Par François Jarraud
Le numérique : quelle École? quels enjeux? Mercredi 18 mai, le Sgen Cfdt organise, en partenariat avec le Café pédagogique et le Crap, un colloque national sur le numérique pour changer l’Ecole. Toute une journée pour écouter des spécialistes, et surtout réfléchir collectivement sur les modifications apportée au travail enseignant et sur la transformation de l’Ecole. A la veille du colloque, Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen Cfdt, nous explique pourquoi son syndicat a choisi ce thème de réflexion. « Dans notre volonté de transformer le système éducatif pour la réussite de tous, le numérique peut être un outil », nous dit-il. Il ajoute : « mais le numérique ne dispense pas des choix à faire sur les politiques éducatives et sur le pilotage de l’institution et de ses personnels »…
Ce n’est pas fréquent qu’un syndicat débatte du numérique. Quels en sont les enjeux pour vous ?
Ils sont multiples : le numérique impacte les conditions de travail des personnels : le cahier de texte numérique, les ENT, les enquêtes, les statistiques exigées des établissements se développent, exigent une immédiateté qui est en décalage avec le fonctionnement du système basé sur la temporalité et sur la mission principale qui est d ‘éduquer et d’enseigner et pas de communiquer. C’est d’autant plus marquant que pour l’instant, le numérique se rajoute à l’existant.
De plus, en réduisant la frontière entre le « huis-clos de la classe » et l’institution, entre la sphère publique et la sphère privée, il interroge sur les droits des personnels et la construction des savoirs. Alors que le web2.0 privilégie l’interaction, les modalités d’organisation du système éducatif, conçu verticalement, ne sont plus adaptées. La question de l’évaluation des personnels est également posée dans l’élaboration collective de séquence d’apprentissages.
Bref le numérique bouscule le mode d’organisation du système éducatif et il y a lieu, pour une organisation syndicale, de définir les garanties de respect des droits des personnels comme les espaces de dialogue social nécessaire. Dans le même ordre d’idée, le numérique est également, voire d’abord un enjeu pédagogique. Sur ce point essentiel, il interroge la place de l’enseignant dans l’acte éducatif : de l’estrade et du tableau, fut il interactif, le numérique permet à l’enseignant de se déplacer vers l’accompagnement pédagogique éducatif. Dans notre volonté de transformer le système éducatif pour la réussite de tous, le numérique peut être un outil qui peut favoriser les pédagogies différenciées et individualisées.
Dans les changements importants à venir il y a la généralisation des ENT. Comment le Sgen va-t-il les accueillir ?
Les ENT sont des outils qui méritent d’être conçus pour les utilisateurs, avec leur contribution. Or, les expériences montrent surtout des difficultés : la question matérielle, notamment celle du débit n’est pas encore réglée partout. Mais surtout, les systèmes ont été conçus comme fermés et adaptés à la structuration classique : un prof une classe. C’est un dispositif piloté par le haut, imposé, alors que la réflexion du conseil pédagogique devrait être essentielle quant à son utilisation. Ce sera le sens de nos interventions : Les ENT, parce qu’ils induisent des pratiques pédagogiques et modifient les conditions de travail des personnels, devraient relever du dialogue social.
D’une certaine façon le numérique ne remet-il pas en question le cadre national de l’éducation nationale ?
Il peut remettre en question le cadre, dans la mesure où il favorise les échanges horizontaux et la communication alors que notre système éducatif est structuré verticalement par le ministère. mais il ne remet pas en cause le caractère national selon nous. La question est celle de l’espace dans lequel les personnels évoluent à l’intérieur de ce cadre national. De ce point de vue, il peut interroger le pilotage d’une politique ministérielle, l’autonomie des strates intermédiaires et des établissements, mais ce n’est pas spécifiquement lié au numérique, ce sont des choix politiques.
Aujourd’hui le numérique dans les établissements c’est souvent rentrer des notes ou des appréciations ou cocher des cases : bref de la bureautique et souvent que de la bureautique. Le numérique peut-il améliorer les conditions de travail des personnels ?
Pas à lui tout seul, ce n’est pas une recette magique. C’est surtout par sa capacité à communiquer que le numérique peut améliorer les conditions de travail, par exemple pour les enseignants en mutualisant. Par ailleurs, s’il facilite la relation prof élève, réduit les tensions et favorise les apprentissages, et ne donne plus comme première mission à l’enseignant celle de « tenir sa classe », les conditions de travail seront améliorées. En fait le numérique peut permettre ou faciliter des transformations bénéfiques pour les conditions de travail et d’enseignement. Il peut aussi les aggraver. Il ne dispense pas des choix à faire sur les politiques éducatives et sur le pilotage de l’institution et de ses personnels.
On voit que le numérique est facteur d’inégalités entre enseignants. Comment éviter qu’il ne creuse les inégalités dans tout le système éducatif ?
Cela passe par la formation initiale et continue, et surtout le travail collaboratif. Là encore, c’est l’isolement et l’exercice du métier comme profession libérale qu’il faut battre en brèche. De ce point de vue, le ministère a de grands progrès à faire. Notamment, il faut privilégier les formations pédagogiques, intégrées dans les établissements et leurs projets. Un des aspects importants est également dans la capacité à modifier le statut de l’erreur dans la représentation des personnels. Du point de vue du numérique, c’est un élément essentiel dans les apprentissages.
On a vu les enseignants créer des communautés numériques. Leurs valeurs vous semblent-elles porteuse d’avenir pour l’Ecole ?
Oui, et elles devraient être reconnues par l’institution comme les associations complémentaires car elles contribuent à la qualité du système éducatif. Elles sont des lieux d’échanges indispensables. Ce qui nous interroge par contre c’est leur structuration strictement disciplinaire. et la propension de certaines d’entre elles à vouloir être reconnues comme partenaires sociaux à part entière ce qui nous semble contradictoire, le numérique doit servir à ouvrir les portes pas à constituer des communautés fermées. Là encore derrière la technique des choix politiques pour l’avenir se profilent. Ce qui justifie pleinement notre implication syndicale sur le sujet
Entretien : François Jarraud
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