Par Françoise Solliec
Comment assurer la réussite de tous les élèves ? La ségrégation scolaire décalque-t-elle la ségrégation sociale ? Peut-on peser sur les stratégies des familles pour assurer plus de mixité à l’école ? La sociologue Agnès van Zanten ne prétend pas donner des réponses à ces questions fort complexes, mais offrir des pistes de réflexion.
Fidèle à son souhait de davantage travailler avec les chercheurs sur tous les problèmes liés à la réussite scolaire et à la mixité sociale, Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région Ile-de-France chargée des lycées, avait convié la sociologue Agnès van Zanten à éclairer le débat lors de la réunion de lancement de la révision du PPI (programme pluriannuel d’investissement) en 2012.
Les récentes études sur la réussite des élèves français montrent que l’écart s’accroît entre une élite qui se maintient et les autres élèves, notamment les plus socialement défavorisés, affirme Agnès van Zanten. Pourtant beaucoup a été fait après guerre pour assurer une meilleure réussite de tous les élèves et les taux d’accès au lycée et au baccalauréat le prouvent. Mais, en f ait, les établissements, quoique globalement homogènes, fonctionnent de manière très différente et la réussite scolaire de tous pose un problème très complexe qui ne peut être résolu avec une simple réponse structurelle, même massive
Abordant le sujet de la réussite par le biais de la ségrégation scolaire, la sociologue note en premier lieu la concentration spatiale des « bonnes classes » (beaucoup de filles, peu de garçons issus de l’immigration, élèves de condition sociale plutôt favorisée), qui ne cesse d’augmenter. Mais déclare-t-elle, la ségrégation scolaire ne calque pas tout à fait la ségrégation sociale. Le découpage des zones joue, ainsi que les stratégies des familles (sur 167 familles interrogées, les ¾ déclarent choisir leur lieu de résidence en fonction des établissements scolaires). Les familles qui, pour des raisons diverses, restent dans des quartiers plutôt évités par d’autres ont aussi des stratégies, vertueuses (s’impliquer dans l’école pour l’améliorer) ou non (demander des classes de niveau). Pourtant, pour Agnès van Zanten, la ségrégation entre les classes est un phénomène très préoccupant.
Par ailleurs, les établissements mettent en place des stratégies concurrentielles, avec des moyens très inégaux. Certains établissements, « les rentiers » n’ont rien à faire sinon ivre sur leur réputation. Les établissements privés ont la possibilité de choisir leurs élèves. Quant aux autres, ils jouent sur l’offre de formation et essaient de maintenir de bonnes classes en offrant des parcours protégés. Mais, affirme Agnès van Zanten, ces classes spécifiques peuvent avoir des effets pervers importants.
Dans les bilans réalisés sur l’assouplissement de la carte scolaire, on constate que les élèves boursiers ont été assez peu bénéficiaires, sans doute par manque d’information des familles. Cette mesure a bien davantage profité aux enfants des familles de classe moyenne, mais les établissements des zones difficiles ont vu fuir leur tête de classe. En fait, en France, il y a peu de diversité de l’offre de formation, mais celle-ci est très hiérarchisée selon les établissements.
Le lien est très fort entre offre de formation et ségrégation sociale, remarque Agnès van Zanten. Les enseignants adaptent leurs méthodes d’enseignement selon ce qu’ils pensent des élèves. Ainsi, les exigences sont moins fortes dans les zones défavorisées, on privilégie l’oral, on adapte les notations (indulgentes) et l’orientation (sévère) alors que dans d’autres établissements, on pratique une notation sévère et une orientation indulgente. L’enfant qui aura fréquenté un établissement du premier genre sera doublement pénalisé, à la fois par sa condition sociale et son appartenance à l’établissement.
Il y a pourtant des réponses individuelles, conclut Agnès van Zanten. Les dotations peuvent être un levier, des actions incitatives aussi, qu’il faut cependant suivre avec beaucoup d’attention pour voir comment elles sont menées sur le terrain. L’école n’est plus dans une situation où elle peut s’attendre à une confiance absolue des familles et des élèves. Elle doit être plus transparente, davantage dans la concertation et le dialogue avec des parents qui, sinon, la fuiront.