Par Jeanne-Claire Fumet
« L’enseignement des arts plastiques ne peut pas se limiter à la transmission de savoirs théoriques. Il faut les faire vivre dans une pratique active », affirme Jean-Baptiste Prévot, professeur d’histoire géographie au Collège Anceau de Garlande à Roissy-en-Brie (77). Pas question pour lui de se résigner à la mort programmée des enseignements des pratiques artistiques au collège, entraînée par l’augmentation des horaires consacrés à l’étude de l’histoire des arts, confiée principalement aux professeurs d’histoire géographie, et qui semble mieux accordée aux exigences d’évaluation du système éducatif. Avec son collègue Frédéric Mathevet, professeur d’arts plastiques, ils ont élaboré un projet de diffusion radiophonique d’œuvres réalisées par des élèves de classe de 4ème, intégrant une contrainte sonore dans toutes leurs productions. Un travail de recherche expérimentale, présenté au Forum des enseignants innovants, qui met en évidence les ressources inventives de collégiens, mais qui illustre aussi l’importance de la pratique dans la construction des compétences intellectuelles dans la connaissance des arts et leur appréciation critique.
Instiller des concepts. Les deux enseignants ne manquent pas d’arguments : l’un, Frédéric Mathevet, docteur en arts plastiques, travaille en lien avec l’IDEAT, unité de recherche du CNRS rattachée à l’APSEA, laboratoire de recherche en esthétique, musique, musicologie, histoire et sciences de l’art. Il s’attache à déterminer les concepts pragmatiques capables de saisir et d’identifier les éléments labiles de la création artistique, pour constituer le support méthodologique de la démarche. L’autre, Jean-Baptiste Prévot, animateur sur Radio Campus Paris (93,9 F.M), ouvre aux élèves les ondes de son émission mensuelle et guide leur réflexion en leur « instillant des concepts des sciences sociales, en particulier dans l’analyse de l’art contemporain » mais avec assez de finesse pour que les termes dogmatiques disparaissent derrière l’expression des idées.
Ce cadre posé, que font les élèves ? Frédéric Mathevet définit la démarche en trois moments : expérimentation et retour réflexif sur un problème plastique, réalisation et analyse critique de ce qui est produit, restitution et diffusion radiophonique pour éprouver la réaction du public, pour ceux qui le souhaitent. La recherche, d’abord, c’est le tâtonnement vers l’ébauche d’une réponse à un problème proposé, jamais vraiment complète ni achevée ; des dessins crayonnés, des peintures, avec des onomatopées ou des phrases qui essaient d’en dire plus sur l’intention qui se cherche. La réalisation, c’est le risque de matérialiser une idée encore incertaine dans des matières sonores ou visuelles, à inventer sans s’appuyer sur l’acquis de techniques éprouvées – faire de la musique avec des touches de piano en jouant seulement sur les degrés d’intensité, des tonalités de paroles, des répétitions de mots ; élaborer des installations, tourner des vidéos, intégrer toujours la dimension sonore, peut-être la plus difficile à extérioriser. La diffusion publique lors de l’émission de radio mensuelle sur Radio campus paris, c’est l’épreuve grandeur nature d’une réception publique dans des conditions aléatoires, jamais assurées, et de jugements en retour qui ne sont pas sans poids quand on investit de son imagination et de sa voix dans une production expérimentale.
Une exploration du sens. L’intérêt pédagogique de la démarche dépasse largement celui d’une pratique de loisir et de divertissement ; appelés à s’emparer de questions essentielles du point de vue du sens (« Les sons et les images qui nous entourent sont-ils innocents ? ») et à travailler concrètement la représentation de problèmes qui imprègnent la vie humaine (« composer avec l ‘éphémère »), les collégiens sont placés en situation de penser le monde dans sa complexité au-delà des apparences habituelles. La matière plastique leur offre un support intuitif et singulier pour se jouer des idées d’un point de vue esthétique quand les concepts abstraits qui leur correspondent les mettraient en échec par leur aridité. Réfléchissant par des images, ils échappent aux lieux communs sans s’égarer dans le piège de phrases sans intuition. Mieux qu’un entraînement à la réflexion philosophique, c’est un essai sensible implicite de l’attitude de pensée qu’elle requiert.
Vivre l’expérience de l’art. La démarche des deux enseignants est exigeante et complexe ; elle montre que l’enseignement pratique des arts plastiques peut prendre la valeur d’une traversée vivante de l’aventure artistique, sans prétention à faire date dans l’histoire des arts, mais pour approcher au plus près la dimension anthropologique de ce que peut signifier l’acte de création dans la culture humaine. C’est peut-être la condition pour amener les élèves à connaître et comprendre sans préjugés et avec intelligence critique les domaines des arts dans leur diversité.
Liens :
Le site d’Artssoniques :
http://artssoniques.over-blog.com/
Le blog du Forum et la présentation du projet :