A quelles conditions retrouver le sens de l’éducation prioritaire dans le contexte actuel ?
Mettre le paquet sur le premier degré ? « On est en train de nous scier la branche de la pédagogie »
Jean Riou, animateur de l’atelier, cite ses souvenirs du commencement des ZEP de Seine-Saint-Denis : « C’est d’abord dans le primaire que les ZEP se sont mises en place, dans des territoires identifiés, où les instituteurs ont commencé à travailler avec certains de leurs collègues de sixième, ont construit des projets autour du sport, des musées, des théâtres, mais ont aussi cherché de nouvelles relations avec les parents, autour de débats réflexifs avec tous les acteurs du territoire. Les mouvements pédagogiques comme l’OCCE, le GFEN, les Francas, l’USEP, étaient des vecteurs structurants de ce mouvement ». Il a l’impression qu’actuellement, l’école se trouve partagée entre deux modèles : la coopération ou la valorisation des élèves méritants, dans un contexte effarant de développement de la grande pauvreté.
Que signifierait, pour lui, mettre le paquet sur le premier degré ? « Sans doute commencer par l’école maternelle, premier maillon qui va commencer à « faire travailler le cerveau des jeunes enfants ». La question des savoirs doit rester centrale dans le travail de l’école ».
« C’est désormais un fait établi que les moyens donnés à l’école sont moins importants que dans les autres pays européens. Maîtres supplémentaires et assistants d’éducation contribuent d’évidence à développer le potentiel d’action pédagogique précoce sans avoir à le faire hors du temps scolaire » reprend Claire Kepper. « Rappelons l’enjeu de la scolarisation précoce » reprend J.-C. Emin. « La grosse difficulté liée à la pratique de la langue scolaire du fait du manque de mixité sociale. On se sent souvent désemparé pour maintenir une exigence lexicale, explique une enseignante de RASED, d’autant plus que la pression évaluative ne fait pas percevoir l’Ecole positivement aux élèves qui ont besoin de ses ressources ».
« Je trouve que les dispositifs de réussite éducative ont eu le mérite de recentrer l’Ecole vers ses missions d’enseignement, explique une coordonnatrice ZEP. Mais j’ai souvent constaté que les moyens supplémentaires ne permettaient pas spontanément des réorganisations efficaces, si l’appui des mouvements pédagogiques et de la formation continue disparaît ». « C’est le cœur du problème », ajoute une participante.
Une directrice en RAR se dit « impressionnée par les modifications de discours autour des programmes de 2008, l’appel de la hiérarchie à la conformité, voire à travailler pour les bons élèves, qui font des ravages sur les pratiques : relégation de l’aide à la périphérie scolaire, suppression des coins-jeux, apprentissages trop précoces qui renforcent les conflits entre enfants ou les refus scolaires. Fiches, feuilles de papier et exercices fleurissent. On se déconnecte de l’histoire de l’éducation, les enseignants succombent à la pression et ne s’autorisent plus de penser ensemble les temps des apprentissages. Où en est la richesse d’innovation de la maternelle ? »
« Ce que mes collègues craignent, c’est la suppression des maîtres surnuméraires qui aident à faire du lien, à former les jeunes, à travailler en cycle… S’ils sont supprimés, les collègues chevronnés auront le sentiment d’être abandonnés et quitteront la ZEP » poursuit Patricia, coordinatrice ZEP.
Luce Desseau, du SNUipp, rappelle le rapport jamais publié d’Anne Armand qui pointait la nécessité de faire toute sa place au premier degré, de ne pas déléguer aux seuls métiers intermédiaires (coordonnateurs, IEN, chefs d’établissements) la construction des projets de l’Education Prioritaire. Le projet des « établissements du socle commun » lui semble être une mauvaise réponse aux carences de liaison entre premier et second degré, elle préfère revendiquer la mise en place de collectifs de travail dans les établissements pour pouvoir penser collectivement.
« Notre entrée n’est pas les dispositifs, mais les contenus » rassemble Marc Douaire pour l’OZP. Quand j’étais directeur d’école, on avait pu faire des écoles de cycle sans que je sois fonctionnaire d’autorité. C’est pourquoi il faut travailler sur le cœur de la classe et des dispositifs d’apprentissage. Nous avons l’expérience récente d’une réunion d’enseignants référents qui nous ont montré qu’ils avaient construit des compétences croisées, expertes et très riches, entre enseignants de l’école et au collège, qui montraient les potentiels de transformations professionnelles. »