheminement en écriture.
Dans son exposé Philippe Meirieu propose de renouer avec cette grande aventure de l’histoire de l’humanité qu’est la conquête de l’écriture en instituant des situations où on retrouve une approche anthropologique de l’acte d’écrire voir même de l’intention d’écrire. Il structure cette approche autour de 6 entrées :
– le soulagement de la mémoire : les premiers écrits dont nous disposons ne sont ni lettres, ni romans, ni écrits religieux, mais des listes… L’homme a d’abord éprouvé le besoin de libérer son espace mental d’un certain nombres d’actes qui relèvent de la mémoire pour pouvoir s’adonner à d’autres activités mentales. Il a confié une partie de son espace mnésique au papier. L’Écriture c’est le deuxième relèvement anthropologique de l’homme : celui qui permet de confier, à des traces que nous gardons avec nous, une série de consignes, des données que nous n’avons plus à garder en mémoire. C’est une dimension structurante : la mémoire à l’égard de soi.
Nous avons tout intérêt si nous voulons faire entrer les enfants dans cet acte, à les placer dans des situations où ils ont à placer une partie de leur fonctionnement mental. D’où la possibilité même avec de très jeunes enfants de leur faire ressentir le besoin de recourir à des aides-mémoires, des mémos… et ce dès la Petite section.
– un sursis à l’énonciation immédiate : « l’écriture c’est la rature ». Grâce à l’écriture on est libéré de l’obligation immédiate de perfection du dire. L’écrit libère de la peur de se tromper : on peut travailler, on peut perfectionner. Alors que la scolastique fait l’inverse…
Écrire, ce devrait être l’autorisation de se tromper et Meirieu invite à réinstaller l’écrit comme autorisation du tâtonnement. Il fait reférence à la « boîte à bagarres » de Korcack, où l’écrit est vécu comme sursis à l’immédiateté, à la violence, au caprice…
En tant qu’enseignant il incite à utiliser la communication écrite pour éviter de se disperser et d’être vampirisé par le groupe.
– Capacité à s’adresser à un interlocuteur absent. Parler à quelqu’un qu’on ne voit pas, dont on ne voit pas les réactions quand on s’adresse à lui, ce qui peut être un handicap ou facilitant (« je te quitte », « je rentrerai après minuit »). Cette entrée nécessite des capacités d’anticipation ou de décentration. Il faut être capable d’interroger ce qu’on vient de formuler du point de vue de celui qui va le recevoir, on entre là dans la capacité d’une pensée critique. On doit anticiper la possibilité du récepteur de ne pas comprendre, ce qui met le scripteur en situation d’exigence vis-à-vis de lui-même.
– Objectiver une parole et assumer cette objectivation. La trace écrite dure, entrer dans l’écrit c’est entrer dans quelque chose qui va durer au-delà de son énonciation et s’assumer en tant qu’on construit sa propre histoire. Faire explorer par les élèves cette tension structurante
– capacité à transformer les contraintes de la langue en ressources pour la pensée. L’enfant ne doit plus vivre l’orthographe et la grammaire, les contraintes, comme des obstacles mais comme des ressources pour son expression. On doit probablement augmenter la contrainte pour en montrer le caractère fécond (ex le lipogramme). Jouer avec les contraintes pour en éprouver beaucoup de plaisir. « Rechercher des synonymes c’est aussi pour obliger à préciser sa pensée, ce n’est pas juste pour une contrainte d’assonance. »
– « Écrire c’est lutter contre la mort » (Balzac) : nous tentons de survivre à ce que nous sommes à un moment donné. Ce n’est pas une question à fuir, celle du rapport à la mort, les œuvres sont écrites par des gens qui sont morts, ils ne sont plus là, elles nous interpellent, on touche ce qui nous lie à la culture. Offrir des objets culturels permet d’assurer la fonction de reliance entre ce que chacun porte en lui, et ce qui fait que nous sommes un « nous » au-delà de ce qui nous sépare dans nos expériences singulières.
P. Meirieu prendra soin aussi de montrer que pour écrire, il faut se lancer et que là encore l’importance du milieu est déterminante : « le courage de se lancer dans l’écriture n’est pas inné, il s’acquiert… dans du collectif, dans une classe bienveillante… » Il conclue « Le courage des commencements, c’est ce qu’on fait, ici, par contagion… C’est une contagion d’humanité… ».
Le pédagogue, celui qui suit le troupeau tout en le conduisant ?
Nicolas Go, empruntant à l’étymologie revient longuement sur la définition de la pédagogie : dans ce mot « on retrouve le terme grec agein qui signifie d’abord « pousser devant soi »…
Oui mais comment ? En filigrane de ces échanges demeure toujours présente la question de la part du maître, cet organisateur du milieu et les difficultés que l’on rencontre tant que l’on est pas expert (et peut être également quand on l’est).
Pourquoi, ou pour quoi rendre ce pouvoir aux enfants d’être auteurs de leurs apprentissages, est-ce nier la fonction de l’enseignant ? Non puisqu’il est celui qui organise en amont ce climat, cette « pédagogie des situations » décrite par Meirieu, au contraire même il lui faut sans doute mieux que les autres avoir une vision globale, fine des programmes commente-t-ton dans les couloirs de la fac. En atelier sur la motivation, avec Alain Guerrien il est question pour ne pas sacrifier les programmes sur l’autel des besoins fondamentaux des enfants, d’apprendre à prendre les objectifs d’apprentissages par un autre biais en s’appuyant sur les conditions permises par le milieu.
Anne-Marie Jovenet, psychanalyste et membre du laboratoire Théodile qui a poursuivi une recherche de plusieurs années sur l’école de Mons, témoigne sur ce qui fait la spécificité d’enseignants s’engageant sur ce chemin, sont-ils plus extraordinaires que les autres ? Elle conclue son propos : « Les enseignants invités à dire ce qui les habite quand ils mettent en œuvre toutes les facettes de cette relation à l’élève, sont appelés à découvrir quelque chose d’eux-mêmes… Les échanges sont tout autres. Dire à quoi la relation à l’élève se heurte en soi amène à oser exprimer son malaise face à cette contradiction interne, à oser regarder en soi et partager avec d’autres ce sentiment de culpabilité.
La crainte de « mal faire » a changé de statut : elle ne donne plus lieu à réassurance de la part d’un collègue elle suscite une interrogation collective sur le rapport de l’enseignant/adulte à l’élève/enfant. Il ne s’agit plus de relation duelle élève/enseignant ou enseignant/collègue, l’interrogation englobe la communauté pédagogique. Cette parole crée un lien qui met en mouvement les participants du groupe comme responsables les uns des autres. La question « qu’est-ce que ça te fait à toi ? » n’ouvre pas sur une aide individuelle à apporter à un collègue, elle devient source de coopération entre enseignants. »
Si la pédagogie, ou entrer en pédagogie Freinet c’est en éprouver toute la rudesse mais aussi les beautés du chemin, on se permettra ici de cligner de l’œil en citant Avicenne : « Marche avec des sandales jusqu’à ce que la sagesse te procure des souliers. »
Dans la marge étroite : s’indigner et résister
A l’ouverture cependant la sénatrice Marie Blandin (EELV) déplore qu’une collègue africaine, Colette Mengue du Cameroun, n’ait pu rallier Villeneuve d’Ascq à cause des politiques actuelles liées aux visas et d’une application sans doute zélée d’exécutants.
L’occasion de se réunir est aussi le lieu pour ne pas oublier la nécessaire résistance. C’est Christian Rousseau, président de l’ICEM qui posait le cadre dès l’ouverture du congrès en citant C. Freinet :« … Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école, mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent activement ou plus souvent passivement, hélas ! pour l’action militante, et restent dans
leur classe de paisibles conservateurs… ». (Freinet, 1936, L’Éducateur prolétarien).
La table ronde de jeudi réunit des acteurs de la désobéissance, Alain Réfalo, François Le Ménahèze mais aussi Philippe Wain. Pour l’introduire Françoise Salmon rappelle la nécessité de s’indigner et de résister. C’est un « positionnement fort à l’honneur de ceux qui ont le courage de s’afficher. »
Une nouvelle forme de résistance ?
Alain Réfalo présente « pourquoi et comment naissent de nouvelles formes de résistances ? » Il souligne d’abord « qu’il est heureux d’être aux côtés de François Le Ménahèze qui a incarné le positionnement éthique et responsable tout au long de l’année », il exprime ensuite sa solidarité avec Philippe Wain qui subit en ce moment une répression très forte. Enfin il expose en quoi les enseignants en résistance ont contribué à une nouvelle forme de résistance :
Il revient sur le contexte : le pouvoir d’état qui impose à ses administrés des réformes, et les rouages du pouvoir administratif et hiérarchique : « leur force repose sur notre passivité, notre résignation, nos peurs ». C’est selon lui « flagrant qu’on assiste à un autoritarisme de notre hiérarchie. Ils utilisent aujourd’hui tous les moyens de propagande pour dénoncer ces enseignants qui refusent « d’innover » ».
Il faut donc prendre la parole, exprimer ce que beaucoup pensent tout bas et n’osent pas dire. Prendre la parole c’est le meilleur antidote au désarroi et à la déprime de notre profession pour témoigner de l’imposture du discours officiel.
Il argumente : « On nous répond devoir de réserve ; nous répondrons mensonge institutionnel. La loi nous garantit la liberté d’expression. Nous sommes des fonctionnaires d’état, non des agents de propagande de la politique du gouvernement. En prenant la parole nous pouvons poser des questions sur l’éthique de notre métier, c’est faire un pas vers la résistance que de prendre la parole. Avons-nous pour mission d’être douanier, des contrôleurs ou sommes nous des passeurs vers le savoir ? » C’est selon lui le moyen de « demeurer un acteur lucide. ». Mais il évoque également « la peur que nous ressentons : l’Inspecteur est dans notre tête, nous avons peur de désobéir, d’être puni. La peur est le moteur de nos démissions, de nos lâchetés, ce n’est pas un sentiment honteux, mais céder à la peur c’est risquer de fuir à soi-même ».
Il entend montrer qu’il est possible de surmonter ces peurs par le devoir de désobéissance : « à partir du moment où nous sommes convaincus qu’obéir à certaines injonctions, c’est renoncer à nos convictions d’enseignants, qu’obéir c’est être complices d’injustices préjudiciables aux élèves, nous sommes dans un état de nécessité : nous n’avons pas d’autre choix que de désobéir. Affirmer ce devoir c’est reconnaître qu’un fonctionnaire enseignant ne peut être réduit à obéir ou démissionner. Il s’agit simplement d’affirmer qu’un fonctionnaire doit être Homme avant que d’être sujet. ». Alain Réfalo rappelle alors que dans la démarche initiée en novembre 2008, se sont posées les « bases d’un engagement authentique, radical. ». Cet engagement repose sur 3 piliers :
– l’éthique : « l’enseignant désobéisseur n’agit par intérêt corporatiste mais pour défendre le service public d’éducation, être loyal c’est s’efforcer d’être fidèle aux valeurs de l’école publique. » C’est une démarche également ciblée sur le terrain pédagogique parce qu’elle concerne le quotidien de la classe.
« Résister ce n’est pas que prendre des baffes, c’est aussi retrouver la satisfaction de mettre ses actes en accord avec ses idées. »
– la responsabilité : « c’est une résistance qui ne nuit aucunement à nos élèves. Il ne s’agit pas d’une contestation négative qui pénaliserait mais de rendre le travail des enseignants plus bénéfique pour tous les élèves. C’est pour avoir appliqué le préambule des programmes que les enseignants résistants ou désobéisseurs ont été poursuivis. L’irresponsabilité c’est l’application zélée des inspecteurs et des recteurs. » C’est une contestation qui vise à valoriser d’autres projets, d’autres dispositifs.
– La transparence : Cette désobéissance se vit « à visage découvert, elle est assumée au grand jour. L’enseignant désobéisseur agit en reconnaissant sa responsabilité, en assumant les risques éventuels de son action. Il y a toujours eu de la résistance, clandestine, mais là les désobéisseurs ont voulu, en considérant la gravité des attaques, passer à un autre niveau… »
« C’est aussi ce qui a rendu sympathique cette résistance, chacun a compris que ceux qui prenaient des risques répondaient à une situation exceptionnelle. »
Au départ, Alain Réfalo souligne : « Nous pensions que ça allait favoriser un dialogue avec la hiérarchie, beaucoup d’inspecteurs ont couvert les collègues en ne faisant pas remonter les lettres, et d’autres, selon le contexte, ont été obligés de transmettre. Beaucoup d’inspecteurs ont caché ces lettres pour faire croire que les réformes s’appliquaient. Il ne s’agit pas d’une démarche individuelle ou personnelle. Son objectif est d’arriver à construire un mouvement collectif. En ayant conscience que cette désobéissance sera minoritaire. »
Comment prendre en compte la stratégie, le dialogue est alors difficile avec les syndicats. « Dans la démarche de la désobéissance civile, il faut choisir un objectif clair, précis, limité et possible. C’est autre chose que ce qu’on avait l’habitude de faire en faisant grève où on ne gagnait sur rien. Il s’agit d’avoir une prise sur le système, d’avoir une victoire partielle et agir sur un levier. ».
Dans ce conflit il y a trois acteurs : les enseignants désobéisseurs, le pouvoir et le public. « L’objectif n’est pas d’être dans un rapport frontal mais d’agir pour mobiliser l’opinion publique qui fasse, elle, pression sur le pouvoir, d’agir pour un rapport de force. ». Il conclue sur la répression et les sanctions « entrer en désobéissance, c’est prendre le risque d’être sanctionné. Face à cette possibilité de sanctions (le retrait de salaire n’est pas considéré comme une sanction pour l’administration, c’est du service non fait), il y a une caisse de solidarité. C’est un point important dans le rapport de force. Personne n’a cédé face à la répression. Les commissions disciplinaires ont servi à retourner la notoriété à l’avantage du collectif. » Il aime pour finir citer Bernanos : « Il faut beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre »
En ce moment dans l’oeil du cyclone…
A la tribune, une table plus rectangulaire que ronde, la parole revient à Philippe Wain qui tient d’abord à « dénoncer l’imposture de sa présence à la tribune. Sa présence n’est pas due à quelque chose qu’il a fait, mais qu’il a subi. » Pour faire le lien avec le thème général du congrès, ce n’est pas pour un motif dont il est à l’origine, pour quelque chose dont il est l’auteur, que Philippe Wain est amené à s’exprimer mais pour narrer ses déboires avec la hiérarchie. Dans son département, le Loir et Cher, il a « commencé à résister d’abord à Base Elève, son département était pilote, c’était une décision éthique. » Puis il y eut le refus des évaluations nationales. Il précise qu’il « n’a pas écrit de lettre, mais a toujours dit à sa hiérarchie qu’il ne les faisait pas et celle-ci était au courant. » Il enseigne en petite école rurale, classe unique, il est donc « instituteur chargé d’école ». Son inspectrice n’a jamais voulu prononcer le mot « sanction ». mais il a reçu un coup de téléphone chez lui, pendant les vacances, pour lui annoncer que l’inspectrice souhaitait qu’il change d’école, ce à quoi il a répondu qu’il ne le souhaitait pas. Il a également reçu des mails, non signés mais émanant de services de l’inspection, lui disant qu’il fallait qu’il participe au mouvement. Il n’a pas souhaité participer, pouvant témoigner d’excellentes relations avec l’ensemble de la communauté éducative. Son poste a été tout de même proposé au deuxième mouvement alors que lui-même n’avait pas participé. Il reçoit enfin un courrier lui annonçant qu’on lui retirait la fonction de directeur, fonction qu’il n’avait pas puisqu’il est simple « chargé d’école». Jamais on ne lui dit qu’il est retiré de son poste et les décisions sont prises « dans l’intérêt du service… »
Philippe Wain déplore : « On est plus dans un métier humain, on est partie d’un système, on ne tient pas compte que notre métier est un métier de relations avec un milieu : une mairie, des parents…» Il fait alors appel au Tribunal Administratif avec demande de référé suspension, la juge conclut qu’il n’y a aucun préjudice puisqu’il aura un poste à la rentrée, de quoi se plaint-il ?…
« On s’aperçoit qu’au sein d’un même département, les réponses sont différentes, que d’un département à l’autre, idem les réponses peuvent différer ou être décalées dans le temps. Le fait de différencier les réponses données permet à la hiérarchie de différencier les cas. Ce qui rend plus difficile de se mettre en collectif pour répondre. »
Le congrès initie un comité de soutien, sur place Philippe Meirieu acte sa participation à celui-ci et signe une lettre de soutie. On peut retrouver le texte et les informations à propos du comité de soutien sur le site de l’ICEM et toute information à suivre sur le site de Résistance pédagogique.
La résistance, un héritage et le propre des services publics…:
C’est François Le Ménahèze qui clôt en établissant la nécessité de faire le lien avec l’histoire du mouvement et de ses résistances. Il rappelle : « Il y a plein de formes de résistance. Être un enseignant auteur, c’est s’autoriser. Infantilisés par le système nous n’osons plus rien. Autorisons nous à nous appuyer sur des valeurs, sur une éthique professionnelle et responsable, lucide et critique. A mettre en place au quotidien des pratiques en cohérence avec ses valeurs, ses principes. A mettre l’enjeu des savoirs des élèves au cœur de sa pratique. A contribuer à sa propre formation… auto et co-formation. » Selon lui cela aura pour conséquences de « prendre de la distance face aux « conformations institutionnelles », une distance réflexive nécessaire face aux programmes et autres réformes institutionnelles, un travail en équipe pour sortir de l’individualisme. » C’est pour lui la façon de préserver son autorité : « pour faire, refaire, du collectif, du coopératif : constituer des réseaux, résister à plusieurs, constituer des forces d’opposition ; pour intervenir : expliquer, dénoncer, apporter des argumentations (débats citoyens…) ; pour s’auto-organiser, se co-former : contre- animation pédagogiques, mise en place de plans de formation ; pour prendre ses responsabilités : assumer des choix « non conformes » à la demande institutionnelles par le refus ou le détournement ; pour assumer de « nouveaux choix » : organiser des recours, attaquer au TA. » Il souligne enfin que les enseignants son loin d’être isolés dans la résistance et fait le lien avec toutes les résistances de tous les services publics.
Un congrès ce sont aussi des ateliers
Plusieurs plages par jour, quelques occurrences pour les sujets très demandés, beaucoup de choix, mais difficile à faire ! Si sur l’une des plages vous avez choisi une conférence… vous aurez envie de creuser le sujet, pour dépasser le cadre théorique, dans l’atelier corrélé. Et si vous visez « pratiques de terrain », un champs des possibles s’ouvre à vous : de la création musicale, de la pratique artistique ou numérique, la place du corps à l’école, démarrer bien sûr en pédagogie Freinet etc. Il y en a quantités, mais quand bien même, beaucoup sont bondés.
Tâtonnement expérimental en atelier
La rançon du succès rend parfois le fonctionnement « en atelier » difficile. Ainsi un atelier consacré aux productions, créations, à la question de leur accueil pour les transformer en objets d’apprentissage doit ainsi déménager et réinvestir un amphi. C’est déjà une condition qui ne facilite pas pour tous les l’appropriation des tenants et aboutissants sur la question.
Si la volonté est bien d’objectiver les processus qui se jouent en classes Freinet et non d’expliciter point par point une démarche de méthode naturelle transférable à toute discipline, tous les participants ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Certains ont encore besoin de s’approprier des principes, des procédures, quand il s’agit là pour le laboratoire d’observer plus finement ce qu’a permis le dispositif. Le labo prend soin de présenter des supports exemples dans deux domaines bien différents, la création mathématique et les arts visuels, il ne s’agit pas de trouver des points de démarche transférables d’un domaine à l’autre, mais d’observer, comment à partir des productions initiales des enfants, ont interagi le milieu et l’enseignant pour que l’élève chemine dans ses savoirs.
Dans ces ateliers d’analyse, il se joue aussi une question de méthodes : à l’aide de supports (productions d’enfants) ou de vidéos, le moment de pratique est censé illustrer la recherche des praticiens sur leurs procédures, il s’agirait d’observer finement les écueils rencontrés, la place de la part du maître. Mais on est tenté de faire pause sur la vidéo juste pour lire le dispositif ou pour commenter la pratique de chacun et la comparer avec ses propres façons de faire, ce qui est normalement le lieu de d’autres ateliers plus spécifiquement consacrés à ces pratiques. Parfois la frustration de quelques participants s’exprime au sortir. Le mouvement tâtonne, et ne s’en cache d’ailleurs pas, il expérimente aussi de ce fait pour mieux transmettre ses acquis.
Parmi les quelques ateliers visités (mais nous ne saurions avoir tout vu!) un nous a semblé bien réussir ce pari, il s’agit de celui intitulé « Démocratie participative à la maternelle ». Au début de l’atelier, l’une des animatrices prend soin de récolter les « représentations initiales » qu’évoque ce terme de « démocratie participative » auprès des personnes présentes. Une liste de mots est établie. Le secteur maternelle avait joué le jeu dans son coin auparavant et on recoupe les expressions citées. Les animatrices de l’atelier proposent alors de s’appuyer sur le DVD Pratiques Freinet en maternelle, pour retrouver dans quels « moments » et dans quels dispositifs on essaie de mettre en place ces principes démocratiques. S’il est par exemple question du moment « conseil » il n’est pas proposé aux participant-e-s de visionner l’intégralité d’un conseil en classe Freinet (où l’on serait alors tenté de lire le contenu des discussions par exemple) mais juste sa mise en place et de voir en quoi celle-ci va favoriser cette démocratie. Et l’on compare avec un autre dispositif, et l’on dose selon l’âge des enfants. Ce ne sont que quelques secondes de vidéo qui sont proposées et qui alternent avec l’analyse. Bien sûr la tentation est grande dans la salle de questionner les praticiennes sur leur façon de « régler » tel ou tel sujet, mais comme le dispositif de l’atelier lui-même est bien balisé, les animatrices arrivent toujours à recadrer sur le processus plus que les procédures. Jean Le Gal, spécialiste des droits de l’enfant, ponctue lui ses remarques ça et là pour clarifier les objets du débat, il importe ainsi de savoir de quoi on parle : dans une classe un métier n’est pas un service, ni une responsabilité, par exemple.
Du peu que nous avons pu observer ce fut une bien belle mise en pratique !
Les liens :
Toutes les conférences sur le site d el’ICEM
Sur le café, à propos de l’école de Mons
Texte de soutien à Philippe Wain adopté par le congrès ICEM
Soutien à P. Wain sur Résistance Pédagogique avec campagne de signatures
Tous les comptes-rendus d’ateliers sur le site de l’ICEM