Par Monique Royer
Pour suivre l’actualité des Tice, le Café aurait pu cette année mettre ses pas dans les traces de ceux de Laurence Juin. Pionnière dans l’utilisation de Twitter en classe, elle a porté l’écho de son expérimentation à Cape Town, à Moscou, au Nouveau Brunswick dans le Jura ; à Ax les Thermes et en Belgique. De retour de Seattle, elle revient sur ce parcours aussi imprévu que l’émergence des réseaux sociaux.
De La Rochelle à Seattle
Laurence Juin est enseignante en histoire-géographie et français au lycée professionnel Pierre Doriole de La Rochelle. L’idée lui a paru au départ évidente : utiliser Twitter en cours pourrait favoriser à la fois l’expression écrite et l’ouverture au monde. Son idée était pourtant nouvelle dans le paysage pédagogique français. Deux ans après, elle s’étonne toujours de ce terrain vierge et qualifie de hasard sa perspicacité à l’investir. En entreprenant d’utiliser Twitter avec ses élèves ; elle était persuadée que d’autres profs français l’avaient fait auparavant. Or, ils étaient rares voire extrêmement rares. Pour Laurence « l’usage des Tice est très rarement une politique d’établissement, plus une pratique volontaire d’enseignants qui sont souvent isolés dans leurs établissement ». Du coup lorsqu’une initiative est repérée, elle fait vite boule de neige. Cette année, avec l’initiative « tweetfemmes », elle a pris une envergure encore plus importante. Les élèves de 1ère Bac Pro Compta ont correspondu avec des femmes qui twittent de façon ouverte, en utilisant Twitter. De cette correspondance sont nés des portraits et des contes publiés en ligne. Les élèves et les tweetfemmes ont en outre partagé le sentiment de vivre une expérience nouvelle et très dense.
L’écho largement positif reçu sur son travail l’a poussée à postuler pour participer au premier PIL (Partners in Learning) Institute, session de formation et de réflexion autour des Tice organisée par Microsoft. Elle a été retenue pour faire le voyage à Seattle en compagnie d’une cinquantaine d’enseignants venus de tous les continents. Elle a retrouvé là bas quelques têtes connues, porteurs de projets présents aux forums des enseignants innovants de Cape Town ou de Moscou, mais aucun francophone. Le premier effet de ce voyage a donc été une immersion totale où le recours à l’anglais était permanent sans que Laurence ait eu le sentiment que ses bagages en ce domaine aient été suffisamment préparés. D’autant que le principe de la semaine était de fournir des éléments conceptuels et techniques sur l’école du XXIe siècle puis de réunir les enseignants par groupe pour produire des séquences et échanger sur leurs innovations. Comme tous les enseignants présents, Laurence a eu 2 minutes pour présenter l’initiative qui lui a valu d’être présente, son utilisation de Twitter en classe.
Des rencontres et des idées
Le voyage et les échanges comme sources d’apprentissages : l’enseignante rochelaise a perfectionné son anglais mais pas seulement. « Les enseignants français ont peu l’occasion de se former à l’utilisation d’outils de base, on nous a montré différents outils que nous avons utilisé pour préparer des séquences pédagogiques en groupe » nous dit Laurence De ces présentations, elle a tiré des idées pour améliorer ses usages des Tice. En géographie, elle souhaite utiliser la géolocalisation associée à un moteur de recherche et proposer des outils plus simples pour les travaux autour de la photo et de la vidéo Elle a commencé à explorer les potentialités des QR codes. Le nouveau programme de français en terminale professionnelle lui laisse toute l’opportunité d’innover. Elle songe à créer une base de documents et de ressources pour faciliter la mémorisation des œuvres lues. Pour préparer l’avenir, elle pense à la conception de portfolios individuels gardant la trace des travaux des élèves pour garnir leur CV. Des idées, elle en a pioché aussi dans les interventions des conférenciers du Innovative Teaching and Learning Research en particulier sur le travail par compétences. Tout au long de la semaine, elle s’est approprié une grille permettant de déterminer la posture accordée à l’élève, son degré d’autonomie dans le cadre de l’approche par compétences.
Des idées ont également émergé des travaux collaboratifs que Laurence a réalisés en compagnie d’enseignants ukrainien, espagnol, belge et mauricien. Ensemble, ils ont visité le musée des Arts Asiatiques et imaginé une production pédagogique sous forme de visite virtuelle. Ce travail a été le prétexte à de nombreux échanges sur les Tice et plus largement le contexte éducatif de chacun. Laurence a constaté encore une fois les différences et les convergences existant à travers le monde lorsqu’il s’agit d’éducation. Les réactions à sa présentation sur Twitter ont été très significatives. Les américains l’ont trouvée peu innovante, l’usage des réseaux sociaux étant rentré dans les mœurs outre atlantique. Les européens au contraire ont été séduits par son caractère innovant : la plupart ont une idée très vague des potentialités de Twitter. Pour les enseignants des pays du Sud, l’initiative est bien loin de leur préoccupation principale, celle d’équiper leur classe d’ordinateurs et d’accéder à l’Internet. Laurence quant à elle décernerait la palme de l’innovation technolologique aux pays asiatiques, Hong Kong en tête, avec l’intégration des mondes virtuels dans la pédagogie. D’autres initiatives plus modestes l’ont séduite comme celle d’un enseignant belge qui explore les potentialités de powerpoint de façon décapante. Elle a apprécié aussi le projet mauricien proposant un travail collaboratif avec des pays africains.
Sur l’autre rive de l’Atlantique
De Seattle comme de tous ses périples, Laurence est repartie pleine d’énergie et la besace remplie d’idées à appliquer et à partager. Loin d’être blasée, elle s’émerveille encore de ce qui lui arrive « En admirant la baie de Seattle, je me suis dit que je vivais une histoire incroyable. Il ya deux ans, je n’aurais jamais imaginé que je vivrai tout cela. Je suis professeur de lycée professionnel, je n’ai pas de plan de carrière, et on me propose tout un tas d’opportunités aussi différentes et intéressantes que le Pil Institute et Ludovia. ». Elle n’est pas dupe du caractère commercial de l’initiative de Microsoft. « Si on nous a invités, c’est aussi pour que nous utilisions et incitions nos collègues à utiliser les outils Microsoft mais de telles initiatives, même en France, ce sont de plus en plus des entreprises privées qui les proposent ». La gosse tête, Laurence est encore loin de l’attraper. Elle utilise une recette éprouvée : la prise de recul. Elle raconte depuis le départ et sans détours son expérience dans un blog, partageant ses doutes et ses découvertes, se plaçant dans une démarche d’expérimentation qui admet l’échec, sous le regard des autres. Sa twitt pédagogie a fait école, essaimant des twittclasses en France et dans les francophonies, reliées entre elles par les réseaux sociaux.
Ses notes américaines publiées, Laurence referme son ordinateur et rejoint sa vie quotidienne au bord de l’Océan, sa famille, ses amis, là où elle prend le recul nécessaire pour poser un regard modeste sur deux années marquées du sceau de l’imprévu.
Le blog de Laurence Juin
http://maonziemeannee.wordpress.com/
Le compte-rendu de Laurence Juin à son retour de Seattle avec des liens à explorer
Le projet Tweetfemmes
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/05/Rencontresaucoindutweet.aspx