Par Antoine Maurice
Le café pédagogique s’est arrêté ce mois-ci, sur un site au nom très évocateur : « Passeurs de Danse ». Un site, mais aussi une association qui joue la carte de la transmission, du partage autour de l’enseignement de la Danse dans le cadre scolaire et universitaire. Marielle Brun, présidente de l’association et également IA-IPR EPS de l’académie de Clermont-Ferrand, a bien voulu se prêter au jeu des questions réponses.
Bonjour, tout d’abord pouvez-vous nous présenter rapidement votre site ?
Le site se veut un centre de ressources pour la danse à l’Ecole au sens large c’est-à-dire école maternelle, élémentaire, collège, lycée et université. Il a été conçu pour offrir à toute personne intéressée par la transmission de la danse en milieu scolaire les ressources utiles, en proposant une triple entrée :
La première est relative à l’actualité avec des informations en provenance de l’association ou d’autres sources (publications sur la danse, événements signalés etc.). Elles apparaissent sur la page d’accueil et sont réactualisées.
La deuxième propose des ressources plus pérennes circonscrites en fonction du niveau de cursus (1er degré, 2nd degré, université), du type de dispositifs (UNSS, enseignements optionnels, action culturelle), d’approches transversales (danse et citoyenneté, danse et métissages) et enfin une rubrique autour des épreuves de danse dans les concours de l’Education Nationale. Une rubrique ressources fait état d’une large bibliographie thématique et d’une discographie générale, propose des articles parallèles et des contributions pour aider chacun dans son enseignement et/ou ses recherches.
Dans chacune de ces rubriques sont mis à disposition les textes officiels de référence, des outils, des témoignages et/ou des liens vers des sites pertinents sur le thème.
La troisième entrée concerne les ressources spécialement produites par l’association pour le site comme les dossiers thématiques dont le premier a proposé des interviews de grands passeurs de la danse (danseurs, chorégraphes, pédagogues, vidéastes). Le deuxième a donné la parole aux élèves car, bien qu’au cœur du système éducatif, leurs propos sont rarement publiés. Et le prochain dossier (en préparation) porte sur les danses d’outre-mer puisque l’année 2011 est l’année des outre-mer.
Nous proposons également des ressources produites en relation avec les actions menées par l’association notamment le stage national annuel.
Comment cette idée a-t-elle vu le jour ?
L’idée met advenue quand j’ai été reçue au concours d’IA-IPR en 2008, métier au sein duquel la transmission de la danse n’est pas centrale. Au regard de mon parcours, qui m’a permis de faire l’expérience de la danse à partir de multiples points de vue, il m’est vraiment apparu la nécessité de transmettre ce que j’avais pu construire.
J’ai alors eu l’idée d’un site Internet que je ne souhaitais pas être le mien, mais celui d’un réseau ouvert, fondé sur la générosité, le partage, la diffusion et l’accessibilité des ressources. C’est dans cet état d’esprit que l’association Passeurs de danse a été créée, ouverte à tous, sans distinction a priori de statut, d’appartenance professionnelle, avec pour éthique le respect de la parole de chacun et la mutualisation.
J’ai alors fait part de ce qui n’était à ce moment qu’un rêve à des amis qui ont été enthousiasmés par le projet et avec lesquels nous avons constitué l’association. Après 15 mois de travail sur nos temps libres, le site a vu le jour en décembre 2009 et je tiens à rendre hommage à cette équipe sans qui le projet n’aurait pas pu aboutir : Cécile Vérot notre webmaster, Eve Comandé, Laurent Pejoux, Hélène Brunaux, Chloé Dutilh.
Votre association ne se limite pas au site « passeurs de danse » pouvez-vous nous parler des différentes actions faites ou à venir en dehors de la plate forme numérique ?
Nous avons organisé un premier stage national à Caen aux vacances de la Toussaint 2010 sur le thème « danse et histoire des arts ». L’enjeu de ce stage était à la fois la rencontre entre les personnes, qui est au cœur des arts du spectacle vivant, et la production de ressources. C’est pourquoi les interventions (ateliers de pratique et conférences) ont été retravaillées pour pouvoir constituer des documents exploitables en ligne sur notre site pour un public qui n’a pas forcément assisté au stage.
Nous avons été très honorés pour ce premier stage de la présence de deux inspecteurs généraux : M. Henri de Rohan-Csermak, chargé de l’histoire des arts et Mme Michèle Métoudi, responsable des enseignements artistiques danse, qui a d’ailleurs apporté des éclairages précieux sur le cadre institutionnel et des exemples de mise en œuvre de cet enseignement.
Nous souhaitons pérenniser ce stage. Aussi le prochain aura lieu à Toussaint 2011 toujours à Caen. Il portera sur « la leçon de danse », thème sur lequel nous travaillons déjà pour un ouvrage collectif qui constituera une ressource assez inédite sur le sujet.
À côté de ce stage national, nous commençons à développer des actions en région : des cycles d’ateliers chorégraphiques à Clermont-Ferrand, une conférence est en préparation sur les danses du monde. Nous concevons également quelques propositions pour partager avec les internautes comme le concours photos que nous avons organisé pour le premier anniversaire du site. L’association reste ouverte et attentive à toutes les initiatives que ses membres pourront proposer.
contribution de « Marie-Jo Combaret, Lycée Récamier Lyon »
Les activités artistiques prônent certaines valeurs corporelles, avec plus d’authenticité dans sa relation aux autres. « Passeurs de danse » fait référence à la citoyenneté notamment en lien avec le handicap, l’environnement, etc. Est-ce de nouvelles pistes à suivre ?
J’aimerais ouvrir la réponse à cette question par la très belle citation de Laurence Louppe « être danseur, c’est choisir le corps et le mouvement comme champ de relations avec le monde », que je compléterai par celle de Martha Graham « le mouvement ne ment pas». Alors de ce point de vue, on peut effectivement dire que la danse recherche l’authenticité dans la relation, mais pas seulement la relation à l’Autre.
J’identifie quatre directions complémentaires et en interaction dans lesquelles la danse développe l’authenticité :
Dans la relation aux lois et aux règles. En effet, le danseur se confronte aux lois physiques de l’environnement, dont la gravité qui signe une démarcation entre un monde réel et un monde virtuel. En dehors de dispositifs particuliers, le danseur ne peut se soustraire à ces lois. Quant aux règles, il s’y confronte dès lors que qu’il s’engage dans la création qui s’inscrit toujours dans un cadre de contraintes. Ce rapport aux lois et aux règles peut d’une certaine manière être considéré comme une matrice pour la citoyenneté.
Dans la relation à la difficulté car le corps résiste. Il faut apprendre à travailler avec ses propriétés, ses limites, le respecter, le façonner. Former à la danse demande de la patience, de l’humilité, de la générosité et de l’engagement ainsi qu’une grande disponibilité du corps et de l’esprit.
Dans la relation à la complexité, comme le montrent les créations contemporaines. Elles sont en effet de véritables tissages d’histoire(s), dans leur rapport au patrimoine et aux rencontres, des tissages de domaines artistiques. L’art contemporain est aujourd’hui un véritable dialogue entre les arts.
Et bien sûr dans la relation à l’Autre avec toute la question de l’altérité car la danse se donne forcément à partager, entre danseurs, et entre danseurs et spectateurs. L’ouverture à la danse de l’Autre intègre nécessairement les personnes porteuses de handicap car le droit à danser est un droit pour tous et que chacun porte en lui sa danse.
Alors je ne sais pas si ce sont de nouvelles pistes, mais je dirais que les valeurs de la danse s’expriment pleinement à travers le corps et le mouvement dans un dialogue respectueux mais aussi inventif et questionnant avec soi-même, les autres, l’environnement et l’histoire de l’humanité. Mais la danse n’est sans doute pas la seule activité à exprimer ces valeurs.
En tout cas, l’association Passeurs de danse a souhaité que son projet puisse fédérer tous ceux qui se reconnaissent dans ces valeurs quel que soit leur statut professionnel. Il nous apparaît fondamental de croiser les regards et de ne pas enfermer ni cloisonner la parole de chacun en fonction de son origine professionnelle (artiste, enseignant, médiateur culturel, universitaire, inspecteur, etc.) d’autant plus que les trajectoires des uns et des autres témoignent souvent de traversées de différents champs professionnels.
La danse, en EPS, peut-elle se comprendre à travers un paradoxe ? En effet les collègues éprouvent souvent quelques difficultés à se lancer dans son enseignement en repoussant souvent l’échéance. Et d’un autre coté, un grand nombre de collègues témoignent du grand plaisir qu’ils ont à enseigner la danse. Est-ce aussi là le rôle de « passeurs de danse », de démystifier l’enseignement des activités physiques artistiques à travers la mutualisation des ressources ?
Oui. Je dirais aussi que l’enjeu de Passeurs de danse est de montrer la vitalité et la créativité des pratiques d’enseignement avec l’idée d’éviter tout formatage dans l’usage de recettes. La pluralité des témoignages du site doit être appréhendée comme l’ouverture du champ des possibles afin que chaque professeur recompose son enseignement avec ses élèves particuliers. L’enjeu majeur est de montrer qu’il n’y a pas une seule bonne pratique mais qu’elles sont à inventer chaque jour et le site se propose d’apporter des pistes et des outils pour les enseignants et les artistes intervenants.
A ce propos, où en est-on actuellement sur la part des enseignements artistiques dans la programmation des activités physiques sportives et artistiques en EPS ?
Je n’ai pas de chiffres récents précis de programmation des activités physiques artistiques en EPS au plan national. En revanche, le taux de fréquentation de l’activité « chorégraphie collective » dans les menus des examens se situait pour les dernières années entre 3% et 12% selon les voies (générale, technologique, professionnelle) et les filières.
Quant aux effets produits par les nouveaux programmes, il est encore tôt pour en juger pour la voie professionnelle et très prématuré pour le lycée général et technologique.
Par contre, en collège, l’obligation de programmer un cycle de niveau 2 dans les activités physiques artistiques depuis 2009 modifie sensiblement les pratiques. En effet, on observait souvent antérieurement la programmation d’un seul et unique cycle orienté sur la découverte des activités physiques artistiques en sixième. Avec l’obligation d’atteindre un niveau 2 de compétence, les équipes réinterrogent la programmation des deux cycles nécessaires, leur articulation avec les autres activités physiques notamment l’acrosport ou la gymnastique, et la période de la scolarité la plus opportune pour conduire les élèves au meilleur niveau.
Dans cette logique curriculaire, un des partis pris forts de l’association est de favoriser le décloisonnement entre les niveaux du cursus, premier degré – second degré – université. L’idée est vraiment poser les différentes propositions spécifiques faites à chaque niveau de la scolarité comme contribuant à construire le parcours de formation de l’élève depuis la formation initiale jusqu’à la formation tout au long de la vie.
« stage Danse et Histoire des arts, octobre 2010 »
Comment expliquez-vous la difficulté des professeurs d’EPS à enseigner la danse ?
La grande majorité des professeurs d’EPS sont plutôt de formation sportive et le rapport au corps et à la production physique n’est pas de même nature dans la recherche de la performance sportive que dans la démarche artistique. Dans les activités sportives compétitives, le corps est l’instrument de la performance alors que dans les activités physiques artistiques, on est sur la mise en jeu d’un corps sensible et d’un processus de questionnement. L’art réinterroge la question de la performance et de l’efficacité et la forme de la prestation finale ne peut être anticipée. L’enseignement de la danse organise la production de l’inattendu ce qui est guère sécurisant pour les professeurs non aguerris.
Il est cependant intéressant d’observer que les pratiquants d’activités physiques qui ne sont pas essentiellement sur un mode compétitif ou pour lesquelles la dimension esthétique de la pratique est importante (escalade, arts martiaux, etc.) accèdent souvent plus facilement aux pratiques artistiques.
Par ailleurs, on peut penser que les enseignants redoutent les réactions et le manque de motivation des garçons qui ont une représentation de la danse comme une activité plutôt féminine. Pourtant, ces derniers s’approprient très facilement cette pratique dès lors qu’elle est construite sur l’exploitation de la danse et des possibilités de chacun.
La rentrée 2010 a été marquée par la généralisation de l’épreuve d’histoire des arts dans le cadre du diplôme national du brevet. Vous proposez plusieurs ressources aux services des enseignants à ce sujet. Pouvez-vous nous les présenter rapidement et comment l’enseignant peut-il adapter son enseignement pour aborder de façon pertinente l’histoire des arts ?
Concernant la présentation des ressources, je donnerai seulement les grandes lignes en renvoyant au site. L’internaute pourra trouver le texte officiel de cadrage de l’enseignement d’histoire des arts, des liens vers des sites institutionnels offrant des ressources intéressantes, et des outils tels que ceux conçus à partir du stage de l’association.
La piste la plus féconde que je donnerai pour permettre aux enseignants d’aborder l’histoire des arts dans le cadre de l’enseignement de la danse en EPS passe par l’enrichissement de leur culture chorégraphique. En effet, dans les pratiques les plus courantes, les professeurs proposent aux élèves des mises en situation visant la créativité, sans référencement explicite à des éléments culturels. Aussi, les enseignants non-spécialistes rencontrent-ils souvent des difficultés pour faire évoluer les productions initiales des élèves. Face à ce constat, l’histoire des arts, en questionnant les processus de création des artistes, les œuvres, les courants artistiques, les techniques doit permettre de nourrir les contenus d’enseignement de la danse en EPS en même temps qu’elle doit permettre de travailler en interdisciplinarité.
L’enjeu est de travailler en équipe autour d’une problématique, par exemple sur le thème « art/espace/temps », et de permettre aux élèves de faire l’expérience et de nourrir leurs créations en relation avec la façon dont des artistes, des œuvres ont traité cette question à des périodes données dans différents domaines dont la danse. Concernant l’espace, il est intéressant de resituer les conceptions actuelles de l’espace scénique par rapport à ce qu’il était dans les danses de cour puis dans les représentations dans les théâtres à l’italienne et enfin dans des théâtres contemporains ou des espaces urbains ou naturels. Ce n’est bien sûr qu’une dimension de l’espace mais qui mérite d’être visitée dans la mesure où les élèves sont nécessairement confrontés à des choix quant à la mise en espace de leur production chorégraphique. L’histoire des arts doit ainsi permettre aux élèves de situer leur travail et de se situer par rapport à des repères historiques et culturels.
Marielle Brun, merci
Le site passeurs de Danse
http://www.passeursdedanse.fr/
Sur le site du Café
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