Par Monique Royer
Pour le dernier volet de notre série « rêveurs d’école », nous avons rencontré Patrick Mpondo-Dicka, maître de conférences au Laboratoire de Recherche en Audiovisuel (LARA) de l’Université de Toulouse Le Mirail et vice-président de culture numérique, l’association organisatrice du colloque scientifique de Ludovia. Nous avions remarqué lors de l’édition précédente son rôle de passeur entre deux univers complémentaires mais dont les entrelacs sont trop pâles dans le domaine des Tice : le monde de la recherche et celui de la pratique.
Ludovia : un terrain de rencontres
Organisateur du colloque scientifique, Patrick Mpondo-Dicka est sémiologue. Il s’intéresse au langage et à toutes les formes d’expression du sens spécialement dans le domaine de l’audiovisuel, du multimédia, du numérique. Son parcours professionnel nourri d’éducation populaire, de pionnicat et d’études universitaires lui offre un point de vue ouvert et une posture privilégiée pour favoriser le dialogue entre des acteurs différents autour des technologies de l’information et de leurs usages. Ce parcours dessine à lui seul une des ambitions de Ludovia : effacer les frontières dans un milieu de l’éducation trop cloisonnée.
L’édition de Ludovia qui s’ouvre aujourd’hui à Ax les Thermes en Ariège traitera cette année le thème « mobilité et ouverture », un thème à priori propice aux échanges. Comme à l’accoutumée le croisement des regards parfois distants, de temps à autres éloignés, des enseignants, des chercheurs, des industriels et des institutionnels seront rassemblés dans un même lieu, autour d’un même objet.
Ludovia favorise la rencontre des acteurs, le colloque scientifique également. Pour les enseignants chercheurs, il est difficile aussi de trouver des lieux et des temps où croiser les approches. La pression de la publication charge les agendas et rendent les rencontres de ce type, chronophages ; difficiles. Ludovia constitue un rendez-vous régulier à partir duquel un pool de fidèles se constitue, qui se retrouve lors d’autres rencontres plus ponctuelles.
Du côté du colloque
Les scientifiques présents viennent de différentes disciplines. Les chercheurs des sciences de l’ingénieur sont de moins en moins présents, le champ proposé par le colloque s’ouvrant de plus en plus vers la dimension sociétale en s’intéressant à l’intégration sociale des technologies. Les sciences de l’information et de la communication, les disciplines artistiques, les sciences du langage, surtout la sémiotique, sont en revanche de plus en plus présentes. La question des nouvelles technologies reste en recherche assez marginale dans les différentes disciplines qu’elle investit. L’équivalent des « media studies » américain n’existe pas en France où l’entrée disciplinaire est encore très marquée. Les restrictions budgétaires tendent à accentuer un mouvement de repli vers le cœur des disciplines laissant peu de place à une approche transversale
Le programme du colloque scientifique a été rédigé de façon communautaire avec les scientifiques présents au colloque précédent. L’éclairage scientifique permet de s’éloigner de l’usage émotionnel du terme « mobilité » pour donner une profondeur au concept. Les différents usages de la mobilité seront ensuite déclinés : jeux, logiciels éducatifs, géolocalisation, réseaux sociaux, pratiques culturelles, évolutions du webdesign. La partie « usages pédagogiques » sera abordée mais la réflexion sur la mobilité ne peut se limiter à cette entrée, riche des apports de scientifiques issus de différents horizons. En observant les pratiques des enseignants tout en ouvrant le champ de la recherche aux usages du quotidien, les scientifiques voient se dessiner des usages pédagogiques sur un avenir un moyen terme.. Deux points de vue sont proposés : celui du récepteur complètement centré sur les usages et celui du monde de la production où il s’agit d’analyser les applications selon le dispositif.
Du côté des enseignants
Pour Patrick Mpondo Dicka, la rencontre entre les acteurs n’est pas si aisée. Certes, le thème est commun entre l’Université d’Eté et le colloque scientifique mais la disponibilité des uns et des autres est relative. Les institutionnels ont un programme dense avec un temps compté, ils ne fréquentent guère le colloque scientifique. Les industriels, rivés à leur stand, manifestent cependant leur intérêt, en lien avec la nécessaire recherche et développement. Seuls les enseignants naviguent aisément d’un monde à l’autre. Certains viennent assister à des présentations du colloque scientifique. Ce sont les tables rondes qui constituent le véritable carrefour des points de vue en conviant des représentants des différents acteurs de l’école : enseignants, chercheurs, institutionnels et industriels. Et puis, les temps conviviaux favorisés par le lieu permettent d’échanger, modulant ainsi le constat d’un croisement des regards souhaitable mais difficile. « L’idée est que c’est par la bande, la vie du colloque, le Off que se font les grands échanges ».
Patrick Mpondo-Dicka regrette que les enseignants ne soient pas plus nombreux à Ludovia pour tisser des liens plus forts dans une perspective de recherche appliquée. Inciter les enseignants à venir passe par une meilleure exposition mais surtout par une solution institutionnelle en considérant l’Université d’Eté comme une formation continue par exemple. Cette solution est facile à mettre en œuvre à condition que la formation continue des enseignants soit une priorité. L’état se désengage, les besoins demeurent. Les formations sont souvent utilitaires, ciblent les usages immédiats. Pourtant, pour que les usages se développent, il est préférable de ne pas être tributaire de l’outil et développer un état d’esprit favorable plutôt que de viser l’utilité immédiate. La rencontre entre chercheurs et praticiens n’a jamais été aussi souhaitable pour outiller les pratiques par une recherche appliquée développée. L’impulsion politique est nécessaire comme elle est pour investir fortement la dimension technologique des usages. En France, on est très loin des programmes américains, coréens voire turcs qui équipent les écoles en tablettes numériques.
Ludovia s’affiche comme une parenthèse, un temps suspendu entre vacances et retour dans les établissements où la réflexion et l’échange sont favorisés par l’atmosphère conviviale d’un séjour pyrénéen. Pour Patrick Mpondo-Dicka la parenthèse s’ouvrira vers des horizons nouveaux, ceux des sciences de l’information et de la communication. Les Tice peinent à trouver leur place de l’école à l’Université. Patrick Mpondo-Dicka continue à leur offrir dans son parcours un éclairage multiple qui mêle la pratique d’enseignant et une approche scientifique transversale.
Rencontre à Ludovia 2010
http://cafepedagogique.net/communautes/Ludovia2010/Lists/Billets/Post.aspx?ID=18
Ludovia 2011