Par Jeanne-Claire Fumet
La presse lycéenne inquiète-elle encore ? Si Luc Chatel a rappelé l’intérêt qu’il porte à la presse lycéenne, qui fêtait le 30 mars ses 20 ans en présence du ministre, il n’est pas allé jusqu’à se soumettre aux questions des journalistes lycéens.
Une centaine de jeunes journalistes lycéens étaient réunis hier, mercredi 30 mars, au Lycée d’État Jean Zay, à Paris, à l’occasion des 20 ans de la reconnaissance du droit de publication des lycéens, pour réfléchir à l’avenir et aux besoins des journaux lycéens. Organisé par l’association Jets d’encre, avec le soutien du Ministère de l’Éducation nationale, du réseau de la Vie lycéenne, du CLEMI et de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne, la journée devait se clore par une conférence de presse accordée par le Ministre aux journalistes lycéens participants.
Dûment chapitrés par les organisateurs, les jeunes gens savaient exactement leur rôle à l’égard du Ministre : quelles questions poser ou ne pas poser et n’en poser qu’une, quand se lever ou ne pas se lever… L’impatience était palpable, faite de curiosité et d’une réelle déférence pour le prestigieux visiteur. Las, son discours à peine terminé, Luc Chatel a quitté la salle sans attendre les questions des élèves.
Liberté d’expression et réforme des lycées. Luc Châtel a rappelé tout l’intérêt qu’il porte à la presse lycéenne, qui l’a conduit à souligner l’importance de cette forme de liberté d’expression dans la circulaire relative à la réforme des lycées. Si l’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans, a commenté le Ministre citant Rimbaud, on n’est plus que crédible quand on atteint 20 ans, âge de la circulaire reconnaissant aux élèves un droit de publication sans contrôle préalable au sein des lycées de 1991 (revue en 2002).
Sensible à l’engagement des élèves dans des activités parallèles à leurs études, le Ministre a rappelé que si le lycée est fait pour apprendre, il doit être aussi le lieu d’un élargissement des compétences et de préparation à la citoyenneté. La participation à un journal lycéen présente une réelle valeur éducative, a souligné Luc Chatel : elle favorise l’esprit d’équipe, la concertation et les échanges, l’exercice du jugement critique au sein de la discussion et l’apprentissage du débat dans le respect des opinions de chacun. A cela, s’ajoute une authentique dimension culturelle, voire éthique.
Apprentissage de la liberté et le reflet de la vitalité d’un lycée. En ce sens, le journal lycéen est un apprentissage de la liberté et le reflet de la vitalité du travail mené au sein d’un lycée. C’est pourquoi le Ministre annonce le lancement d’une nouvelle campagne d’affichage dans tous les lycée à la rentrée prochaine. Espérant que cette campagne permettra de faire tomber les dernières réticences des chefs d’établissement, il souhaite qu’elle permette de développer la production et la diffusion de la presse lycéenne. Mais l’un des défis à venir, souligne le Ministre, consistera à s’adapter aux formats actuels de l’information : l’édition numérique correspond aux attentes du public lycéen et le recours à internet permet de comparer les approches, de revenir aux sources brutes de l’information, ce qui est l’occasion d’aiguiser l’esprit critique et de participer au débat démocratique, affirme-t-il.
Si l’on comprend le souci du ministre d’inciter à la modernisation de la presse lycéenne, on ne peut éviter de s’interroger sur la préparation et la formation des élèves au choix des ressources en ligne, dont on sait que les moteurs de recherche ne fournissent pas de faits bruts ni de hiérarchies impartiales des données et des sources.
Pour les lycéens : une vraie déception
Avant l’arrivée du Ministre, un jeune homme pétrifié de trac guettait la voiture officielle du haut des escaliers et se préparait à poser sa question – la première. Il n’en a pas eu l’occasion. Des lycéens, mi-rieurs, mi-amers, remarquaient que Luc Chatel s’était fait une bien mauvaise publicité auprès des journaux lycéens, en partant si précipitamment. On leur avait tant répété que cette conférence de presse des journalistes lycéens était une grande première et un insigne honneur.
Un peu dépité mais pas découragé, un groupe de lycéens explique ses motivations : « ce qui nous intéresse, c’est d’informer les autres lycéens de tout ce qui se passe : leurs droits, l’actualité, la culture ; mais surtout faire vivre le lycée, qu’il y ait unité derrière son nom, que ce ne soit pas juste un lieu où on va en cours. Pour intéresser les lycéens, il faut parler de tout et chaque lecteur fait son choix. La gamme des articles est très large : il y a l’actualité, mais comme les publications sont espacées, il faut faire synthétique, et puis la vie lycéenne et enfin les potins ludiques. Mais jamais rien de bien polémique. » Lors des manifestations lycéennes, les jeunes gens reconnaissent avoir manqué d’impartialité : mais le lycée était majoritairement du côté des « bloqueurs », difficile de trouver des témoignages adverses.
Ils garderont le sentiment d’avoir beaucoup appris : en particulier la difficulté de communiquer, surtout sur les droits lycéens. Pas tant pour des questions de censure que d’inefficacité et d’indifférence, estiment-ils. « Justement, le Ministre a parlé d’une campagne de communication avec des affiches sur le projet : « Lycéens, prenez la parole ». L’ennui, c’est que les affiches, personne ne les regarde. Je voudrais bien savoir comment on pourrait rendre la communication plus efficace. Il faudrait sortir de l’isolement, prendre contact avec tous les lycées, pour progresser. »
Association Jets d’encre : il faut faire connaître les textes
Pour le jeune président de l’Association Jets d’encre, Simon Vandenbunder, la journée est plutôt réussie : une large participation, des intervenants venus de tout le secteur éducatif, mais aussi des échanges très éclairants sur les attentes des journalistes lycéens. Selon le rapport de l’Observatoire de la presse lycéenne, 20 ans après la publication du texte qui autorise à publier librement sans contrôle préalable (circulaire de 1991, qui s’inspire de la loi sur la liberté de la presse de 1881), un tiers des rédactions ignore encore ses droits. Il est essentiel de diffuser davantage les textes : les problèmes de censure sont plus souvent liés à une méconnaisse des textes par les Proviseurs qu’à de réels abus, et les recours en médiation se soldent en général par une clarification de ces droits. Il n’y a pas eu un seul vrai cas de délit de presse dans les recours déposés au long de cette année. Ce sont au plus des malentendus, ou le fait que les journalistes évoquent des problèmes internes à l’établissement, d’une manière qui ne plait pas forcément au proviseur, explique Simon Vandenbunder.
Lui-même n’est plus lycéen. Il a découvert jets d’encre en Terminale, à Tourcoing, et n’a plus quitté ce monde associatif qui lui tient à cœur. « La presse lycéenne est très variée : toute une partie est consacrée à la vie du lycée, aux questions internes de fonctionnement ou aux problèmes, mais une grande partie évoque la vie extérieure. Contrairement à ce qu’on dit, beaucoup de jeunes gens sont passionnés par la vie politique et ont envie d’exprimer un point de vue différent de ce qu’ils lisent dans les autres journaux. » Jets d’encre est à l’origine de la campagne d’incitation à la création de journaux dans les lycées, lancée à la rentrée avec le soutien du Ministère. L’association proposera une affiche et un kit à télécharger pour faciliter la création d’un journal lycéen.
Mobiliser des élèves du secteur professionnel
Parmi les assistants, Claudie Merlot, CPE au Lycée Escoffier à Eragny sur Oise, a accompagné deux élèves de son établissement : « au départ, c’est une proposition de notre Proviseur adjoint, pour inciter les élèves à se lancer dans la rédaction d’un journal au niveau du lycée. Une collègue de Lettres a lancé un journal, il y a deux ans, avec un collègue d’arts plastiques, mais les élèves ne se sont absolument pas emparés du dispositif. Pour l’instant, ils sont lecteurs. Nous voudrions les inciter à transformer le journal du lycée un journal lycéen. » Le projet s’inscrit dans le fil du développement du CVL, avec l’idée de rendre les élèves acteurs de la vie lycéenne. « C’est un peu compliqué en lycée professionnel, reconnaît Claudie Merlot. Les élèves s’absentent de 4 à 5 semaines quand ils sont en formation, et on a du mal à fédérer des groupe sur le long terme. Avec le journal, nous espérons recruter des élèves volontaires. Il y a déjà ceux qui nous accompagnent : l’un est étudie dans le secteur industriel en froid et climatisation, l’autre est une jeune fille du secteur de l’hôtellerie, qui prépare un CAP cuisine. Nous espérons qu’il en résultera quelque chose.».
Pour plus d’informations :
Le site de l’association Jets d’encre :
http://www.jetsdencre.asso.fr/
L’observatoire de la presse lycéenne :
http://www.obs-presse-lyceenne.org/
Le site d’information sur les droits à publication du Ministère :
http://www.education.gouv.fr/vie-lyceenne/cid20323/[…]
La circulaire de 1991 revue en 2002 :
http://www.education.gouv.fr/botexte/bo02021[…]
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